Le Vent de la Chine Numéro 34 (2020)

du 18 octobre au 1 novembre 2020

Editorial : Tournée symbolique dans le Sud

Deux semaines avant le 5ème plenum (26 au 29 octobre), durant lequel le Comité Central délibérera à propos du prochain plan quinquennal (2021-2025) et des objectifs de développement jusqu’en 2035, le Président Xi Jinping a fait le déplacement dans le Guangdong, pour marquer le 40ème anniversaire de la création de la zone économique spéciale (ZES) de Shenzhen.

La « success story » est connue de tous : simple village de pêcheurs de 30 000 âmes en 1980, Shenzhen s’est transformé en une forêt de gratte-ciels de 13 millions d’habitants. En 40 ans, son PIB a été multiplié par 10 000, au rythme d’une croissance effrénée de 20% chaque année. En 2018, il a même dépassé (400 milliards d’euros) celui de sa célèbre voisine, Hong Kong (380 milliards d’euros). Sont implantés dans la région : Tencent, Huawei, ZTE, BYD, DJI, Pingan et China Merchants… Signe de son avance technologique, Shenzhen est la première ville à avoir inauguré son réseau 5G et à expérimenter en grandeur nature l’imminent yuan digital.

Depuis la série de discours tenus dans le Sud par Deng Xiaoping en 1992, réaffirmant sa politique de réforme et d’ouverture après trois ans de glaciation suite au Printemps de Pékin, certains tournants idéologiques ont été annoncés lors de voyages de dirigeants dans le Guangdong. C’est pourquoi, lors de la première visite de Xi Jinping dans la province en tant que Premier Secrétaire du Parti en décembre 2012, les espoirs que Xi se révèle être un leader pragmatique et réformiste, étaient de mise, avant d’être rapidement déçus. Comme lors de son second déplacement en 2018 à l’occasion de l’inauguration du pont Hong-Kong-Zhuhai-Macao, aucune grande annonce ni changement de ligne n’étaient donc à attendre lors de cette troisième tournée au Sud.

Pourtant, cette commémoration avait une résonnance particulière pour Xi Jinping puisque son père, Xi Zhongxun, a contribué à la création de ces ZES en 1979, sous le leadership de Deng Xiaoping à qui Xi n’a toutefois pas manqué de rendre hommage en déposant une couronne de fleurs devant la statue à son effigie au parc Lianhuashan. Le Président s’est également réapproprié une de ses célèbres citations : « il faut adhérer à une combinaison de « tâtonnement des pierres pour traverser la rivière » (摸着石头过河) et de renforcement de la planification à haut niveau ». Cet extrait exprime à lui seul l’ambivalence présidentielle. D’un côté, Xi se présente comme le digne hériter de Deng, s’associant à ses succès économiques, sans céder le moindre contrôle, ni réforme. De l’autre, Xi est un grand amateur de certains concepts maoïstes, comme celui d’autosuffisance (自力更生) qu’il prêchait chez un fabriquant de composants électroniques à Chaozhou, et ambitionne de s’élever à une grandeur égale à celle du fondateur de la RPC. Pourquoi pas en devenant le Président qui parachèvera son œuvre en réunifiant Taïwan ? Sans mentionner l’île « renégate », Xi a ordonné aux commandos de marine (la seule branche qui s’est agrandie durant le grand remaniement de l’APL) basés à Shantou de se tenir prêts à préserver « la souveraineté et l’intégralité territoriale chinoises ».

Le point d’orgue de sa visite a été un discours de près d’une heure (14 octobre) devant un parterre de 800 invités. Sur scène, le président était accompagné par le vice-premier ministre Han Zheng, en charge du portefeuille hongkongais, Xia Baolong, nouveau directeur du bureau central des affaires hongkongaises, et la cheffe de l’exécutif Carrie Lam. Il ne faut pourtant pas s’y tromper : désormais la priorité sera donnée à Shenzhen, zone pilote modèle « aux caractéristiques socialistes chinoises », au détriment de sa turbulente voisine…

Cela ne fait pas les affaires de Mme Lam, qui a été contrainte d’annoncer à la dernière minute repousser à novembre son discours de politique générale, de manière à pouvoir assister à la cérémonie, mais surtout de recevoir l’aval du gouvernement central lors de sa visite à Pékin programmée à la fin de ce mois, notamment au sujet de la « Greater Bay Area », plan d’intégration de Hong Kong en tant que place financière internationale, de Shenzhen en tant que pôle technologique, du Guangdong en tant que base industrielle, de Zhuhai en tant que centre de R&D, et de Macao comme lieu de loisirs. Ce report d’une allocution décisive est une première dans l’histoire de la région administrative spéciale (RAS), qui démontre bien que cet exercice n’est plus simplement une affaire interne à l’administration hongkongaise…

