Géopolitique : Le rapprochement Russie et Corée du Nord

Le rapprochement Russie et Corée du Nord

Le 20 juin, le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un ont signé un accord qui promet une assistance mutuelle si l’un ou l’autre pays est confronté à une « agression ». L’accord a été conclu alors que Vladimir Poutine se rendait en Corée du Nord pour la première fois depuis 24 ans, un voyage qui a mis en valeur leurs liens personnels et géopolitiques. La Corée du Nord et l’ex-URSS avaient signé un traité en 1961 qui nécessitait l’intervention militaire de Moscou si la Corée du Nord était attaquée. L’accord a été abandonné après l’effondrement de l’URSS, remplacé par un autre en 2000 qui offrait des garanties de sécurité plus faibles.

Selon le texte de l’accord publié le 21 juin par l’agence de presse officielle nord-coréenne KCNA, si l’un des deux pays est envahi et poussé dans un état de guerre, l’autre doit déployer « tous les moyens à sa disposition sans délai » pour fournir « une assistance militaire et autre ». L’accord appelle également les pays à coopérer activement dans les efforts visant à établir un « nouvel ordre mondial juste et multipolaire », a déclaré KCNA, soulignant la manière dont les pays s’alignent face à leurs confrontations séparées avec les États-Unis. C’est devenu en effet la routine que l’expression « multipolaire » signifie simplement l’opposition à l’Occident (« dominé » par les Etats-Unis) et la volonté d’imposer un ordre mondial illibéral dirigé par la Chine, assisté de ses principaux partenaires géopolitiques Russie, Corée du Nord et Iran.

Vladimir Poutine a qualifié ce pacte de « document révolutionnaire » reflétant la volonté commune de faire passer les relations à un niveau supérieur tout en donnant à l’accord une portée historique en rappelant que l’armée soviétique avait combattu l’armée japonaise sur la péninsule coréenne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et le soutien de Moscou à Pyongyang pendant la guerre de Corée.

Kim, de son côté, a déclaré que les deux pays avaient une « amitié ardente » et que l’accord était leur « traité le plus fort jamais conclu », plaçant la relation au niveau d’une alliance promettant un soutien total à la guerre de la Russie en Ukraine.

Ces propos semblent confirmer les suspicions des responsables américains et sud-coréens qui accusent la Corée du Nord d’avoir fourni à la Russie de l’artillerie, des missiles et d’autres équipements militaires destinés à être utilisés en Ukraine, peut-être en échange de technologies militaires et d’aide. Ces derniers mois, la Corée du Nord aurait ainsi transféré illégalement des dizaines de missiles balistiques et plus de 11 000 conteneurs de munitions pour aider l’effort de guerre de la Russie.

Cet accord intervient alors que les deux pays sont déjà au ban de la communauté internationale. En effet, la Corée du Nord est soumise à de lourdes sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU pour son programme d’armement et la Russie fait également face à des sanctions de la part des États-Unis et de ses partenaires occidentaux pour son invasion de l’Ukraine.

Certes, Pyongyang et Moscou nient tous deux les accusations de transferts d’armes, qui violeraient les multiples sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU que la Russie avait précédemment approuvées. Pour autant, avec la Chine, la Russie a bloqué à plusieurs reprises les efforts menés par les États-Unis pour imposer de nouvelles sanctions de l’ONU à la Corée du Nord pour ses essais d’armes. Plus encore, en mars, un veto russe au Conseil de sécurité a mis fin à la surveillance des sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord en raison de son programme nucléaire.

Cet accord et sa mise en spectacle, digne des films de propagande soviétique des années 1950, illustre encore une fois la faiblesse de l’ordre international : l’isolement n’est plus possible quand le pays « isolé » trouve un renfort économique et idéologique du côté de la première puissance industrielle mondiale. En effet, la Chine demeure le premier partenaire commercial de la Russie et de la Corée du Nord. Pékin leur apporte également un soutien politique et une couverture diplomatique. Ainsi, à chaque fois, c’est la Chine qui, autant avec la Russie que la Corée du Nord, permet à ces pays non seulement de survivre aux sanctions internationales mais même de continuer à avancer dans leurs projets de destruction d’un ordre mondial dont l’Occident est affirmé être le principal bénéficiaire. En réalité, ces 30 dernières années, c’est la Chine qui a, plus que tout autre pays, profité de la globalisation des échanges.

Dans ce contexte, la question se pose de savoir si le nouveau pacte Russie-Corée du Nord est une bonne ou une mauvaise chose pour la Chine.

Pour l’instant, la réponse de Pékin a été minimale. Lin Jian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a refusé de commenter le nouvel accord. « La coopération entre la Russie et la RPDC est une affaire entre deux États souverains. Nous n’avons pas d’informations sur cette affaire », a-t-il déclaré. Une telle réserve montre à la fois une difficulté et un opportunisme.

D’un côté, les dirigeants chinois s’inquiètent probablement d’une perte potentielle d’influence sur la Corée du Nord et de la façon dont ce pacte pourrait accroître l’instabilité dans la péninsule coréenne.

De fait, le bureau du Président sud-coréen Yoon Suk-Yeol a publié un communiqué condamnant l’accord, le qualifiant de menace pour la sécurité de son pays et de violation des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, et avertissant qu’il aurait des conséquences négatives sur les relations de Séoul avec Moscou. Le conseiller à la sécurité nationale de Yoon, Chang Ho-jin, a même déclaré que Séoul reconsidérerait la question de la fourniture d’armes à l’Ukraine. En réponse, de Hanoï, où il s’est rendu après Pyongyang, Poutine a déclaré que fournir des armes à l’Ukraine serait « une très grosse erreur » de Séoul et conduirait à « des décisions qui ne plairont probablement pas aux dirigeants actuels de la Corée du Sud ».

En outre, s’aligner complétement sur Pyongyang et Moscou serait contraire aux objectifs de la Chine d’améliorer ses liens avec le Japon et la Corée du Sud et de maintenir ses relations avec l’Europe, mis à mal par le soutien à la Russie. Comme le déclarait Nicholas Burns, ambassadeur de Washington à Pékin : « les Chinois n’ont pas compris la valeur fondamentale que nous accordons dans notre monde actuel à la paix et à l’unité en Europe même ».

D’un autre côté, il est évident que Russie, Corée du Nord et Chine se retrouvent dans leur objectif de « créer une alternative à l’ordre mondial dirigé par l’Occident ». S’exprimant après sa rencontre avec Kim, Poutine s’est emporté contre « la politique impérialiste des États-Unis et de ses satellites ». Il y a un mois, Poutine et Xi prenaient pour cible le système de sécurité mondial défini par des alliances militaires soutenues par les États-Unis, s’engageant à travailler ensemble pour le contrer. Certes, Pékin pourrait craindre que l’aide de Moscou à Pyongyang n’enhardisse davantage le régime de Kim qui échapperait à son contrôle. Mais, en même temps, cela lui permettrait de faire passer le blâme de son aide à la Russie sur la Corée du Nord et le reproche de son aide à la Corée du Nord sur la Russie.

Enfin, en se renforçant mutuellement, la Russie et la Corée du Nord renforcent aussi le poids stratégique de la Chine comme seule médiatrice entre l’Occident d’un côté, et la Corée du Nord et la Russie de l’autre. Ainsi, paradoxalement peut-être, plus la Chine aide les Etats parias, plus elle se rend indispensable aux yeux de la communauté internationale – à moins qu’elle-même, prise un jour d’une fureur guerrière, n’en devienne un…

Par Jean-Yves Heurtebise

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