Environnement : « Objectif : neutralité carbone 2060 »

Surprise lors de la 75ème assemblée générale des Nations Unies le 22 septembre : le Président chinois annonçait pour son pays un engagement de neutralité carbone à l’horizon 2060. Moins épatant, Xi Jinping révélait également que la Chine atteindrait son pic d’émissions à 10,2 milliards de tonnes de CO2 « avant » 2030 (au lieu de « autour ») – une déception pour les Européens qui estiment la Chine capable d’avancer cette échéance à 2025.

Le Président Xi aurait pu choisir de dévoiler les engagements chinois lors d’une déclaration commune avec l’UE durant leur sommet en vidéoconférence qui a eu lieu deux semaines plus tôt. Il a toutefois préféré le faire unilatéralement à la tribune virtuelle de l’ONU, lui permettant d’infliger un camouflet au climatosceptique Président Trump qui accuse la Chine de tous ses maux, et d’envoyer un message positif à son adversaire démocrate Joe Biden qui a promis que les États-Unis réintégreraient l’Accord de Paris (COP21) s’il était réélu le 3 novembre.

La portée de la déclaration du Président Xi, qui ne faisait plus de référence à la Chine comme « un pays en voie de développement », est bien sûr éminemment symbolique : hier encore vilipendée pour son médiocre bilan en matière de lutte contre la pollution, évasive sur les questions climatiques et désignée responsable de la débâcle de la COP15 à Copenhague en 2009, la Chine, premier pays émetteur de CO2 au monde (28,8% des émissions globales) est devenue aujourd’hui n°1 mondial dans le solaire et l’éolien, premier producteur de véhicules électriques, et convoite le leadership en matière climatique. Et ce, malgré son addiction au charbon… 

Depuis cette annonce retentissante, les experts sont partagés : en faisant cette promesse de neutralité carbone, Xi Jinping, qui aura passé les rênes du pouvoir bien avant 2060, ne laisse-t-il pas la question climatique aux générations futures ? Le gouvernement prendra-t-il des décisions radicales dans son prochain plan quinquennal (2021-2025), dont les grands traits devraient être dévoilés à la fin de ce mois, avant d’être adopté lors la prochaine session parlementaire en mars 2021 ? Dans l’immédiat, la transition énergétique va-t-elle être reléguée au second plan au profit de mesures de relance de l’économie post-Covid-19 ? Exempte-t-elle la Chine de financer 240 projets de centrales à charbon conventionnelles dans 25 pays adhérant à son initiative BRI pour 50 milliards de $ ? Surtout, comment la Chine pourrait-elle réussir son pari sans renoncer à la construction massive de nouvelles centrales à charbon (97,8 GW en cours et 151,8 GW en préparation), en plus de ses 1040 GW déjà installés ?

« Aujourd’hui, cet objectif ressemble un peu à de la science-fiction », commentait Li Shuo responsable du climat et de l’énergie à Greenpeace Chine. « Notre manière de produire, de consommer de l’énergie, de nous alimenter, de nous déplacer, l’ensemble de notre mode de vie devra être complètement réarrangé ». « La transformation requise est gargantuesque et les investissements nécessaires sont colossaux », renchérissait Varun Sivaram, chercheur à l’université Columbia. Pour que ces rêves deviennent réalité, le gouvernement pourrait avoir à dépenser plus de 15 000 milliards de $ sur 30 ans, selon le chercheur He Jiankun.

Cinq jours après l’annonce de Xi Jinping à l’ONU, le 27 septembre, l’institut de l’énergie, de l’environnement et de l’économie de l’université Tsinghua, qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Environnement, dévoilait certains détails d’un plan de route énergétique sur trois décennies, en cours d’élaboration par les meilleurs experts du pays. Le schéma ambitionne d’augmenter de 5% d’ici 2025 la part des sources d’énergies non fossiles (solaire, éolien, nucléaire, hydro…) dans son mix énergétique pour atteindre les 20%, cinq ans plus tôt que prévu. Selon les calculs de Bloomberg, cela signifierait que ces énergies alimenteraient 42% du réseau chinois – 10% de plus qu’aujourd’hui. Puis, entre 2025 et 2060, l’énergie générée par l’éolien (+346%) et le nucléaire devrait presque quadrupler (+382%), voire être multipliée par six dans le cas du solaire (+587%) ! La Chine vient d’ailleurs d’annoncer le raccordement de la plus grande ferme solaire du pays (2,2 GW), construite en quatre mois dans le Qinghai. En parallèle, elle développe des lignes très haute-tension à courant continu pour pouvoir transférer l’énergie renouvelable produite dans la Chine de l’Ouest vers la Chine côtière où se situent les besoins, et développe des technologies de production propre d’hydrogène qui pourraient être un bon moyen de gérer l’intermittence des renouvelables.