En guise de cadeau d’anniversaire, Xi a dressé une liste de « récompenses » accordées à Shenzhen (plus d’autonomie dans certains domaines comme le rezonage de terres agricoles en zones industrielles, la libéralisation du permis de résidence « hukou », l’assouplissement des restrictions aux investissements étrangers dans le domaine des technologies de pointe). Le président a également précisé à Shenzhen ses missions pour l’avenir (s’adapter à la nouvelle stratégie de circulation duale en connectant les circuits internationaux et nationaux, servir d’exemple aux zones spéciales du pays entier, attirer les talents étrangers, mieux intégrer la jeunesse hongkongaise…). Et le challenge est de taille pour Shenzhen, qui a en majeure partie bâti son succès sur les transferts massifs de savoir-faire venus de l’étranger, notamment via Hong Kong. Étant donné le contexte actuel de découplage technologique avec les États-Unis, et le fossé grandissant entre la Chine et l’Occident, Shenzhen saura-t-il réitérer le « miracle » ?


Environnement : Premier revers dans la bataille contre la pollution de l’air

Depuis que le gouvernement chinois s’est décidé à admettre et à combattre son problème de pollution de l’air en 2013, les progrès à travers la Chine entière ont été significatifs. Selon le dernier rapport de l’ONG Clean Air Asia, 157 des 337 villes-préfectures chinoises ont réussi à atteindre l’an passé une concentration annuelle de leurs particules fines (PM 2,5) égale ou en dessous du seuil national fixé à 35 μg/m3. C’est 36 villes de plus par rapport à 2018. De même, l’air des grandes villes chinoises n’a jamais été aussi propre : 24 μg/m3 en moyenne à Shenzhen, 30 à Canton, 35 à Shanghai, 38 à Chongqing, 42 à Pékin, 43 à Chengdu, 45 à Wuhan, 51 à Tianjin … C’est deux fois moins qu’il y a quelques années.  

Après cinq années de progrès continus, la bataille contre la pollution de l’air vient néanmoins d’enregistrer un premier revers l’an dernier. Parmi les trois régions « clés » définies par le gouvernement, la « plaine de la rivière Wei » (汾渭平原) à travers le Henan, le Shanxi et le Shaanxi, recense une hausse des émissions de PM 2,5 (+1,9%), alors que celles de « Pékin-Tianjin-Hebei » (京津冀) et du « Delta du Yangtsé » (长三角) ont respectivement diminué de 1,7% et 2,4% par rapport à 2018. Le rapport calcule également que la concentration en microparticules a augmenté dans toutes les préfectures du Liaoning, et dans la plupart de celles du Shaanxi et du Shandong. C’est la ville portuaire de Yantai (Shandong) qui enregistrait la plus forte augmentation du pays (+29,6%). L’an passé, le Shandong s’était déjà fait taper sur les doigts pour ses mauvais résultats en matière de pollution, incapable de réduire sa consommation de charbon et ses surcapacités industrielles, notamment en aluminium, dont la province est la plus grosse productrice du pays. En sus, 163 cadres avaient été punis pour avoir tenté de leurrer les inspecteurs de l’environnement envoyés par Pékin…

