Le Vent de la Chine Numéro 29 (2020)

du 30 août au 5 septembre 2020

Editorial : La « circulation duale », nouveau paradigme économique ?

Comment la Chine doit-elle s’adapter aux turbulences extérieures ? Sous l’angle économique, le Président Xi Jinping donne sa réponse : en mettant en œuvre une stratégie de « circulation duale » (双循环, shuāng xúnhuán), un concept évoqué la première fois lors d’une réunion du Comité Permanent le 14 mai.

Sujette à débat entre économistes durant l’été, cette nouvelle théorie devrait guider les grandes lignes de l’économie chinoise durant les décennies à venir, mais aussi celle du 14ème plan quinquennal (2021-2025), à en croire un article de l’Economic Daily du 19 août.

Cette stratégie de « circulation duale » a été formulée dans un contexte d’incertitude mondiale grandissante, de la montée du protectionnisme, et dans un environnement extérieur de plus en plus hostile (en particulier de la part des États-Unis). En quelques mots, il s’agirait pour la Chine de réduire l’importance de la demande étrangère (la circulation internationale) en tant que moteur de la croissance économique chinoise, en stimulant la demande domestique (la circulation interne), de manière à être moins vulnérable aux chocs extérieurs. Un message que le Premier ministre Li Keqiang en particulier, martèle lors de ses visites de terrain aux petites et grandes manufactures dont la production est à l’arrêt depuis l’effondrement de la demande étrangère pour cause de la pandémie de Covid-19. Cette stratégie, dont la région prospère du delta du Yangtze (Shanghai, Zhejiang, Jiangsu, et Anhui) deviendra la vitrine, devrait concerner en priorité des domaines clés, comme l’approvisionnement alimentaire, l’énergie et les technologies. 

« Auparavant, notre économie était essentiellement alimentée par les exportations, aujourd’hui il est temps de trouver des substituts à nos importations », commentait Yu Yongding, ancien conseiller auprès de la Banque Centrale et directeur au sein de la prestigieuse Académie chinoise des Sciences Sociales (CASS). D’après lui, il est nécessaire d’inverser la tendance qui mettait l’accent sur les services au détriment de l’industrie manufacturière. Selon Yu, il faudrait que la Chine se concentre sur la production de produits industriels ou technologiques à haute valeur ajoutée, profitant de coûts de production bas, de manière à mieux répondre aux besoins du marché chinois et sécuriser l’approvisionnement (notamment en semi-conducteurs). Un plan qui ressemble en de nombreux points à celui allemand « Industry 4.0 » qui a lui-même inspiré le controversé  « Made in China 2025 » de rattrappage technologique, destiné à rompre la dépendance extérieure dans une dizaine de secteurs industriels stratégiques. Mais il est devenu clair que la Chine s’apprête à vivre le découplage des chaînes d’approvisionnement internationales sur la durée. Ce sera à la fois subi, du fait des sanctions américaines, mais aussi voulu, au nom de l’impératif d’autosuffisance (自力更生, zìlì gēngshēng), le principe directeur sous Mao.

Cependant, le Président Xi se veut rassurant : il ne s’agit pas pour la Chine de se refermer sur elle-même, bien au contraire. Entreprises et investissements étrangers sont toujours les bienvenus. En parallèle, la Chine s’engage à poursuivre les réformes et l’ouverture de son marché. Des promesses qui peinent à convaincre Daniel Rosen du groupe Rhodium : « Pékin affirme être plus que jamais déterminé à mener des réformes et à s’ouvrir davantage. Mais les cinq dernières années démontrent le contraire ».

Pour d’autres observateurs, la théorie de « circulation duale » a un goût de « déjà-vu ». Durant la décennie au pouvoir du tandem Hu Jintao et Wen Jiabao (2002-2012), et particulièrement après la crise financière de 2008, le « rééquilibrage » de l’économie vers davantage de consommation domestique était déjà à l’ordre du jour – sans grande avancée depuis lors. Le ratio de la consommation privée dans le PIB chinois reste bas (38,8% fin 2019, soit seulement deux points de plus qu’en 2008) – plombé par l’endettement et des perspectives d’avenir incertaines qui incitent à l’épargne – tandis que celui de la dette publique par rapport au PIB a doublé.

