Editorial : La « circulation duale », nouveau paradigme économique ?

Comment la Chine doit-elle s’adapter aux turbulences extérieures ? Sous l’angle économique, le Président Xi Jinping donne sa réponse : en mettant en œuvre une stratégie de « circulation duale » (双循环, shuāng xúnhuán), un concept évoqué la première fois lors d’une réunion du Comité Permanent le 14 mai.

Sujette à débat entre économistes durant l’été, cette nouvelle théorie devrait guider les grandes lignes de l’économie chinoise durant les décennies à venir, mais aussi celle du 14ème plan quinquennal (2021-2025), à en croire un article de l’Economic Daily du 19 août.

Cette stratégie de « circulation duale » a été formulée dans un contexte d’incertitude mondiale grandissante, de la montée du protectionnisme, et dans un environnement extérieur de plus en plus hostile (en particulier de la part des États-Unis). En quelques mots, il s’agirait pour la Chine de réduire l’importance de la demande étrangère (la circulation internationale) en tant que moteur de la croissance économique chinoise, en stimulant la demande domestique (la circulation interne), de manière à être moins vulnérable aux chocs extérieurs. Un message que le Premier ministre Li Keqiang en particulier, martèle lors de ses visites de terrain aux petites et grandes manufactures dont la production est à l’arrêt depuis l’effondrement de la demande étrangère pour cause de la pandémie de Covid-19. Cette stratégie, dont la région prospère du delta du Yangtze (Shanghai, Zhejiang, Jiangsu, et Anhui) deviendra la vitrine, devrait concerner en priorité des domaines clés, comme l’approvisionnement alimentaire, l’énergie et les technologies. 

« Auparavant, notre économie était essentiellement alimentée par les exportations, aujourd’hui il est temps de trouver des substituts à nos importations », commentait Yu Yongding, ancien conseiller auprès de la Banque Centrale et directeur au sein de la prestigieuse Académie chinoise des Sciences Sociales (CASS). D’après lui, il est nécessaire d’inverser la tendance qui mettait l’accent sur les services au détriment de l’industrie manufacturière. Selon Yu, il faudrait que la Chine se concentre sur la production de produits industriels ou technologiques à haute valeur ajoutée, profitant de coûts de production bas, de manière à mieux répondre aux besoins du marché chinois et sécuriser l’approvisionnement (notamment en semi-conducteurs). Un plan qui ressemble en de nombreux points à celui allemand « Industry 4.0 » qui a lui-même inspiré le controversé  « Made in China 2025 » de rattrappage technologique, destiné à rompre la dépendance extérieure dans une dizaine de secteurs industriels stratégiques. Mais il est devenu clair que la Chine s’apprête à vivre le découplage des chaînes d’approvisionnement internationales sur la durée. Ce sera à la fois subi, du fait des sanctions américaines, mais aussi voulu, au nom de l’impératif d’autosuffisance (自力更生, zìlì gēngshēng), le principe directeur sous Mao.

Cependant, le Président Xi se veut rassurant : il ne s’agit pas pour la Chine de se refermer sur elle-même, bien au contraire. Entreprises et investissements étrangers sont toujours les bienvenus. En parallèle, la Chine s’engage à poursuivre les réformes et l’ouverture de son marché. Des promesses qui peinent à convaincre Daniel Rosen du groupe Rhodium : « Pékin affirme être plus que jamais déterminé à mener des réformes et à s’ouvrir davantage. Mais les cinq dernières années démontrent le contraire ».

Pour d’autres observateurs, la théorie de « circulation duale » a un goût de « déjà-vu ». Durant la décennie au pouvoir du tandem Hu Jintao et Wen Jiabao (2002-2012), et particulièrement après la crise financière de 2008, le « rééquilibrage » de l’économie vers davantage de consommation domestique était déjà à l’ordre du jour – sans grande avancée depuis lors. Le ratio de la consommation privée dans le PIB chinois reste bas (38,8% fin 2019, soit seulement deux points de plus qu’en 2008) – plombé par l’endettement et des perspectives d’avenir incertaines qui incitent à l’épargne – tandis que celui de la dette publique par rapport au PIB a doublé.

Selon Michael Pettis, professeur d’économie à l’université Beida interrogé par le Financial Times, les « deux circulations » entreraient même en contradiction entre elles. En effet, pour que la Chine augmente la capacité de son marché domestique, il faudrait procéder à une hausse des salaires et renforcer considérablement sa couverture sociale (notamment par l’assouplissement du système de hukou). Toutefois, un tel choix éroderait de facto la compétitivité des produits chinois à l’export. Un tel scénario exigerait aussi une meilleure redistribution des richesses dans un pays où les inégalités restent extrêmement marquées, ce qui ne manquerait pas de rencontrer des résistances de la part des entreprises, des foyers les plus riches, y compris au sein de l’appareil…

Dans les semaines ou les mois à venir, d’autres détails devraient émerger sur cette nouvelle stratégie, mais pour l’instant, la « circulation duale » apparait moins comme un réel changement de paradigme économique, qu’une réaffirmation des tendances déjà à l’œuvre, parfois depuis une décennie.

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