Environnement : Quand Pékin vire à l’orange

Quand Pékin vire à l’orange

Où était donc passé l’habituel ciel bleu durant la session du Parlement (4-11 mars) à Pékin ? Pendant près de deux semaines, la capitale a suffoqué sous la pollution avant de subir de plein fouet une impressionnante tempête de sable, donnant à la ville une inquiétante couleur sépia. Une atmosphère de fin du monde que n’ont pas tardé à détourner les internautes (cf photo).

Si ce genre d’évènement climatique est fréquent au printemps dans le nord de la Chine, l’intensité de cette tempête venue du désert de Gobi était inédite depuis une décennie, recouvrant de sable et de poussière pas moins de 3,8 millions kilomètres carrés, soit 40% de la superficie du pays.

Pour pallier ce phénomène météorologique en partie causé par la déforestation et la sécheresse, la région Pékin-Tianjin-Hebei a encore reboisé 9 millions d’hectares l’an dernier. Des efforts qui ont conduit les tempêtes de sable à se raréfier, mais qui n’ont pas suffi à stopper celle-là, qui a fait 6 morts et 81 disparus en Mongolie. Ses effets ont même été ressentis jusqu’en Corée du Sud, et le fait que les médias coréens aient affirmé que la tempête soit venue de Chine, a suscité l’indignation des internautes chinois, déjà en bisbille avec leurs voisins coréens, les accusant d’appropriation culturelle. L’affaire est remontée aux oreilles du porte-parole du ministère des Affaires Etrangères Zhao Lijian : « la pollution ne connait pas de frontières (…) et la Chine n’a jamais blâmé la Mongolie pour être l’origine supposée de la tempête », a-t-il déclaré.

Quoi qu’il en soit, cette météo colle mal avec la nouvelle image de leader climatique que veut se donner la Chine à l’international, Xi Jinping ayant promis de mettre son pays sur la voie de la neutralité carbone d’ici 2060. En temps normal, les autorités font tout pour que le ciel soit bleu pendant la session annuelle du Parlement, réduisant le trafic routier en ville, mettant à l’arrêt les industries polluantes dans les environs de la capitale, et tirant dans le ciel pour éloigner les nuages gris. Un protocole connu de tous qui a même un surnom : le « bleu des Deux Assemblées » (两会蓝). Il n’est d’ailleurs pas uniquement réservé au grand rendez-vous politique annuel, mais aussi à tous les évènements internationaux (Jeux Olympiques, APEC…).

Or, cette fois-ci, le ciel est resté désespérément gris durant le rassemblement politique. Faut-il y voir le signe d’un changement des priorités du gouvernement, assez confiant en ses capacités et en son leadership pour ne plus avoir à s’embarrasser des apparences (un faux ciel bleu) et pour se concentrer sur le véritable problème (la pollution) ? C’est la séduisante thèse avancée par le chercheur Ma Liang (马亮), de l’université Renmin (Pékin), qui rappelle que le Parti a choisi cette voie pour son économie, se contentant d’un objectif de croissance de son PIB « d’au moins 6% » pour cette année, privilégiant ainsi la qualité à la quantité.

Cependant, un élément laisse entrevoir que le leadership aurait sans aucun doute préféré tenir sa grande réunion sous un ciel dégagé : c’est la visite « surprise » à Tangshan (Hebei), du ministre de l’Écologie et de l’Environnement (MEE), Huang Runqiu (cf photo, au centre), le jour de la clôture du Parlement. Spécialisée dans l’acier, la ville située à 200km de Pékin est connue comme étant la plus polluée du pays. Et l’équipe du ministère n’a pas eu à chercher bien longtemps pour attraper quatre aciéries la main dans le fourneau, malgré l’interdiction en vigueur. Les entreprises, dont les noms ont été cités, ont écopé chacune d’une amende de 1 million de yuans, ont vu leur note de crédit social rétrogradée et leurs responsables détenus par la police. « Le gouvernement fera preuve d’une tolérance zéro pour ce genre de comportement », a déclaré le ministre. Pas plus tard que le mois dernier, le bureau de l’environnement de Tangshan avait lancé un programme pilote pour réduire les émissions polluantes de ses aciéries de 40% cette année, ce qui représenterait une baisse de la production de 57,6 millions de tonnes d’acier brut.

Tous ces efforts pour sauver Pékin de la pollution et des tempêtes de sable ont ravivé sur la toile un débat vieux de plusieurs siècles : et si on déplaçait la capitale plus au sud ? Cela permettrait de résoudre les problèmes qui rendent la ville difficile à vivre, comme les embouteillages et la forte densité de population. Sans compter le manque d’eau et le phénomène de « subsidence », véritable casse-tête pour les autorités… L’idée de déménager la capitale n’est pas nouvelle. En 2000, le Premier ministre Zhu Rongji évoquait cette option si la désertification devenait trop importante. Six ans plus tard, 479 délégués proposaient au Parlement de déménager les agences gouvernementales en dehors de la ville. À ce jour, le gouvernement n’a toujours aucune intention de déménager, seuls les bureaux de la mairie devraient prendre leurs quartiers à Tongzhou, tandis que Xiong’an devrait devenir la nouvelle ville « intelligente » où il fait bon vivre. Ces deux nouvelles antennes suffiront-elles à désengorger Pékin et à chasser les nuages ? On peut en douter.

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Huang Runqiu, un ministre pas comme les autres

Ministre de l’Écologie et de l’Environnement, Huang Runqiu (黄润秋), 58 ans, est le symbole de la priorité donnée par le leadership à l’expertise par rapport à l’idéologie dans certains domaines. Après Wan Gang, ministre des Sciences et des Technologies, et Chen Zhu, le ministre de la Santé, tous deux nommés en 2007, Huang Runqiu est le troisième ministre non membre Parti communiste chinois (PCC) depuis la fin des années 70.

Né en 1963 dans le Hunan, Huang Runqiu a étudié la géologie et a enseigné à l’université des technologies de Chengdu, jusqu’à devenir son vice-président et prendre la tête d’un centre de recherche de renom en matière de protection de l’environnement. En parallèle, il intègre « société San Jiu », l’un des huit partis politiques tolérés par le gouvernement. Il monte à Pékin en 2016 et devient le vice-ministre de la Protection de l’Environnement, puis est chargé des négociations du traité sur la biodiversité en 2018. Devenu ministre en 2020, il reste toutefois hiérarchiquement inférieur au secrétaire du Parti du ministère, Sun Jinlong.

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