Editorial : Le Xinjiang, un sujet coton

Le Xinjiang, un sujet coton

Depuis 1989, l’Union Européenne (UE) n’avait plus décrété de sanctions à l’égard de la Chine. Le traitement des minorités musulmanes au Xinjiang l’a poussée à changer d’avis le 22 mars, sanctionnant quatre responsables politiques et une coopérative de prodication agro-militaire de la région autonome du Far West chinois. Le Royaume-Uni et le Canada ont fait de même, bientôt rejoints par les États-Unis.

Si Bruxelles avait effectivement anticipé des représailles de la part de Pékin, elle ne s’attendait probablement pas à un tel retour de bâton : Pékin a sanctionné dix personnalités (dont cinq membres du Parlement Européen et deux chercheurs) et quatre entités (dont un think tank spécialisé sur la Chine). Suite à quoi le compte Weibo de la Ligue de la Jeunesse communiste a exhumé un communiqué daté de septembre dernier du numéro un mondial du prêt-à-porter, H&M, déclarant que le groupe allait arrêter d’acheter du coton au Xinjiang, soupçonné de faire l’objet de travail forcé, la région étant à l’origine de 20% de la production mondiale. Les internautes chinois n’ont pas tardé à appeler au boycott du géant vestimentaire suédois, mais aussi d’autres membres de l’association Better Cotton Initiative (BCI) tels que Adidas, Hugo Boss, Burberry, Nike… Autant de marques qui ont vu leurs ambassadeurs chinois rompre leur contrat et leurs e-shops retirés des plateformes de e-commerce chinoises.

Si les multinationales sont déjà bien conscientes de faire des affaires en Chine à leurs risques et périls, cet appel au boycott est inédit sous plusieurs aspects. À l’inverse de certains épisodes larvés visant une seule marque pour diverses raisons  (« insensibilité culturelle », carte de Chine « erronée », prises de positions politiques…), ou ciblant un seul pays (Corée du Sud en 2017 à propos du bouclier anti-missiles THAAD, Japon en 2012 au sujet des îles Diaoyu-Senkaku, France en 2008 avant les JO liés aux questions tibétaines…), la crise du coton du Xinjiang affecte l’ensemble du secteur textile, obligeant ses acteurs à prendre position, pris entre deux feux (le public occidental et chinois).

Outre l’ampleur notable de cet appel au boycott, sa virulence peut s’expliquer par le calendrier. En effet, l’opinion publique chinoise est ressortie galvanisée de la rencontre diplomatique sino-américaine à Anchorage (USA), durant laquelle Yang Jiechi, conseiller aux Affaires étrangères du Parti, a clamé que « les États-Unis ne sont pas qualifiés pour s’adresser à la Chine en position de force »…

Si cette fièvre cotonnière retombera probablement avec le temps, l’affaire a également relancé une campagne médiatique tous azimuts, la Chine niant toute accusation de génocide et justifiant la nécessité de ces camps de « rééducation professionnelle ». Des commentaires de ressortissants étrangers en faveur de la politique chinoise au Xinjiang sont relayés par les médias d’État ainsi qu’ en conférence de presse du ministère des Affaires étrangères, tandis que la chaine de télévision internationale CGTN a publié le 2 avril la dernière partie de son documentaire consacré à la lutte contre le terrorisme au Xinjiang, avec témoignages de terroristes ouïghours repentis et cadres aux « doubles visages » (condamnés à la peine de mort ou à la prison à la vie), notamment pour avoir autorisé des manuels scolaires « dissidents ».

Sur le terrain, la campagne de rectification des organes de police et de justice au Xinjiang bat son plein depuis le 14 mars, le Secrétaire de la région Chen Quanguo voulant transformer les forces de l’ordre en « une armée à toute épreuve capable de gagner la bataille contre le séparatisme et le terrorisme ». Les autorités annoncent aussi redoubler d’efforts pour apprendre le mandarin dans les écoles du Xinjiang, et « siniser » l’islam. Au cinéma, une comédie musicale inspirée de « La La Land », chante la joie de vivre des habitants du Xinjiang…

Il est clair que pour Pékin, faire marche arrière n’est plus possible, ce qui serait considéré comme un aveu de faiblesse. Ainsi, ce qui était encore négocié hier, ne l’est plus (comme une rencontre de diplomates européens avec les hauts dirigeants de la région), et d’éventuelles déclarations d’apaisement ne sont plus du tout à l’ordre du jour depuis la pandémie. Rappelons qu’après avoir nié l’existence de ces camps jusqu’à mi-2018, Pékin avait finalement admis les avoir construits à des fins de « formation », puis avait déclaré début 2019 que ces centres seraient fermés lorsque « la société n’aurait plus besoin d’eux », avant d’affirmer que tous les pensionnaires avaient reçu leur diplôme fin 2019… Depuis lors, la Chine campe sur ses positions.

Au-delà du Xinjiang, il faut souligner que depuis 2012, le nombre de lignes à ne pas franchir aux yeux de Pékin ne cesse d’augmenter (mer de Chine du Sud, Taïwan, Hong Kong, les origines du coronavirus…). Ces dossiers sont considérés comme des affaires de souveraineté nationale, et passent avant tous ses autres intérêts, comme celui de signer un accord d’investissement avec l’UE pour lequel le principal gain pour la Chine était d’enfoncer un coin symbolique dans la coordination transatlantique… Sous cette perspective, aucune inflexion chinoise n’est donc à attendre, surtout l’année du centenaire du Parti.

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