Petit Peuple : Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) : La faute du lycéen Batumenghe (2ème partie)

Condamné à 15 ans de prison pour le meurtre d’un copain de classe, le lycéen mongol Batumenghe attend toujours son mandat d’incarcération…

Aux habitants de Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) en juillet 1993, 15 jours après le verdict, Batumenghe offrit une scène de grand théâtre. Allongé sur une carriole, avec sa mère et son oncle à ses côtés pour l’assister, il se rendit à l’hôpital de Hulunbuir (le chef-lieu de district), attendu sur le perron par un médecin, stéthoscope autour du cou, et le directeur sorti exprès pour l’accueillir. L’auscultation eut lieu dans la chambre qui lui avait été réservée, puis le diagnostic se répandit comme une traînée de poudre à travers la ville : le pauvre jeune souffrait d’une forme aiguë d’œdème à l’abdomen, aggravé par des pertes de sang dans les urines.

Dans ces conditions, le mettre en prison n’était plus envisageable dans l’immédiat. Ainsi en attestèrent par écrit l’oncle – secrétaire du Parti du village, le directeur de l’hôpital, le président du tribunal, le procureur de la République et une brochette d’autres huiles de la nomenklatura locale. Batumenghe obtint donc la rarissime dispense de détention, tout en passant sa convalescence à l’hôpital, dorloté par les infirmières et requinqué aux petits plats de sa mère et d’un traiteur de la ville. Une fois sorti, de retour au bercail, il n’avait plus qu’à se faire oublier, garder profil bas et se présenter tous les six mois au commissariat.

Les premières années, le jeune homme mena donc cette vie retirée, sortant avec modération avec ses copains, et se livrant en autodidacte – pour combattre l’ennui- à des études à la maison pour compenser son interdiction de facto d’aller à l’université -faute d’avoir pu passer son gaokao (baccalauréat).

Il devait cependant toujours rester sur ses gardes : Han Bei, la mère du copain qu’il avait occis en la fatale nuit de beuverie, ne ratait pas une occasion de dénoncer son crime et de raconter à qui voulait l’entendre toute l’affaire, avec profusion de détails. Chez cette femme, la police tolérait l’esclandre, la mettant sur le compte de la douleur, sauf quand elle dépassait les bornes, en accusant de complaisance, collusion ou corruption tel ou tel cadre qui avait signé le sursis médical. Alors, le rond de cuir incriminé se plaignait, forçant la police judiciaire à la coffrer pour lui rappeler le respect des convenances. Han Bei passait la nuit en cellule individuelle, avant d’être relâchée le lendemain matin.

Il faut bien le dire, la pauvre femme avait des raisons de se plaindre. L’entourloupe judiciaire qui avait évité la prison au jeune meurtrier de son fils avait été suivie deux ans plus tard par l’abandon de son mari, qui ne supportait plus « cette région sauvage protégeant les assassins pourvu qu’ils soient haut placés ». Ce père déboussolé s’était ainsi résolu à retourner dans son Hebei natal. Mais Han Bei elle, s’accrochait et résistait, prétendant rester quoiqu’il en coûte, jusqu’à ce qu’elle obtienne justice.

Et comme un malheur n’arrivait jamais seul, Bai Yongle, leur fils aîné devait succomber à son tour des suites d’une longue maladie. Ainsi la mère demeurait-elle sur cette terre inhospitalière, pour mener seule sa charge contre les moulins à vent, remâchant amèrement sa patience et sa rage.

Batumenghe lui aussi attendait le grand jour : en mai 2017, accompagné de sa mère promue présidente du planning familial local, il se présenta à la prison pour obtenir son certificat de levée d’écrou. Une fois en main le papier contresigné par le directeur et le président du tribunal, il pouvait refaire surface. Il prit alors un emploi de comptable – histoire de faire connaissance avec le monde du travail, et de pouvoir fleurir son CV d’activités au service du peuple. C’était ainsi créer le tremplin de son avenir : à 34 ans, en janvier 2009, il sollicita son admission au Parti. Dans la lettre de motivation comme dans le formulaire d’adhésion, il omettait de préciser sa condamnation.

Accueilli à bras ouverts par ses pairs, Batumenghe était prêt à mettre les bouchées doubles pour rattraper tambour battant ces 15 ans d’exil à la maison. Dès septembre, il se faisait élire (à coup d’enveloppes bien remplies de billets roses) maire de Bannière du vieux Barag, et par-dessus le marché membre du Parlement mongol. Trois ans plus tard, il arrivait à Pékin, promu député à l’Assemblée nationale populaire.

Dès lors, les jacasseries de la vieille Han Bei ne lui importaient plus guère : il en entendait le bruit comme la rumeur affaiblie des vagues dans le lointain. Le discours était usé, et le disque rayé ne lui semblait pas porteur du moindre danger : la pauvre femme avait perdu la boule. Certes, il le savait, d’autres parmi les administrés, ricanaient que sa condamnation n’avait été que punition « sur le papier ». Mais à ses yeux, de telles calomnies ne l’empêchaient pas de dévorer la vie « à crocs de loup et de tigre » (lángtūnhǔyàn, 狼吞虎咽), et rien d’autre n’importait !

Han Bei finira-t’elle par obtenir satisfaction? Vous le découvrirez, chers lecteurs, la semaine prochaine!

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1 Commentaire
  1. severy

    Une semaine d’attente de la suite d’un récit d’Éric Meyer est plus insupportable que quinze années de prison dans un coin perdu de Mongolie intérieure.

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