Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour voir la Chine réagir : cinq jours seulement après que la Commission européenne ait annoncé une hausse provisoire des tarifs douaniers à l’encontre des véhicules électriques « made in China », Pékin a répliqué le 17 juin en ouvrant une enquête antidumping sur le porc européen (3 milliards de $ d’exportations vers la Chine en 2023).
Cette investigation vient s’ajouter à une autre, ouverte il y a six mois, contre les brandys en provenance de l’Union européenne et ciblant de fait la France, pays qui a fait campagne auprès de Bruxelles pour protéger son industrie automobile. Les résultats pourraient être communiqués d’ici la fin août, soit peu après l’entrée en vigueur prévue des tarifs européens contre les voitures électriques chinoises (4 juillet).
Officiellement, l’enquête visant le porc européen a été ouverte suite au récent dépôt de plainte des professionnels chinois du secteur porcin auprès de leur ministère du Commerce. Cependant, cela faisait des semaines que la presse officielle jouait avec les nerfs des milieux d’affaires en énumérant les secteurs (produits laitiers, grosses cylindrées, aéronautique…) pouvant faire l’objet de mesures de rétorsion de la part de Pékin.
Cette tactique avait déjà été employée par la Chine en 2020, lorsqu’elle prévoyait de sanctionner l’Australie pour avoir osé demander une enquête sur les origines de la Covid-19. Ce sont finalement les vins « from the land down under » qui ont fait les frais de la dispute entre Pékin et Canberra. Il aura fallu attendre quatre longues années et un réchauffement des relations entre les deux pays pour que la Chine lève ses tarifs…
A vrai dire, voir le porc européen pris pour cible n’est pas exactement une surprise. Parmi les principaux pays européens exportateurs de porc vers la Chine (Espagne, Danemark, puis Pays-Bas suivis par la France) se trouvent aussi les principaux soutiens de Bruxelles dans son enquête sur les subventions dont bénéficient les véhicules électriques chinois.
L’autre facteur qui a sûrement poussé Pékin à s’en prendre au porc européen est la situation domestique. Après avoir vu un quart de leurs bêtes décimées par la fièvre porcine africaine ces dernières années, les producteurs chinois ont accéléré leur modernisation pour se protéger contre la maladie et se retrouvent aujourd’hui en surproduction. A tel point que Pékin leur a demandé de réduire la taille de leur cheptel de 2 millions de truies… Résultat : les prix du porc sont en berne depuis de longs mois, sous l’effet conjugué de consommateurs devenus plus regardants à la dépense…
Ainsi, en réduisant ses importations européennes, Pékin pourrait faire remonter les prix et lutter contre le spectre de la déflation qui plane sur son économie, tout en montant les nations européennes exportatrices contre Bruxelles. Voilà qui s’appelle faire d’une pierre deux coups.
Tarifs ou non, les exportations de porc européen vers la Chine étaient de toute façon amenées à baisser, étant donné la redoutable concurrence des producteurs brésiliens et américains.
Cela n’empêche pas les producteurs hexagonaux d’accuser le coup : la Chine représente leur premier marché à l’export (hors Europe), selon l’association interprofessionnelle Inaporc. Même si elles étaient en recul de 20 % l’an dernier, les ventes vers ce pays ont atteint 257 millions d’euros en 2023. Il s’agit essentiellement de pièces non consommées en France (pieds et oreilles), mais très appréciés en Chine. L’Empire du Milieu étant l’un des seuls acheteurs pour ces morceaux, les producteurs auront du mal à trouver d’autres débouchés…
Si les tarifs se matérialisent (au plus tôt 60 jours après l’ouverture de l’enquête, au plus tard d’ici 18 mois), ce serait un coup dur pour une filière qui se félicitait encore en mai dernier d’un accord ouvrant la voie à l’exportation des abats blancs (estomacs et intestins), conclu durant la visite de Xi Jinping en France.
Et Pékin pourrait bien ne pas s’arrêter là. Le quotidien nationaliste « Global Times » a récemment rapporté une proposition visant à augmenter de 10% les taxes douanières sur les importations de grosses cylindrées, ce qui affecterait particulièrement les constructeurs allemands comme Audi, BMW, Mercedes et Porsche. Cette décision pourrait toutefois s’avérer contreproductive puisque Berlin s’est déjà ouvertement prononcé contre l’enquête de Bruxelles, mais pourrait inciter Olaf Scholz à poursuivre son lobbying auprès de la Commission européenne avant que les tarifs ne deviennent « définitifs » en novembre prochain…
Il est donc hautement probable que Pékin attende cette échéance pour rendre sa décision sur le porc. Peut-être que le cognac connaitra son sort avant cela… Une lueur d’espoir nous vient néanmoins du ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck qui, de passage à Shanghai, a révélé que la Chine avait finalement accepté d’entamer des négociations concrètes avec Bruxelles au sujet des véhicules électriques. « Il s’agit de quelque chose de nouveau et de surprenant dans le sens où cela n’avait pas été possible auparavant », a-t-il précisé. L’avenir nous dira si Bruxelles a eu raison de miser sur la manière forte.
Sommaire N° 22 (2024)