Selon Michael Pettis, professeur d’économie à l’université Beida interrogé par le Financial Times, les « deux circulations » entreraient même en contradiction entre elles. En effet, pour que la Chine augmente la capacité de son marché domestique, il faudrait procéder à une hausse des salaires et renforcer considérablement sa couverture sociale (notamment par l’assouplissement du système de hukou). Toutefois, un tel choix éroderait de facto la compétitivité des produits chinois à l’export. Un tel scénario exigerait aussi une meilleure redistribution des richesses dans un pays où les inégalités restent extrêmement marquées, ce qui ne manquerait pas de rencontrer des résistances de la part des entreprises, des foyers les plus riches, y compris au sein de l’appareil…

Dans les semaines ou les mois à venir, d’autres détails devraient émerger sur cette nouvelle stratégie, mais pour l’instant, la « circulation duale » apparait moins comme un réel changement de paradigme économique, qu’une réaffirmation des tendances déjà à l’œuvre, parfois depuis une décennie.


Technologies & Internet : L’horloge fait « TikTok » à Washington

Après Huawei, le champion chinois de la technologie 5G, c’est au tour de l’application mobile TikTok, très populaire auprès de la jeunesse pour ses vidéos divertissantes de 15 secondes, d’être prise pour cible par l’administration américaine.

Le 6 août, le Président Trump annonçait par décret présidentiel bannir TikTok des États-Unis d’ici mi-septembre si elle n’était pas vendue à une société américaine. Douze jours plus tard, le locataire de la Maison-Blanche ordonnait à ByteDance, la société mère de TikTok, de conclure cette vente sous 90 jours (soit avant le 12 novembre). Cette décision marquait l’aboutissement d’une longue enquête menée par le comité des investissements étrangers aux USA (CFIUS) suite à l’acquisition par ByteDance de l’application Musical.ly, devenue plus tard TikTok. Cet ultimatum mettait soudain la pression sur TikTok dans ses négociations de rachat avec Microsoft/Walmart, Oracle et Twitter. Le montant de la transaction serait estimé entre 25 et 30 milliards de $.

Ce scénario n’est pas sans rappeler la mésaventure du groupe chinois Kunlun, propriétaire de l’application de rencontre LGBTQ Grindr. Accusé de rapatrier en Chine des données « sensibles » de ses utilisateurs américains comme la géolocalisation, l’orientation sexuelle ou encore le statut sérologique, Kunlun avait été contraint de céder ses parts par le CFIUS.

Dans le cas de TikTok, Washington estime que l’application récolterait de vastes quantités de données auprès de ses 100 millions d’utilisateurs américains et pourrait potentiellement les transmettre au gouvernement chinois, posant ainsi un risque de « sécurité nationale ». L’administration de Donald Trump craint également que le gouvernement chinois n’utilise la plateforme à des fins propagandistes, voire d’espionnage. « Des accusations totalement infondées », selon Zhao Lijian, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois. La CIA elle-même a déclaré n’avoir aucune preuve que le gouvernement chinois ait eu accès à des données de TikTok. Pour sa défense, l’application affirme stocker les données de ses usagers américains aux États-Unis et à Singapour et n’avoir aucun lien avec Pékin.

À domicile, la stratégie de riposte de ByteDance n’a pas fait l’unanimité. Le groupe a d’abord été accusé par des internautes nationalistes chinois de « capituler » devant les pressions américaines. Le 24 août, il est pourtant revenu en grâce en annonçant avoir déposé un recours devant la justice américaine contre le décret présidentiel. « Cela prouve que TikTok ne va pas se laisser abattre sans rien dire », pouvait-on lire sur les réseaux sociaux. À Pékin, on ne se fait pas d’illusions : « il est peu probable que cette procédure judiciaire change le cours des évènements », commentait Mei Xinyu du ministère du Commerce. Pour mémoire, Huawei avait lui aussi saisi la justice pour tenter de révoquer une interdiction fédérale, avant d’être débouté. Pourtant, cette tactique dilatoire pourrait permettre à TikTok d’obtenir un délai au-delà de l’élection présidentielle américaine le 3 novembre, et ainsi espérer la révocation du décret présidentiel en cas de victoire du démocrate Joe Biden. La toute dernière riposte venait du gouvernement chinois cette fois, qui modifiait le 28 août – et pour la première fois depuis 12 ans –  sa liste des technologies restreintes à l’export en y ajoutant celles englobant les algorithmes de ByteDance. De cette manière, toute vente de TikTok serait conditionnée à l’octroi d’une licence de la part des autorités chinoises, qui pourraient ainsi retarder la transaction. L’avenir de TikTok aux Etats-Unis n’a jamais été aussi incertain…

TikTok n’est pas la seule application chinoise prise en grippe par Washington : WeChat, du géant Tencent, est également frappée par un décret présidentiel visant à interdire toute « transaction » sur la plateforme – une formulation vague qui devrait être précisée par le Secrétariat américain au Commerce le 20 septembre. Entre-temps, la Maison-Blanche aurait discrètement rassuré ses entreprises : l’interdiction ne devrait être effective que sur le territoire américain, elles pourront donc toujours utiliser WeChat en Chine.