Lorsqu’on prend en compte l’évolution les trois dernières années de la concentration moyenne des six polluants aériens – les particules PM10 et PM2,5, l’ozone (O3), le dioxyde d’azote (NO2), le dioxyde de soufre (SO2), et le monoxyde de carbone (CO) – combiné au nombre de jours passés sous le seuil de pollution national et aux mesures environnementales prises par la mairie, c’est la ville de Yinchuan (Ningxia), qui arrive première du classement suivie de près par Lhassa (Tibet), gâtée par la nature. En récompense des efforts réalisés, Pékin arrive 4ème, Chengdu 7ème et Shanghai 8ème ; à l’inverse, Xi’an (Shaanxi) est la grande ville la moins bien classée (110ème), le ciel y restant désespérément gris… Trois rangs plus loin arrive Tangshan (Hebei), la capitale chinoise de l’acier, qui a pourtant forcé la délocalisation de 13 entreprises sidérurgiques l’an dernier… Enfin, Linfen, ville de 3 millions d’habitants dans le Shanxi, ferme la marche (168ème). Elle était déjà dernière l’an passé, même après avoir imposé des quotas de production réduits à ses industries lourdes durant l’hiver. En avril 2019, le nouveau maire avait annoncé la prolongation de ces coupes hivernales au reste de l’année, ce qui a permis de réduire les émissions de PM2,5 pour la première fois. Mais cela n’a pas suffi à lui faire quitter la lanterne rouge. Avant ces mesures désespérées, plusieurs cadres de Linfen avaient été sanctionnés pour avoir cherché à tricher en falsifiant plus d’une centaine de fois les données des capteurs de pollution atmosphérique… Autres mauvais élèves : Baotou (Mongolie-Intérieure), Kaifeng et Zhoukou (Henan), qui ne prennent toujours pas la peine de rendre leurs données publiques.

Cette étude conforte donc l’idée que les mesures les plus faciles à mettre en place ont porté leurs fruits, mais que les tentations d’hier sont toujours d’actualité dans les régions vivant des industries lourdes et dont la transition économique vers des industries moins polluantes est impossible à réaliser du jour au lendemain. De nouvelles rechutes, telles qu’enregistrées l’an dernier, sont donc à attendre à l’avenir, particulièrement dans un contexte économique post-Covid-19 convalescent, où la protection des intérêts économiques risque de devenir la priorité des gouvernements locaux, devant la lutte anti-pollution imposée par Pékin.


Reportage : Retour à la normale à Wuhan ?

On entre à présent dans Wuhan comme dans un moulin. Signe de la décontraction qui règne dans la mégalopole, les deux gardes chargés de vérifier les codes QR des passagers à l’aéroport international de Tianhe (Wuhan) ont les yeux rivés sur leur smartphone et snobent ceux des touristes qui se ruent à nouveau dans la capitale du Hubei. Même décontraction dans les rues où 40 000 drapeaux chinois flottent dans le ciel en hommage aux 40 000 membres du personnel hospitalier qui ont afflué vers Wuhan au plus fort de l’épidémie cet hiver. Un fanion rouge et jaune se retrouve aussi accroché au rétroviseur d’un chauffeur de taxi qui tombe le masque pour s’allumer une cigarette. “Vous êtes dans la ville la plus sûre du monde”, assure-t-il avec malice.

Alors que les frontières sont toujours fermées pour se prémunir d’une résurgence de l’épidémie, les Chinois étaient invités à (re)découvrir leur pays lors de la Golden Week. La municipalité a donc offert la gratuité à plus de 400 de ses sites touristiques pour attirer la manne de touristes chinois. C’est ainsi que la Tour de la Grue Jaune, monument emblématique de la ville, est devenue miraculeusement l’un des sites les plus prisés du pays (cf photo) lors de ces premières vacances post-Covid-19. Une décision qui ravit les vendeurs ambulants : “ la situation s’était déjà améliorée en août, mais avec ces vacances, on refait enfin des ventes du même niveau que d’habitude ”, confie une marchande de souvenirs. Une impression confirmée par les dernières estimations de la croissance au cours du dernier trimestre (juillet à septembre), proche du niveau pré-Covid-19 (+5,5%).

Le soir tombé, les rives du mythique fleuve Yangtsé, le plus long d’Asie, peinent à retrouver le calme. De part et d’autre du cours d’eau qui traverse la ville, les gratte-ciels scintillent de mille feux. Sur les écrans géants se succèdent messages publicitaires et hommages aux personnels soignants et aux forces de l’ordre. Ce même show lumineux avait été mis en scène par les pouvoirs publics le 8 avril dernier lors de la levée du confinement après 76 jours de calvaire. Depuis, la lumière ne s’est pas éteinte sur la ville à jamais associée au coronavirus. “ C’est vrai qu’on aurait aimé être connu pour autre chose ”, souffle Lin, propriétaire d’un bar à cocktail dans le quartier des anciennes concessions, avant de s’enquérir de la situation en France, certaine de ne pas trop souffrir de la comparaison. Car la propagande chinoise n’a de cesse de souligner les mérites de sa gestion de la crise comparée à celles des démocraties occidentales. Sur une petite place d’un quartier touristique, un grand écran diffuse un discours de Xi Jinping prononcé sous les ors du Palais du peuple à Pékin le 8 septembre dernier. Le Président y rendait hommage à « l’esprit de combat” et le “sens du sacrifice” de la population chinoise tout en vantant le leadership du Parti. Le pouvoir central assure que la crise est passée et compte sur Wuhan, autrefois ville-martyre, pour symboliser désormais la victoire de la “guerre du peuple” contre le coronavirus.

