Editorial : Quelles « surcapacités » ?

Quelles « surcapacités » ?

C’est le mot que l’on entend un peu partout en ce moment : « surcapacités » (产能过剩, chǎn néng guòshèng), chinoises en particulier.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite clarification s’impose : en économie, la surcapacité désigne une situation où les équipements et les ressources humaines sont sous-utilisés parce qu’il y a trop de capacité productive par rapport à la demande effective. Cela peut être dû à une estimation excessive de la demande future, à une baisse soudaine de la demande, à une concurrence accrue entraînant une surproduction, voire à des subventions de l’État à ses industries. Les surcapacités peuvent avoir des conséquences économiques négatives, telles que la baisse des prix et la réduction des marges. Elles peuvent aussi mener à des licenciements, des fermetures d’usines et à une baisse générale de l’efficacité économique. Si la production excédentaire est exportée, cela peut provoquer des tensions commerciales et des accusations de dumping sur les marchés mondiaux.

Ce n’est pas la première fois que le sujet arrive sur le tapis. Il y a plus d’une décennie, la Chine avait déjà été accusée d’exporter ses surcapacités, notamment dans l’acier, l’aluminium et le ciment, ce qui avait décimé bon nombre de producteurs étrangers, incapables de s’aligner sur les prix chinois. Cette situation avait poussé les Etats-Unis et l’Union Européenne (UE) à déposer plainte à plusieurs reprises contre la Chine auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’accusant de pratiques commerciales déloyales, sans résultat probant.

Un peu plus tard, l’initiative « Belt & Road » (BRI) lancée par Pékin en 2013 remettait la thématique au goût du jour, l’un des objectifs du programme étant de mettre à profit ces surcapacités en les utilisant dans des projets d’infrastructure à l’étranger, aidant ainsi les entreprises chinoises (publiques comme privées) à trouver de nouveaux débouchés hors frontières.

L’histoire se répète aujourd’hui, sauf que le problème s’étend cette fois à des secteurs de pointe, tels que celui des énergies vertes et des véhicules électriques, appelés à devenir les nouveaux fers de lance de l’économie chinoise en relais de l’immobilier. Cette situation déplaît particulièrement aux Etats-Unis et à l’UE, qui seraient tous les deux prêts à imposer des tarifs douaniers pour protéger leurs marchés (Bruxelles doit rendre les résultats de son enquête d’ici quelques mois). La nouveauté est que certains pays émergents comme la Turquie, le Mexique, l’Argentine, le Brésil, l’Inde et l’Indonésie, ont eux aussi rejoint la cohorte des plaignants…

Si la Chine reconnaît que les surcapacités peuvent être un problème (surtout lorsqu’elles affectent son propre marché), elle nie farouchement que sa capacité manufacturière puisse représenter une menace pour les autres pays. Signe que Pékin ne fera pas marche arrière, la presse officielle a publié début avril, une série de commentaires qualifiant les plaintes au sujet de ses surcapacités industrielles d’ « exagérées » et d’ « hypocrites ». Cette importante couverture médiatique peut être interprétée comme le reflet de l’inquiétude quant aux dégâts que provoqueraient des mesures protectionnistes sur son économie. De manière plus concrète, la Chine a porté plainte auprès de l’OMC contre les subventions « discriminatoires » accordées aux véhicules à énergies nouvelles par le gouvernement américain.

Que disent les chiffres ? Selon une analyse de Bloomberg, la capacité d’utilisation chinoise varie considérablement en fonction des secteurs. Dans le cas des panneaux solaires, du ciment et des batteries, le taux est plutôt faible (autour de 30%), ce qui désigne un excès de capacité significatif. Par contre, dans le cas des véhicules électriques et des éoliennes, il indique une utilisation « normale » de l’outil de production (autour des 80%). Dans ce cas précis, il serait donc plus juste de parler de « compétitivité » plutôt que de surcapacités. La question étant de savoir si cet avantage compétitif est le fruit de généreuses subventions accordées par le gouvernement chinois ou de la capacité d’innovation de ses producteurs…

Quoi qu’elle en dise, régler le problème structurel de ses surcapacités industrielles permettrait à la Chine de ne pas se rendre trop dépendante de ses exportations et lui épargnerait bon nombre de conflits commerciaux. Le problème est que la Chine produit trop de tout, même à perte. Or, seules les entreprises privées font faillite, les entreprises d’Etat (SOEs) bénéficiant souvent de la protection et des subventions du gouvernement (local). La solution serait donc de réformer ces SOEs, ce qui impliquerait inévitablement des pertes d’emplois massives avec un risque accru d’instabilité sociale, la hantise de Pékin.

L’autre option serait bien sûr de stimuler le taux de consommation des ménages chinois qui n’est que de 38 %, soit 18 points en dessous de la moyenne mondiale. Y remédier nécessiterait d’améliorer la couverture sociale, voire de revoir le système de répartition des richesses.

Ni l’une ni l’autre des solutions évoquées n’est facile à mettre en œuvre et si Pékin décide un jour ou l’autre de s’atteler à la tâche, ce sera pour répondre à ses propres impératifs, pas pour les beaux yeux de Bruxelles ou Washington. 

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