Mais cela ne fait pas les affaires des Chinois de la diaspora installés aux États-Unis. Ils seraient 19 millions à utiliser WeChat chaque jour pour communiquer avec leur famille. La plupart d’entre eux réfléchissent à une alternative, mais les options se font rares. En effet, Facebook Messenger, Instagram, Telegram, Whatsapp, Pinterest sont inaccessibles depuis la Chine. Seuls Skype et Linkedin sont autorisés. Un internaute notait : « la Chine a déjà  bloqué tellement d’applications américaines qu’il ne reste que peu de choix ». Selon le site spécialisé The Information, c’est Apple qui pourrait se retrouver dans le viseur de Pékin. En effet, la firme de Cupertino avait négocié avec le gouvernement chinois pour ne pas avoir à opérer son App Store en Chine en JV avec un partenaire local. Cet accord pourrait donc bien tomber à l’eau…

Pour l’opinion chinoise, la rhétorique agressive et les méthodes radicales du gouvernement américain à l’encontre de leur pays, sont considérées comme « indignes » du leader du « monde libre », et ont pour seul but de défendre la supériorité technologique américaine et de contenir à tout prix l’avancée de la Chine. Aux yeux des Chinois, cette cabale contre TikTok et WeChat est aussi une tentative de faire oublier au public américain le fiasco de l’administration Trump dans la lutte contre le Covid-19, à moins de 75 jours des élections présidentielles. Le quotidien nationaliste Global Times est même allé jusqu’à qualifier cette décision « d’atrocité contre la liberté du web ».

Pourtant, le gouvernement chinois pratique lui-même le principe de « cyber-souveraineté » depuis 2009 et a banni de son sol plusieurs centaines d’applications et sites web étrangers ayant refusé de stocker leurs données sur des serveurs chinois et de se plier aux règles strictes de la censure. Cette politique a indéniablement facilité l’émergence des champions chinois d’aujourd’hui, en créant une sphère internet parallèle, protégée de la concurrence.

Aux yeux de plusieurs observateurs étrangers, Donald Trump ne fait donc que rendre la monnaie de sa pièce à la Chine en pratiquant la réciprocité. Et il ne devrait pas uniquement se contenter de TikTok et de WeChat : dans le cadre du programme « Clean Network » annoncé début août par le secrétaire d’État Mike Pompeo, le géant du e-commerce Alibaba, le moteur de recherche Baidu, et les opérateurs télécoms China Mobile et China Telecom pourraient être les prochaines cibles…

Au final, Donald Trump peut espérer que cette croisade contre les firmes technologiques et numériques chinoises joue en sa faveur lors des prochaines élections. Malheureusement, elle détourne l’attention du public des vrais débats, à savoir la protection des données des utilisateurs, quelle que soit la nationalité de l’entreprise qui les récolte, et plus largement, de l’emprise grandissante qu’exercent ces géants du numérique sur nos sociétés.

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Huawei, le coup de grâce ?

Première victime de l’offensive américaine contre les firmes technologiques chinoises, Huawei avait été placée dès mai 2019 sur la liste noire des « entités », l’empêchant ainsi de se fournir auprès d’une entreprise américaine, notamment en semi-conducteurs. Depuis lors, l’administration a comblé plusieurs vides juridiques permettant à Huawei et ses fournisseurs américains de contourner l’interdiction. Cette période de grâce vient de prendre fin : le 17 août, le département du Commerce américain interdisait aux firmes étrangères de semi-conducteurs (taïwanaises par exemple), utilisant des technologies ou équipements américains, d’en vendre à Huawei. Conséquence immédiate : dès mi-septembre, HiSilicon, filiale de Huawei, sera contrainte d’arrêter la production de ses puces Kirin. À cause de ces difficultés d’approvisionnement, les ventes de smartphones Huawei ne devraient pas dépasser en 2020 celles de l’an dernier (240 millions). Cela pourrait même compliquer le déploiement de la 5G à travers le territoire chinois, si les stocks ne suffisent pas. Ironiquement, le salut de Huawei pourrait venir d’une dérogation du gouvernement américain sous forme de licence accordée à Qualcomm ou MediaTek.

