Taiwan : Sous la pression de Pékin, Taïwan entre en résistance

Le dernier sondage de l’Institut de recherche américain Pew portant sur l’image de la Chine dans le monde, le premier post-Covid de cette envergure, livre un constat sans appel : la réputation de la Chine dans le monde n’a jamais été aussi mauvaise que ces vingt dernières années. En Suède, 85% des personnes interrogées ont une image négative de la Chine ; en Australie, 81% ; au Royaume-Uni, 74%. On pourrait mettre cela sur le compte de gouvernements occidentaux hostiles et d’une presse devenue majoritairement critique. Mais cela suppose que c’est la presse ou le gouvernement qui font l’opinion, alors que le mouvement peut tout aussi bien être inverse : c’est l’opinion publique qui parfois oblige le gouvernement à changer de direction. Cela semble avoir été le cas au Royaume-Uni : souvenons-nous qu’en février 2020, Boris Johnson déclarait : « J’aime la Chine » et que Londres semblait sur le point d’accepter la 5G de Huawei, induisant la presse à abonder dans son sens.

De plus, les actions de la Chine même ne sont pas étrangères à ce sursaut du sentiment négatif. Dans le cas de l’Australie et de la Suède, cela paraît clair. Il y a un an, l’ambassadeur de Chine en Suède, Gui Congyou avait déclaré, suite à la décision de la ministre de la Culture, Amanda Lind, de remettre le prix P.E.N.-Tucholsky, à Gui Minhai, le libraire dissident de Hong Kong : « Nous traitons nos amis avec du bon vin mais pour nos ennemis nous avons des fusils ». Quant à l’Australie, le rédacteur en chef du Global Times avait qualifié le pays de « chewing-gum collé aux semelles » de la Chine pour souligner la dépendance de Canberra aux achats de matières premières par Pékin.

Mais ce qui semble plus inquiétant pour le Parti communiste chinois sous la direction de Xi Jinping, c’est que ce sentiment négatif provient même de pays dont le gouvernement a adopté une politique « prochinoise », comme c’est le cas en Corée du Sud. Réélu triomphalement pour sa gestion de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement Moon, tout à son désir de réunification sous patronage chinois, semble impuissant à contrôler un sentiment négatif (partagé par 75% des répondants) envers la Chine, plus élevé même qu’aux États-Unis (74%) ! De même, les 86% d’opinions négatives au Japon viennent contredire le rapprochement Japon-Chine qu’Abe avait initié avant la Covid-19 dans la perspective des JO de Tokyo : le retour des pressions chinoises sur les îles Senkaku en juillet a enterré cette perspective et conduit au renforcement de l’implication japonaise dans le QUAD (union de l’Australie, l’Inde, le Japon, et les États-Unis dans l’Indo-Pacifique).

Il y a donc une fenêtre d’opportunité réelle pour Taïwan – laquelle est aussi et en même temps une zone à haut risque. Dans son discours du 10 octobre pour le 109ème anniversaire de la fondation de la République de Chine, la présidente Tsai Ing-wen (cf photo) a dressé un constat clair de la situation. D’un côté, la gestion de la crise a attiré l’attention et l’admiration du monde et permis à Taïwan d’être une des seules économies développées à avoir un PIB positif sur l’année (1,6% de croissance). De l’autre, une telle exposition a entraîné une recrudescence des menaces chinoises : l’armée a dû procéder à deux fois plus d’interception d’avions de chasse chinois que pendant toute l’année dernière : 4 132 sorties, en hausse de 129% par rapport à 2019.

Traduisons et citons donc Tsai : « En raison de la menace de la Covid-19, 2020 a été une année mouvementée pour Taïwan et le monde. Cette crise a cependant permis à la communauté internationale de percevoir le caractère et les capacités uniques de Taïwan comme une île de résilience. […] Depuis mars, les performances dans le contrôle de la pandémie ont été couvertes par plus de 3 300 articles dans les médias internationaux […] et notre image internationale n’a jamais été meilleure. […] Bien entendu, les perspectives économiques de Taïwan dépendent également de la paix et de la stabilité régionales. Nous sommes conscients que faire preuve de faiblesse et faire des concessions n’apportera pas la paix. Une préparation adéquate et le recours à de solides capacités de défense nationale sont le seul moyen de garantir la sécurité de Taïwan et de maintenir la paix régionale. […] Des différends dans les mers de Chine méridionale et orientale au conflit frontalier sino-indien, des tensions dans le détroit de Taïwan à la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong qui a suscité l’inquiétude internationale, il est clair que la démocratie, la paix et la prospérité dans l’Indo-Pacifique font face à de sérieux défis ».

De fait, les appels à l’invasion armée de Taïwan sont maintenant presque quotidiens dans les médias chinois. Le 18 septembre, le Global Times affirmait que les exercices militaires proches du détroit (cf photo) ne sont pas un avertissement, mais la répétition d’une invasion imminente ; le 6 octobre le même journal sous la plume de son éditeur Hu Xijin annonçait : « la seule façon d’aller de l’avant est que le continent se prépare pleinement à la guerre et donne aux forces sécessionnistes de Taïwan une punition décisive à tout moment. Alors que l’arrogance des forces sécessionnistes continue d’augmenter, le tournant historique se rapproche ».

Du point de vue conceptuel, la prose est révélatrice du tournant vers l’émergence non pacifique de la Chine et met à jour ses fondements théoriques : le Parti Communiste chinois a repris, via Marx et Mao, la rhétorique hégélienne de la marche inéluctable de l’Esprit dans l’Histoire en tant qu’incarné successivement par différents peuples. La Chine de Xi est persuadée que son moment est venu, et que tout ce que fait et veut Pékin va dans sens de la réalisation nécessaire de l’Histoire – tandis que tous ceux qui s’y opposent sont des « losers », des réactionnaires et des empêcheurs d’avancer vers la réalisation du « rêve chinois » – lequel est d’ailleurs volens nolens destiné à être celui de tous et toutes sous le ciel (Tianxia).

La conséquence directe en est l’augmentation de 10% des dépenses militaires de la République de Chine. Avec 2,3% du PIB consacré à la défense, Taipei se rapproche ainsi de Séoul : la Chine est bien devenue la Corée du Nord de Taïwan. C’est qu’en effet, ce n’est pas l’identité ethnique, mais le destin politique qui façonne les nations : l’esprit des institutions est plus fort que la communauté linguistique ; le devenir plus vital que l’origine ; l’encre plus expressive que le sang.

Par Jean-Yves Heurtebise

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