Si la Chine a déjà démontré qu’elle est capable d’accomplir d’immenses chantiers d’infrastructures, réussir à atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2060 dépendra essentiellement du sort qu’elle réservera au charbon. Selon le plan, sa part dans le mix énergétique chinois devrait être réduite à 52% en 2025, contre 57,5% actuellement. La bataille contre le charbon débutera donc véritablement après 2035, lorsque la demande totale du pays en énergie commencera à décliner. L’objectif est de se débarrasser complètement du charbon pour sa production électrique autour de 2050. Pourtant, c’est uniquement à cette échéance que les dizaines de centrales en cours de construction aujourd’hui seront rentabilisées. Et la tendance s’accélère : selon le Global Energy Monitor (GEM), entre janvier et juin cette année, les gouvernements locaux auraient encore approuvé près de 17GW de nouveaux projets dans l’espoir de relancer leurs économies impactées par l’épidémie – c’est plus que les 24 derniers mois cumulés.

Ainsi, atteindre la neutralité carbone en 2060 semble irréaliste si l’État décide de poursuivre ces chantiers qu’il avait fini par réautoriser sous pression des lobbies, malgré les surcapacités notoires : en 2019, les centrales thermiques ne fonctionnaient en moyenne qu’à 49% de leur capacité. En un effort d’optimisation et de restructuration du secteur, le gouvernement provincial du Shanxi vient d’ailleurs de révéler le regroupement de quatre mammouths du charbon autour du groupe Jinneng, une fusion impliquant des trillions de yuans d’actifs et des milliers d’employés. 

Cependant, il faudra une réelle volonté politique au plus haut niveau pour se distancier du charbon, dont le lobby est particulièrement puissant dans certaines provinces, et proposer des relais de croissance dans ces régions qui ont déjà souffert et perdu des centaines de milliers d’emplois ces dernières années, souvent dans la guerre contre la pollution de l’air. « Il faut absolument freiner l’expansion du charbon dès à présent. Chaque nouveau kilowatt de capacité installée aujourd’hui sera un poids supplémentaire après 2030 », a déclaré le 28 septembre Yuan Jiahai, professeur à l’université de l’Énergie du Nord de la Chine (Pékin). « Il est également nécessaire de placer le marché au centre de la transition énergétique et de sevrer le secteur des énergies renouvelables des subventions de l’État au cours des cinq prochaines années ».

Il ne faut pas non plus oublier que la neutralité carbone implique pour tous les pays de réduire les émissions nettes à zéro, c’est-à-dire ne pas relâcher dans l’atmosphère plus de CO2 que ce qui peut être absorbé, notamment grâce aux « puits » naturels de carbone (forêts, prairies…). Or certaines industries sont particulièrement difficiles à décarboniser, comme la production d’acier, de ciment, le transport aérien, la pétrochimie… Dans ces conditions, la Chine n’aura d’autre choix que d’avoir recours à des technologies de captage, d’utilisation et de stockage de CO2 (CCUS), qui pourraient potentiellement équiper ses nouvelles centrales à charbon. Yang Xiaoliang, expert à l’institut des ressources mondiales (WRI), préconise d’intégrer dans le 14ème plan quinquennal des incitatifs aux entreprises à développer de tels systèmes, déjà expérimentés en Chine, mais jamais déployés à large échelle. Sous cet angle, investir massivement dans les CCUS pourrait être un moyen pour la Chine d’inventer sa propre trajectoire énergétique, lui permettant de réduire ses émissions sans abandonner le charbon. Reste à savoir si le coût énergétique associé à ces technologies ne nécessitera pas plus d’énergie que celle récupérée lors de la combustion du charbon …

Au final, force est de constater que la politique énergétique chinoise n’est aujourd’hui pas alignée avec l’objectif d’une neutralité carbone d’ici 40 ans. Même si on peut légitimement se demander comment la Chine va s’y prendre pour tenir cette promesse, dont l’annonce semble avoir pris certaines administrations par surprise, il ne faut en tout cas pas sous-estimer la détermination et la capacité de la Chine à porter des politiques ambitieuses sur le long-terme, même si celles-ci suscitent des résistances en interne ou ne sont pas populaires auprès de la population …

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1 Commentaire
  1. severy

    Il n’est pas interdit de rêver. En tout cas, on souhaite à la Chine tout le succès qu’elle est en droit de rêver sur le front d’une industrie propre non-orientée vers l’armement.

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