Pour Fang Fang, écrivaine wuhanaise qui a publié un journal intime rédigé durant le confinement, il ne s’agit pas là d’une réouverture de façade : “ la vie est bien redevenue comme avant « , Wuhan n’est “ ni une ville en ruine, ni une ville qui renaît de ses cendres” , confie-t-elle par email. “ Mais pour les familles brisées par l’épidémie et les proches des victimes, ce n’est peut-être qu’une apparence. Après tout, ils ont tellement souffert. Cet hiver, si le virus revenait, beaucoup seraient apeurés ”, poursuit l’auteure qui envisage elle-même de passer l’hiver ailleurs qu’à Wuhan.

Cette peur reste ancrée dans les esprits de la population locale, discriminée un temps par le reste du pays avant de devenir la vitrine de la victoire du Parti contre le virus. “ À la maison, on ne parle pas de cet hiver, le sujet est tabou ”, partage Rong, une designer pékinoise rentrée dans sa famille à Wuhan cet automne pour la première fois en un an. Elle y a retrouvé une autre facette de la ville, celle des magasins fermés et des restaurants aux rideaux baissés définitivement.

Le traumatisme est encore plus prégnant chez les familles des 3 868 morts que compte Wuhan, soit 80% du bilan national. Meng (pseudonyme), 67 ans, qui a perdu son fils de 40 ans, emporté par la Covid-19 en février dernier, a décidé de porter plainte contre les autorités locales de Wuhan et de la province du Hubei, qu’elle accuse d’avoir tardé à alerter le pouvoir central, envers qui elle est plus indulgente. Sa plainte a été rejetée par la cour de la ville, mais elle a transféré son dossier à l’échelon provincial, quoique fataliste quant à l’issue. “Nous demandons des excuses publiques de la part de la municipalité et de la province. Nous voulons une compensation, et que les autorités assument enfin leurs responsabilités ”, affirme-t-elle froidement.

Quand elle fait le récit par le menu de la quête désespérée de son fils d’un hôpital dans une ville paralysée cet hiver, ses larmes disparaissent rapidement derrière son masque, qu’elle porte en permanence. Elle aussi a été contaminée, mais ne comprend pas pourquoi le destin a décidé d’emporter son fils en bonne santé et “père de famille exemplaire” d’une fille de 8 ans. “ Pour les autorités locales, il  est un grain de sable, il est insignifiant ”, souffle Meng qui n’a plus qu’une idée en tête : s’occuper de sa petite fille. “ C’est ma seule raison de vivre ”, conclut-elle dans un soupir. 

Par Liu Zhifan


Taiwan : Sous la pression de Pékin, Taïwan entre en résistance

Le dernier sondage de l’Institut de recherche américain Pew portant sur l’image de la Chine dans le monde, le premier post-Covid de cette envergure, livre un constat sans appel : la réputation de la Chine dans le monde n’a jamais été aussi mauvaise que ces vingt dernières années. En Suède, 85% des personnes interrogées ont une image négative de la Chine ; en Australie, 81% ; au Royaume-Uni, 74%. On pourrait mettre cela sur le compte de gouvernements occidentaux hostiles et d’une presse devenue majoritairement critique. Mais cela suppose que c’est la presse ou le gouvernement qui font l’opinion, alors que le mouvement peut tout aussi bien être inverse : c’est l’opinion publique qui parfois oblige le gouvernement à changer de direction. Cela semble avoir été le cas au Royaume-Uni : souvenons-nous qu’en février 2020, Boris Johnson déclarait : « J’aime la Chine » et que Londres semblait sur le point d’accepter la 5G de Huawei, induisant la presse à abonder dans son sens.

De plus, les actions de la Chine même ne sont pas étrangères à ce sursaut du sentiment négatif. Dans le cas de l’Australie et de la Suède, cela paraît clair. Il y a un an, l’ambassadeur de Chine en Suède, Gui Congyou avait déclaré, suite à la décision de la ministre de la Culture, Amanda Lind, de remettre le prix P.E.N.-Tucholsky, à Gui Minhai, le libraire dissident de Hong Kong : « Nous traitons nos amis avec du bon vin mais pour nos ennemis nous avons des fusils ». Quant à l’Australie, le rédacteur en chef du Global Times avait qualifié le pays de « chewing-gum collé aux semelles » de la Chine pour souligner la dépendance de Canberra aux achats de matières premières par Pékin.