En attendant la mise au point de microprocesseurs « made in China » d’ici environ deux ans, Huawei lance son projet « Nanniwan » qui vise à développer et promouvoir des produits non affectés par les sanctions américaines (ordinateurs portables, smart TV, produits domotiques…). Le clin d’œil historique est éminemment symbolique : en 1941, dans le petit village de Nánníwān (南泥湾), au sud de Ya’an (Shaanxi), les communistes ont été capables de survivre à l’embargo de l’armée impériale japonaise et du Kuomintang en atteignant l’autosuffisance économique – notamment grâce à la culture du pavot… Le message est clair : pour Huawei (et pour le gouvernement chinois), l’avenir ne doit plus dépendre des technologies étrangères.

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Agriculture : Xi Jinping appelle ses concitoyens à finir leurs assiettes

Jusqu’à hier en Chine, la courtoisie voulait que l’on salue son interlocuteur en s’assurant qu’il n’avait pas l’estomac vide, une tradition issue d’une longue histoire ponctuée de pénuries et de famines. Aujourd’hui, les Chinois sont bien loin de ces préoccupations et le respect accordé à ses hôtes est mesuré aux restes alimentaires sur les tables. Selon un rapport de 2018, 38% des mets commandés dans les restaurants finiraient à la poubelle contre 22% dans les cantines scolaires. Au total, chaque personne gâcherait ainsi près de 100 grammes de nourriture par repas. En 2015, cela représentait 18 millions de tonnes de nourriture gaspillée, assez pour nourrir 30 à 50 millions de personnes pour un an. Une situation que le Président Xi Jinping jugeait le 11 août « choquante et inquiétante ». C’est ainsi qu’il remettait au goût du jour la campagne « assiettes propres » (光盘行动, guāngpán xíngdòng), destinée à lutter contre le gaspillage alimentaire.

En réponse à l’appel du chef de l’État, cent initiatives ont fleuri à travers le pays entier, plus ou moins avisées. D’abord, la CCTV a blâmé publiquement les « gros estomacs » (大胃王, dà wèi wáng), ces vloggeurs-gloutons qui ingurgitent des quantités gargantuesques de nourriture en un temps record. Dès le lendemain, les plateformes de live-streaming comme Douyin (la version chinoise de TikTok), Bilibili et Kuaishou prenaient des mesures restrictives à l’encontre de ces vidéos pourtant très populaires.

Les écoles ne sont pas en reste. À Xi’an, le bureau de l’éducation a instauré un système de notation des professeurs et des élèves selon leur quantité de déchets alimentaires, avec punitions ou honneurs à la clé. Là encore, la mesure n’a pas fait l’unanimité : « les repas à la cantine sont franchement mauvais. Avant de forcer les étudiants à finir leurs assiettes, le proviseur devrait lui aussi venir au réfectoire et voir s’il a toujours si bon appétit ».

Les restaurateurs ont eux aussi pris le problème très au sérieux : à Tianjin, un établissement s’est mis à proposer des boîtes à repas spécialement destinées à la clientèle féminine « moins gourmande en riz ». Sur Weibo, le concept fait débat : « une femme peut avoir meilleur appétit qu’un homme ! Pourquoi ne pas simplement proposer des portions de tailles différentes » ? À Changsha (Hunan), la chaîne « Chuiyan Fried Yellow Beef » a été contrainte à des excuses publiques après avoir proposé à ses clients de les peser à l’entrée afin de leur suggérer des plats correspondants à leurs besoins nutritionnels (cf photo). Toujours au Hunan, une entreprise est allée jusqu’à retirer les poubelles à la cafétéria pour empêcher ses employés de jeter quoi que ce soit !

