Environnement : Les débuts tant attendus du marché du carbone

Les débuts tant attendus du marché du carbone

Attendu depuis 2017, la Chine vient d’officialiser le 1er février le lancement de son marché national du carbone. Le projet, extrêmement ambitieux, ne date pas d’hier. Cela fait des années que le pays – à la fois premier pollueur mondial et premier investisseur dans les énergies renouvelables – y travaille. Mais la promesse du Président Xi Jinping d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, lui a donné un nouvel élan.

Les règles qui vont régir le marché ont été publiées par le ministère de l’Environnement et de l’Écologie (MEE), piloté par Huang Runqiu. Certes, l’autorité du ministère est moindre que celle de la tutelle de l’économie, la NDRC, qui avait copublié un plan de développement de la bourse carbone en décembre 2017. Cependant, cette réglementation va jouer un rôle de transition en attendant l’adoption d’une loi à plus au niveau – potentiellement celle sur le changement climatique, en préparation.

Inspiré du mécanisme d’échanges de quotas d’émissions carbone de l’Union Européenne (Emission Trading System, ETS selon l’abréviation anglaise), le système chinois va d’abord se limiter à 2225 centrales thermiques, qui émettent chacune au moins 26 000 tonnes d’équivalent CO2 par an.

Le secteur énergétique dont 58% de l’électricité provient du charbon – représente plus d’un tiers des émissions de dioxyde de carbone du pays. C’est suffisant pour faire de la Chine, le premier marché du carbone au monde.

Huit autres industries polluantes comme la sidérurgie, la pétrochimie et l’aviation civile, devraient être intégrées au moment opportun, représentant plus de 10 000 entreprises et un total de 5 milliards de tonnes de CO2 d’émissions jusqu’en 2025.

Au départ, les « permis de polluer » seront distribués gratuitement aux entreprises selon leur historique d’émissions et des seuils de référence sectoriels. Puis les plus « vertes » d’entre elles vendront leur surplus aux plus polluantes en bourse. Cette place nationale, dont le centre d’échanges sera basé à Shanghai et la plateforme d’enregistrement installée à Wuhan, sera dirigée par un institut indépendant. Lancée d’ici fin juin, elle devrait voir s’échanger virtuellement pour 200 millions de tonnes d’émissions de CO2.

Ce système national viendra intégrer les huit bourses régionales-pilotes lancées à titre expérimental depuis 2011 (Shenzhen, Shanghai, Pékin, Guangdong, Tianjin, Hubei, Chongqing et Fujian). Malheureusement, leur fonctionnement a été plombé par des déclarations erronées et « l’évasion carbone » des entreprises dans des régions non concernées par ce système… Avec l’entrée en vigueur d’un marché s’appliquant au pays entier, il ne sera plus possible d’aller polluer dans la province voisine.

En un effort de transparence, les firmes concernées par l’ETS auront l’obligation de rendre public leur bilan annuel d’émissions. Un chiffre qui devra être vérifié indépendamment. Par contre, le montant de l’amende en cas de falsification, de dissimulation ou de refus de publication des données, est loin d’être dissuasif (entre 20 000 et 200 000 yuans)…

Différence de taille par rapport au mécanisme européen, le système chinois ne fixe pas un plafond absolu aux émissions de gaz à effet de serre. Il attribue des permis aux centrales thermiques en fonction de leur « intensité énergétique », c’est-à-dire la quantité de CO2 émise par unité d’énergie générée. Cette approche est consistante avec celle adoptée dans le 14ème plan quinquennal (2021-2025), ancrant les efforts de réduction de l’intensité énergétique du pays à la croissance du PIB. Pourtant, ce mode de fonctionnement pourrait avoir un effet pervers et rendre les nouvelles centrales à charbon plus attrayantes sur le plan économique.

Par ailleurs, le prix du carbone devrait débuter très bas : entre 30 et 40 yuans la tonne de CO2contre 30 euros en Europe et 17 dollars en Californie fin 2020. Ce prix peu élevé peut s’expliquer par la crainte des compagnies d’État que ce surcoût n’impacte leur rentabilité, puisqu’il ne sera pas répercuté sur le consommateur final, le prix de l’électricité étant toujours fixé par les provinces. Pour que le prix du carbone ait la plus forte incidence sur la réduction des émissions de CO2 dans le secteur énergétique, une étude datée de 2018 évalue qu’il devrait tourner autour de 150 yuans la tonne.

Il est donc clair que, dans sa forme actuelle, le système d’ETS chinois manque d’arguments pour inciter les firmes à réellement réduire leurs émissions, mettant l’accent sur la bonne déclaration carbone des entreprises. Les experts estiment par ailleurs qu’il va falloir attendre entre trois et cinq ans pour que ce système soit entièrement opérationnel – c’est suffisamment longtemps pour approuver des centaines de nouvelles centrales à charbon… Mais le jour où Pékin décidera de faire preuve de davantage d’ambition, ce marché du carbone a le potentiel de devenir un outil déterminant de la décarbonisation chinoise.

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