Petit Peuple : Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) : La faute du lycéen Batumenghe (3ème partie)

Pour l’instant encore, le crime paie pour Batumenghe, le jeune mongol qui a tué son camarade il y a 15 ans. Dispensé de prison pour soi-disant raisons médicales, il fait depuis une carrière sensationnelle. Mais la vengeance et le droit veillent…

Pour Batumenghe, député-maire de Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) depuis octobre 2009, les affaires prospéraient, aidées par la proximité de la Sibérie russe. Aux hommes d’affaires des deux pays, il octroyait visas, recommandations et licences, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ainsi les pots-de-vin tombaient sans effort.

L’économie locale, et celle russe, n’y perdaient rien. Les usines se montaient, crachant leurs fumées noires alimentant des milliers d’emplois. Stimulés par l’appel de la ville, les paysans troquaient le riz pour des légumes de serre, anxieux de s’enrichir rapidement. Batumenghe voyait sa notoriété franchir la frontière du pays et celle du district : il avait la réputation sulfureuse d’un homme au passé chargé, à la poigne dure, faisant la pluie et le beau temps. Tout cela aurait pu perdurer toute sa vie, avec le soutien solide de la haute société des hobereaux rouges et des entrepreneurs du district.

Sauf qu’un jour arriva le grain de sable dans la machine. Comme souvent en Chine, cela advint par un changement du vent à Pékin, un tournant du climat politique. En mars 2013, Xi Jinping prit son office à la tête du pays et du Parti. Comme tous ses prédécesseurs, il promettait de casser la corruption, qu’elle soit au sein de l’appareil ou dans les milieux économiques. Seulement lui, il arrivait avec la ferme intention de tenir sa parole et promettait d’emprisonner sans état d’âme les coupables grands ou petits, « les mouches, et même les tigres ».

En entendant une telle prétention, les hauts cadres mongols se prirent à sourire : ils en avaient vu d’autres, et étaient surs de pouvoir préserver entre eux la cohésion et la loi du silence, pour ramener à la raison le leader débutant. Mais trois ans plus tard, ils sentirent perler la sueur à leurs tempes quand débarquèrent à Hohhot (la capitale locale) et à Hulunbuir 80 limiers et comptables hors pairs, qui se jetèrent sur les principales administrations pour y poser les scellés et éplucher les livres de comptes, faisant ouvrir (ou fracturer en cas de résistance) coffres-forts et caisses noires. Quelques semaines plus tard, le gouverneur et le secrétaire du Parti furent destitués, suivis de dizaines d’apparatchiks : une grande partie du gouvernement de Mongolie-Intérieure passait ainsi à la trappe. Les villas des dirigeants étaient soudain inondées d’hommes de troupes et de camions qui malmenaient et embarquaient meubles de luxe, œuvres d’art et trésors cachés (liasses de dollars ou de renminbi en gros sacs exhumés des caves, des greniers ou des parterres de fleurs). A distance respectueuse derrière les portails béants, la foule admirait, mi-admirative, mi-terrorisée !

Batumenghe dès lors, effrayé, passa ses nuits à méditer ou prier ses ancêtres, et ses jours en prosternations dans tous les temples (taoïstes, bouddhistes, confucéens, chrétiens), allumant des boisseaux d’encens dans l’espoir futile de reculer l’échéance.

Cette même année, Han Bei, la mère, fut approchée par un jeune commissaire récemment débarqué, à qui elle conta le meurtre de son fils en 1992 et le subterfuge ourdi pour épargner Batumenghe de la prison. Le représentant de la loi, cette fois, lui prêta foi. Il réclama l’accès aux archives du tribunal, entendit son président, le directeur de la prison. En deux mois, il bétonna son dossier, affûta son accusation : à l’issue de son année de sursis médical, déclara-t-il, Batumenghe avait fraudé la loi en « oubliant » de retourner en taule. Batumenghe alors eut un sursaut désespéré, montant à Pékin pour supplier son institution, le Parlement, alléguant son œuvre de développement de sa région arriérée. Dans ce combat d’arrière-garde, il fut accompagné par plusieurs de ses soutiens, tous conscients que le seul salut possible résidait dans la défense collective et l’union sans faille. Mais sans espoir – les ordres centraux étaient sans appel. En avril 2017, Batumenghe fut appréhendé et vit ses biens saisis – son manoir, son écurie de 15 chevaux de race, ses 2 000 hectares de vignes. Le juge lui imposa alors 13 ans et sept mois à l’ombre – le reliquat de sa peine d’origine, moins l’année de sursis médical. De plus, en 2019, les enquêteurs déterrèrent une autre de ses fraudes : un collectif de bergers l’accusait d’avoir détourné des fonds destinés à la réhabilitation de la prairie mongole, pour un total de 282 000 yuans. En conséquence, le juge rétablit sa peine aux 15 ans d’origine, et les assortit d’une amende de 200 000 yuans, de la privation de ses droits civiques, et bien sûr, de la carte du Parti. Quant au nouveau secrétaire du Parti, il vint le narguer dans sa cellule, pour lui témoigner tout son dégout pour son attitude indigne : l’enquête se poursuivait, et tout nouveau crime détecté alourdirait sa peine. Il risquait la mort, au pire ! De son côté, Han Bei jubilait enfin : après avoir souffert et attendu 27 ans, « dormant sur des fagots et buvant le calice de bile amère » (卧薪尝胆, wò xīn cháng dǎn ), elle voyait sonner, telles des trompettes triomphales, la douce heure de la vengeance !

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1 Commentaire
  1. severy

    Pour Batumenghe, l’existence dorée de membre éminent du Parti a viré au Cauchemar dans le pavillon rouge. Vae victis.

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