À Wuhan, l’association professionnelle de la restauration a lancé la consigne « N-1 » : au lieu de servir plus de plats qu’il y a de convives, il s’agit au contraire d’en servir un de moins ! « Et si l’on va au restaurant tout seul ? Combien de plats peut-on commander ? Zéro ? », interrogeait un internaute. La province du Liaoning instaurait elle le « N-2 ». Un zèle tourné en dérision sur la toile : « quelle province va renchérir et décréter le « N-3 » ? ». Pour un internaute, ces mesures rappellent les instructions de Mao en 1959, au début de la Grande Famine, où il imposa à la population de manger moins pour économiser la nourriture. Un autre soulignait que « les bonnes intentions du Président Xi ont (encore une fois) été mal interprétées par les responsables locaux qui ne pensent qu’à se faire bien voir de leurs supérieurs ». Ils étaient également nombreux à dénoncer l’interférence toujours plus forte du gouvernement dans leurs vies : « Aujourd’hui, les autorités m’ordonnent de manger moins, demain elles décideront à quelle heure je dois aller me coucher ».

En effet, depuis son arrivée au pouvoir, Xi Jinping ne manque pas d’intervenir sur tout sujet, du tri sélectif à la myopie des enfants. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le chef de l’État s’attaque au gaspillage alimentaire. Peu après le lancement de sa campagne anticorruption, le Président inaugurait la campagne « assiettes propres » en janvier 2013, ciblant les somptueux banquets organisés par les cadres avec des fonds publics.

Mais pourquoi relancer ce mouvement aujourd’hui ? L’empressement et l’envergure inhabituelle de l’opération alimentent le soupçon d’une crise alimentaire : « laissez-moi décoder le message du Président Xi : nos jours sont comptés, il faut donc se préparer aux épreuves à venir », décryptait un internaute. Pourtant, les autorités se veulent rassurantes : les stocks nationaux en riz et en blé – dont le montant est tenu secret – seraient suffisants pour nourrir les 1,4 milliard de citoyens chinois une année entière. Et officiellement, la récolte de l’été 2020 a atteint un montant record : 143 millions de tonnes (+0,9% par rapport à 2019), soit la 14e hausse des 16 dernières années.

Néanmoins, sur le terrain, les paysans affirment avoir moins récolté cette année. D’après les estimations de Ma Wenfeng, analyste pour Beijing Orient Agribusiness Consulting, la récolte serait plutôt de 135 millions de tonnes, le chiffre le plus bas depuis 2013. En effet, ces derniers mois, la Chine a souffert de la fièvre porcine, qui a décimé la moitié de son cheptel ; des nuages de criquets pèlerins dans le Yunnan depuis juin ; d’une invasion de chenilles légionnaires, dévorant les champs de maïs ; de l’épidémie de Covid-19, qui a compliqué les semis ; de fortes inondations dans le sud, ayant endommagé plus de 6 000 hectares de cultures ; et de la sécheresse dans le nord. L’ensemble de ces facteurs a logiquement provoqué une inflation des prix (+13,2% en juillet par rapport à 12 mois plus tôt, +85,7% pour le porc). Un phénomène accentué par les agriculteurs qui, anticipant une hausse des prix, préférent stocker plutôt que de vendre.

À ces fléaux s’ajoutent des problèmes structurels : selon un récent rapport de l’Académie des Sciences sociales chinoise (CASS), le déficit en grain de la Chine pourrait atteindre les 130 millions de tonnes en 2025, en partie à cause de l’urbanisation croissante (+5% d’ici cinq ans) et de l’industrialisation qui grignotent les terres arables, dont la Chine manque déjà cruellement. Le vieillissement de la population rurale entre également en ligne de compte (un quart des ruraux, soit 124 millions de personnes, aura plus de 60 ans à cette échéance) ainsi que le manque d’incitatifs pour les paysans à cultiver leurs terres s’ils ne gagnent pas mieux leur vie qu’en ville.

Tous ces facteurs fragilisent le bol alimentaire chinois et pourraient rendre la Chine plus dépendante des importations : son taux de dépendance aux terres arables étrangères serait de 35 %. Cela peut aussi expliquer que Pékin ait consenti à des achats massifs de produits agricoles américains dans le cadre de l’accord commercial. Cependant, la détérioration rapide des relations avec les États-Unis (son 2ème fournisseur après le Brésil), ou dans une moindre mesure avec le Canada et l’Australie, a rappelé à la Chine la nécessité de reprendre le contrôle de son approvisionnement, mais aussi de tous les autres aspects de sa chaîne alimentaire, de la production, en passant par les achats et le stockage, jusqu’à la consommation. La lutte contre le gaspillage fait donc partie intégrante de cette stratégie.


Tourisme : Yangshuo, un paradis perdu ?
Yangshuo, un paradis perdu ?