Mais ce qui semble plus inquiétant pour le Parti communiste chinois sous la direction de Xi Jinping, c’est que ce sentiment négatif provient même de pays dont le gouvernement a adopté une politique « prochinoise », comme c’est le cas en Corée du Sud. Réélu triomphalement pour sa gestion de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement Moon, tout à son désir de réunification sous patronage chinois, semble impuissant à contrôler un sentiment négatif (partagé par 75% des répondants) envers la Chine, plus élevé même qu’aux États-Unis (74%) ! De même, les 86% d’opinions négatives au Japon viennent contredire le rapprochement Japon-Chine qu’Abe avait initié avant la Covid-19 dans la perspective des JO de Tokyo : le retour des pressions chinoises sur les îles Senkaku en juillet a enterré cette perspective et conduit au renforcement de l’implication japonaise dans le QUAD (union de l’Australie, l’Inde, le Japon, et les États-Unis dans l’Indo-Pacifique).

Il y a donc une fenêtre d’opportunité réelle pour Taïwan – laquelle est aussi et en même temps une zone à haut risque. Dans son discours du 10 octobre pour le 109ème anniversaire de la fondation de la République de Chine, la présidente Tsai Ing-wen (cf photo) a dressé un constat clair de la situation. D’un côté, la gestion de la crise a attiré l’attention et l’admiration du monde et permis à Taïwan d’être une des seules économies développées à avoir un PIB positif sur l’année (1,6% de croissance). De l’autre, une telle exposition a entraîné une recrudescence des menaces chinoises : l’armée a dû procéder à deux fois plus d’interception d’avions de chasse chinois que pendant toute l’année dernière : 4 132 sorties, en hausse de 129% par rapport à 2019.

Traduisons et citons donc Tsai : « En raison de la menace de la Covid-19, 2020 a été une année mouvementée pour Taïwan et le monde. Cette crise a cependant permis à la communauté internationale de percevoir le caractère et les capacités uniques de Taïwan comme une île de résilience. […] Depuis mars, les performances dans le contrôle de la pandémie ont été couvertes par plus de 3 300 articles dans les médias internationaux […] et notre image internationale n’a jamais été meilleure. […] Bien entendu, les perspectives économiques de Taïwan dépendent également de la paix et de la stabilité régionales. Nous sommes conscients que faire preuve de faiblesse et faire des concessions n’apportera pas la paix. Une préparation adéquate et le recours à de solides capacités de défense nationale sont le seul moyen de garantir la sécurité de Taïwan et de maintenir la paix régionale. […] Des différends dans les mers de Chine méridionale et orientale au conflit frontalier sino-indien, des tensions dans le détroit de Taïwan à la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong qui a suscité l’inquiétude internationale, il est clair que la démocratie, la paix et la prospérité dans l’Indo-Pacifique font face à de sérieux défis ».

De fait, les appels à l’invasion armée de Taïwan sont maintenant presque quotidiens dans les médias chinois. Le 18 septembre, le Global Times affirmait que les exercices militaires proches du détroit (cf photo) ne sont pas un avertissement, mais la répétition d’une invasion imminente ; le 6 octobre le même journal sous la plume de son éditeur Hu Xijin annonçait : « la seule façon d’aller de l’avant est que le continent se prépare pleinement à la guerre et donne aux forces sécessionnistes de Taïwan une punition décisive à tout moment. Alors que l’arrogance des forces sécessionnistes continue d’augmenter, le tournant historique se rapproche ».

Du point de vue conceptuel, la prose est révélatrice du tournant vers l’émergence non pacifique de la Chine et met à jour ses fondements théoriques : le Parti Communiste chinois a repris, via Marx et Mao, la rhétorique hégélienne de la marche inéluctable de l’Esprit dans l’Histoire en tant qu’incarné successivement par différents peuples. La Chine de Xi est persuadée que son moment est venu, et que tout ce que fait et veut Pékin va dans sens de la réalisation nécessaire de l’Histoire – tandis que tous ceux qui s’y opposent sont des « losers », des réactionnaires et des empêcheurs d’avancer vers la réalisation du « rêve chinois » – lequel est d’ailleurs volens nolens destiné à être celui de tous et toutes sous le ciel (Tianxia).