« La rivière ondule tel un ruban de soie vert tandis que les montagnes se dressent telles des épingles à cheveux en jade » (江作青罗带, 山如碧玉簪) : c’est ainsi que le célèbre poète Hán Yù (韩愈) de la dynastie Tang aurait décrit le paysage enchanteur de Yangshuo. 1 200 ans plus tard, ce décor unique a toujours autant de succès : en 1999, il était choisi pour figurer au dos du billet de 20 yuans, aux côtés du lac de l’Ouest à Hangzhou (billet de 1 yuan), du mont Taishan dans le Shandong (5 yuans), des Trois Gorges (10 yuans), du Potala à Lhassa (50 yuans) et du Grand Palais du Peuple à Pékin sur le billet rose (100 yuans). Si ces milliers de pics de karst (formation de calcaire, dolomie, et de gypse) formés il y a 500 millions d’années sont immuables, cette région de la province du Guangxi a énormément évolué ces dernières décennies sous l’impulsion du tourisme.

Dans les années 80, les groupes de visiteurs chinois se bornaient à la ville de Guilin, ignorant le fameux dicton : « les paysages de Guilin sont les plus beaux du monde, et ceux de Yangshuo sont les plus beaux de Guilin » (桂林山水甲天下,陽朔山水甲桂林). Peu à peu, Yangshuo suscita l’intérêt de quelques “backpackers” étrangers en tant qu’étape du circuit sud-asiatique « banana pancake ». C’est ainsi que le village devint un petit paradis sur terre pour les voyageurs à la recherche de dépaysement, mais aussi pour les mordus d’escalade en quête de voies inexplorées. Dans la deuxième édition du guide « Lonely Planet » publiée en 1988 figuraient déjà quelques auberges et cafés aux menus traduits en anglais. Après le SRAS en 2003, quelques bars servant de la Liquan – la bière locale depuis 1987  – ouvraient leurs portes rue de l’Ouest. Durant la décennie qui suivit, Yangshuo s’évertua à développer un tourisme, domestique cette fois.

Depuis lors, des groupes de touristes venus du pays entier y descendent en masse grâce à un accès facilité par une autoroute (G65) et une gare, inaugurée en 2016, accueillant des trains à grande vitesse en provenance de Canton (2h19), Nanning (3h20), la capitale du Guangxi, ou Guiyang (3h25), capitale du Guizhou voisin. En 2019, ils étaient 19 millions de Chinois (+15,2% par rapport à l’année précédente) à choisir Yangshuo pour leurs vacances, rapportant pour 29 milliards de yuans de revenus. Et il y a foule dans la rue de l’Ouest (cf photo et vidéo en bas de l’article) ! Les chaînes de restaurants proposant la spécialité de Yangshuo (la carpe à la bière) rivalisent avec les franchises McDonald’s, KFC ou Starbucks, les boîtes de nuit montent le son pour couvrir la musique des clubs voisins, tandis que les néons des boutiques de souvenirs en mettent plein les yeux. En haute saison, le spectacle « son et lumière » créé en 2003 par le fameux cinéaste Zhang Yimou affiche complet chaque soir.

Les petites auberges de jeunesse ont fait place à des hôtels plus standardisés. Toutefois des établissements de charme, éco-lodges et « boutique hôtels » ont ouvert dans les villages environnants comme le Yangshuo Mountain Retreat (dès 2001), le Giggling Tree (2007) ou encore The Secret Garden (2012) constitués de vieux bâtiments datant de la dynastie Qing. Des établissements haut de gamme se sont ajoutés à l’offre : le Club Med (plus proche de Guilin) a été inauguré en 2013, suivi par le Banyan Tree l’année suivante, puis par le Yangshuo Sugar House (cf photo) en 2017, installé dans une ancienne raffinerie de canne à sucre datant des années 60.

Aux alentours de la ville, les développeurs immobiliers ont également flairé la bonne affaire et bâtissent chacun leur complexe. Au bord des routes, les paysans tentent eux aussi de tirer profit de cet afflux touristique en ouvrant des restaurants en plein air dans un esprit guinguette. Le bambou des radeaux qui descendent la rivière Li est peu à peu remplacé par du PVC, tandis que la pêche aux cormorans n’est plus qu’un folklore bon à distraire les touristes – il ne reste d’ailleurs plus qu’une poignée de pêcheurs, tous octogénaires

D’autres activités ont fait leur apparition : outre les traditionnelles randonnées à pied et balades en VTT, se sont ajoutés scooters, side-cars ou jeep vintage. Il est également possible de faire de la Tyrolienne, de la montgolfière, du parapente, du rafting et canyoning, de la via ferrata, ou du tai-chi dans l’une des nombreuses écoles… Pour les amateurs de sensations fortes, un téléphérique de 2,3 km de long (cf photo), du spécialiste français POMA, a été inauguré en début d’année et emmène les touristes à 242 mètres de haut, jusqu’au sommet du mont Ruyi où les collines karstiques s’étendent à perte de vue… Là-haut, une passerelle en verre de 138 mètres de long en flanc de montagne défie les plus courageux.