La conséquence directe en est l’augmentation de 10% des dépenses militaires de la République de Chine. Avec 2,3% du PIB consacré à la défense, Taipei se rapproche ainsi de Séoul : la Chine est bien devenue la Corée du Nord de Taïwan. C’est qu’en effet, ce n’est pas l’identité ethnique, mais le destin politique qui façonne les nations : l’esprit des institutions est plus fort que la communauté linguistique ; le devenir plus vital que l’origine ; l’encre plus expressive que le sang.

Par Jean-Yves Heurtebise


Petit Peuple : Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) : La faute du lycéen Batumenghe (3ème partie)

Pour l’instant encore, le crime paie pour Batumenghe, le jeune mongol qui a tué son camarade il y a 15 ans. Dispensé de prison pour soi-disant raisons médicales, il fait depuis une carrière sensationnelle. Mais la vengeance et le droit veillent…

Pour Batumenghe, député-maire de Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) depuis octobre 2009, les affaires prospéraient, aidées par la proximité de la Sibérie russe. Aux hommes d’affaires des deux pays, il octroyait visas, recommandations et licences, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ainsi les pots-de-vin tombaient sans effort.

L’économie locale, et celle russe, n’y perdaient rien. Les usines se montaient, crachant leurs fumées noires alimentant des milliers d’emplois. Stimulés par l’appel de la ville, les paysans troquaient le riz pour des légumes de serre, anxieux de s’enrichir rapidement. Batumenghe voyait sa notoriété franchir la frontière du pays et celle du district : il avait la réputation sulfureuse d’un homme au passé chargé, à la poigne dure, faisant la pluie et le beau temps. Tout cela aurait pu perdurer toute sa vie, avec le soutien solide de la haute société des hobereaux rouges et des entrepreneurs du district.

Sauf qu’un jour arriva le grain de sable dans la machine. Comme souvent en Chine, cela advint par un changement du vent à Pékin, un tournant du climat politique. En mars 2013, Xi Jinping prit son office à la tête du pays et du Parti. Comme tous ses prédécesseurs, il promettait de casser la corruption, qu’elle soit au sein de l’appareil ou dans les milieux économiques. Seulement lui, il arrivait avec la ferme intention de tenir sa parole et promettait d’emprisonner sans état d’âme les coupables grands ou petits, « les mouches, et même les tigres ».

En entendant une telle prétention, les hauts cadres mongols se prirent à sourire : ils en avaient vu d’autres, et étaient surs de pouvoir préserver entre eux la cohésion et la loi du silence, pour ramener à la raison le leader débutant. Mais trois ans plus tard, ils sentirent perler la sueur à leurs tempes quand débarquèrent à Hohhot (la capitale locale) et à Hulunbuir 80 limiers et comptables hors pairs, qui se jetèrent sur les principales administrations pour y poser les scellés et éplucher les livres de comptes, faisant ouvrir (ou fracturer en cas de résistance) coffres-forts et caisses noires. Quelques semaines plus tard, le gouverneur et le secrétaire du Parti furent destitués, suivis de dizaines d’apparatchiks : une grande partie du gouvernement de Mongolie-Intérieure passait ainsi à la trappe. Les villas des dirigeants étaient soudain inondées d’hommes de troupes et de camions qui malmenaient et embarquaient meubles de luxe, œuvres d’art et trésors cachés (liasses de dollars ou de renminbi en gros sacs exhumés des caves, des greniers ou des parterres de fleurs). A distance respectueuse derrière les portails béants, la foule admirait, mi-admirative, mi-terrorisée !

Batumenghe dès lors, effrayé, passa ses nuits à méditer ou prier ses ancêtres, et ses jours en prosternations dans tous les temples (taoïstes, bouddhistes, confucéens, chrétiens), allumant des boisseaux d’encens dans l’espoir futile de reculer l’échéance.

Cette même année, Han Bei, la mère, fut approchée par un jeune commissaire récemment débarqué, à qui elle conta le meurtre de son fils en 1992 et le subterfuge ourdi pour épargner Batumenghe de la prison. Le représentant de la loi, cette fois, lui prêta foi. Il réclama l’accès aux archives du tribunal, entendit son président, le directeur de la prison. En deux mois, il bétonna son dossier, affûta son accusation : à l’issue de son année de sursis médical, déclara-t-il, Batumenghe avait fraudé la loi en « oubliant » de retourner en taule. Batumenghe alors eut un sursaut désespéré, montant à Pékin pour supplier son institution, le Parlement, alléguant son œuvre de développement de sa région arriérée. Dans ce combat d’arrière-garde, il fut accompagné par plusieurs de ses soutiens, tous conscients que le seul salut possible résidait dans la défense collective et l’union sans faille. Mais sans espoir – les ordres centraux étaient sans appel. En avril 2017, Batumenghe fut appréhendé et vit ses biens saisis – son manoir, son écurie de 15 chevaux de race, ses 2 000 hectares de vignes. Le juge lui imposa alors 13 ans et sept mois à l’ombre – le reliquat de sa peine d’origine, moins l’année de sursis médical. De plus, en 2019, les enquêteurs déterrèrent une autre de ses fraudes : un collectif de bergers l’accusait d’avoir détourné des fonds destinés à la réhabilitation de la prairie mongole, pour un total de 282 000 yuans. En conséquence, le juge rétablit sa peine aux 15 ans d’origine, et les assortit d’une amende de 200 000 yuans, de la privation de ses droits civiques, et bien sûr, de la carte du Parti. Quant au nouveau secrétaire du Parti, il vint le narguer dans sa cellule, pour lui témoigner tout son dégout pour son attitude indigne : l’enquête se poursuivait, et tout nouveau crime détecté alourdirait sa peine. Il risquait la mort, au pire ! De son côté, Han Bei jubilait enfin : après avoir souffert et attendu 27 ans, « dormant sur des fagots et buvant le calice de bile amère » (卧薪尝胆, wò xīn cháng dǎn ), elle voyait sonner, telles des trompettes triomphales, la douce heure de la vengeance !


Rendez-vous : Semaines du 19 octobre au 15 novembre
Semaines du 19 octobre au 15 novembre

20 octobre à 20h10 (heure chinoise) : Visioconférence Fenêtre sur Chine :  » Yin-Yang, clef de sol du penser chinois » par Cyrille JAVARY : COMPLET

18-21 octobre, Foshan : CERAMBATHSalon international de la céramique et des sanitaires

19-22 octobre, Shanghai : CMEF – China Medical Equipment FairSalon chinois international des équipements médicaux

20-22 octobre, Shanghai : FBIE – Food & Beverage Import and Export FairSalon international pour l’import-export d’aliments et de boissons

20-30 octobre, Shanghai : China AidSalon professionnel des soins aux personnes âgées, de la rééducation et des soins de santé

21-23 octobre, Shanghai : China Toy ExpoSalon international chinois du jouet et des ressources pédagogiques préscolaires

22 – 24 octobre, Tianjin: China Mining Congress & Expo,Salon et congrès chinois de l’industrie minière

24 oct. à Pékin, 27 oct. à Chengdu, 29 oct. à Canton et 31 oct. à Shanghai:  CEE-China Education ExpoSalon international de l’éducation et des formations supérieures

28 – 31 octobre, Shanghai : Music China,Salon international des instruments de musique et des services

 29 – 31 octobre, Qingdao : CIAMESalon asiatique des machines agricoles

30 octobre – 1er novembre, Pékin :ILOPESalon chinois international de l’industrie de l’optoélectronique et de la photonique

3 – 6 novembre, Shanghai : CEMAT Asia, Salon des matériels de manutention, des techniques d’automatisation, de transport et de logistique

5-10 novembre, Shanghai : CIIE – China International Import Expo, Salon International des importations

10-12 novembre, Shanghai : Prowine ChinaSalon international du vin et des spiritueux en Chine

10-15 novembre, Zhuhai : Airshow China, Salon international de l’aéronautique et de l’espace – Repoussé à une date ultérieure (TBC)

10-15 novembre, Shenzhen : CHTF – China Hi-Tech FairSalon international des ordinateurs et des télécommunications, des applications et services logiciels, de l’électronique grand public, de l’électronique pour l’automobile

12-15 novembre, Tianjin : Tianjin Meijiang Tea Industry and Tea Culture Expo, Salon de l’industrie du thé et de la culture du thé

13-15 novembre, Pékin : CIOGE – China International Organic & Green Food Expo,Salon des technologies et équipements de production d’aliments et de boissons, des condiments et autres produits alimentaire d’origine biologique