Évidemment, ce début d’année 2020 a été un peu particulier : d’abord, la région a été victime de fortes inondations (cf photo), récurrentes durant l’été. Puis comme toute destination vivant essentiellement du tourisme, elle a connu un passage à vide durant l’épidémie de Covid-19. Aujourd’hui, les rues de Yangshuo sont à nouveau fréquentées, et le coronavirus ne semble plus être qu’un lointain souvenir, la province de 49 millions d’habitants n’ayant officiellement recensé que 255 cas de la maladie. D’ailleurs, mis à part le code de santé du Guangxi à paramétrer sur son smartphone à la sortie de la gare ou de l’aéroport, chacun est libre de se promener sans porter de masque ni laisser ses coordonnées sur son passage…

Alors, Yangshuo est-il vraiment un paradis perdu ? Il est évident que l’ancien village de pêcheurs a été victime de sa popularité : les voyageurs étrangers, qui se lamentent de ne plus retrouver le Yangshuo de leurs souvenirs, ne sont qu’une goutte d’eau face aux torrents de touristes chinois qui se déversent sur la ville. Pourtant, l’authenticité n’a pas complètement disparu dans la région : quelques villages voisins conservent encore leur charme d’antan, comme celui de Fuli (8 km à l’est, célèbre pour son marché et ses éventails), de Jiuxian (10 km à l’ouest, encore préservé), de Xingping (26km au nord, surnommé le « nouveau Yangshuo ») ou le pittoresque Huangyao (150 km plus au sud, où a été tourné le film américain « Le Voile des Illusions« ). Autant d’options pour les nostalgiques !

Foule dans la rue de l'Ouest à Yangshuo – Aout 2020

Posted by Leventdelachine Vdlc on Wednesday, August 26, 2020


Petit Peuple : Jinjiang (Jiangsu) : Les débuts mouvementés de Feng Hewei (1ère partie)

Un matin de juin 2014 au réveil, Feng Rudai jubilait de la merveilleuse nuit qu’il venait de passer avec Li Xiaoming, la call-girl du Lotus d’Or à Jinjiang (Jiangsu), ville industrieuse de 2 millions d’habitants. La veille au soir, ce mauvais garçon avait eu la chance de voler un portefeuille bien garni, qui l’avait enrichi d’un coup de patte, de 6 000 yuans, une vraie aubaine. Il était parti fêter ça au Lotus d’or, bouge des bas-fonds du port fluvial, célèbre pour ses tables de jeu, son restaurant ouvert de la nuit à l’aube, et bien sûr, ses jolies filles. Là, il avait retrouvé Li Xiaoming, dont il rêvait depuis des mois, une des plus jolies créatures qu’il connaisse. Auparavant il n’avait jamais osé l’entreprendre, craignant la rebuffade. Mais cette fois, enhardi par son coup de maître comme pickpocket, il l’aborda, l’invita pour un verre et s’étonna de la voir accepter d’un sourire – il réalisa alors qu’elle aussi, depuis longtemps, avait sur lui un œil, le trouvant plutôt joli garçon. Après le dîner, de fil en aiguille, il l’entraîna dans sa collocation –et profitant de ce qu’elle s’était absentée une minute, avait discrètement averti les copains, par téléphone d’aller dormir ailleurs.

La nuit s’était alors révélée folle, le cœur battant la chamade, de sensations stupéfaites dans un univers de plaisirs sans limites. À présent fou d’amour, il voulait tout simplement l’épouser, rien de moins, en commençant par la présenter à ses parents avec qui il venait de se réconcilier après 10 ans de fugue.

À 25 ans, Feng Rudai était un garçon à la dérive. Il était né dans un milieu défavorisé, de parents mariés beaucoup trop jeunes, et qui trimaient comme des fous pour boucler leurs fins de mois. Laissé à lui-même, le petit s’était mis à fuguer. Les maîtres n’avaient rien dit aux parents. Quand Rudai revenait à la maison avec ses notes catastrophiques, tout ce que Zhaoyan, le père, trouvait à faire, était de lui flanquer une correction qui ne faisait que le braquer contre la famille et la société entière. À 15 ans, en 2004, il fut exclu du collège et après l’ultime raclée par son père, en dépit des suppliques de sa mère, il s’était sauvé, se promettant de ne jamais revenir. Depuis 10 ans, il vivotait ainsi en rupture de ban, avec d’autres enfants révoltés comme lui ou chassés du domicile par une catastrophe (père violents, parents morts dans un accident…). Il mendiait, ou se risquait au métier dangereux de pickpocket, chassant en meute avec sa bande de jeunes redoutés – même les policiers lors de leurs rondes, préféraient les éviter. Le soir, il jouait au mah-jong, et buvait bière ou baijiu. Bientôt, il s‘était mis aux drogues qui circulaient en cette ville portuaire. Pour se les permettre, avec les copains, ils les vendaient dans l’ombre des marchés ou du débarcadère des ferries. À plusieurs reprises, il s’était fait prendre, mais toujours pour être relâché en fin de journée en tant que mineur : la police n’ayant pas l’équipement pour emprisonner ces gamins.

À sa grande surprise, presque instantanément, Xiaoming accepta sa demande en mariage : seule elle-même, elle souffrait de la domination des hommes, des clients comme des souteneurs qui la battaient pour s’en faire obéir. Elle se disait que la présence d’un compagnon pourrait lui donner un peu de protection. Et puis après tout, si Rudai se faisait trop pesant, elle pourrait toujours le plaquer : qu’est-ce qu’était un mariage pour elle, sinon un chiffon de papier ? Prudente toutefois, elle avait suggéré qu’ils passent d’abord au bureau des mariages avant d’aller voir ses parents – elle craignait que ceux-ci ne détectent en elle la cocotte, et ne s’opposent à un mariage aussi équivoque.

Ainsi quelques jours plus tard, ils étaient mari et femme devant la loi. Zhaoyan et Yuanlong la mère, furent plus coopératifs que prévu. Curieusement romantiques, les parents de Rudai voyaient dans cette union la chance pour leur fils de rentrer dans le droit chemin et de se stabiliser par l’amour, et l’envie d’un enfant qu’eux-mêmes espéraient de toutes leurs forces. Aussi 15 jours après, dans un hôtel de quartier, le vieux couple payait une fête de noces dans toutes les formes requises, avec prêtre bouddhiste en robe carmin et banquet de 15 mets pour 40 invités. Zhaoyan leur avait aussi trouvé un modeste nid d’amour à deux pas de chez eux : il réglait le loyer le temps qu’ils aient trouvé du travail.

Les premiers mois, entre le jeune couple et les parents, tout se passa comme dans un rêve. Rudai et Xiaoming avaient tous deux pris des jobs réguliers, lui comme « kuli » (苦力, manœuvre portuaire), et elle comme serveuse en restaurant. Ils menaient en apparence une vie réglée, ayant coupé les ponts avec le jeu et la drogue. Et au bout de neuf mois, en février 2015, Xiaoming accouchait d’un beau bébé, appelé Hewei.

Mais Ru et Xiaoming ne sont-ils pas en train de « 瞒天过海 » (mán tiān guò hǎi, mener en bateau) ces parents peut-être un peu trop crédules ? Peuvent-ils vraiment quitter leur passé de drogue et de délinquance, par la simple force de la volonté ? On le saura, ami lecteur, la semaine qui vient !


Rendez-vous : Semaines du 31 août au 27 septembre
Semaines du 31 août au 27 septembre

31 août – 2 septembre, Shanghai : Aquatech, Buildex, Ecotech, Salon professionnel international des procédés pour l’eau potable, traitement des eaux usées, traitement de l’air

1-3 septembre, Shenzhen : LED China, Salon mondial de l’industrie des LED

2-3 septembre, Shanghai : Metro China Expo, Salon international et conférence sur la transport par rail urbain et régional

2-4 septembre, Shanghai : SIBT – Shanghai Intelligent Building Technology, Salon professionnel chinois des technologies de construction intelligentes

4-6 septembre, Pékin : Cafe Show China, Salon international du café mais aussi du thé, chocolat, apéritifs, desserts, alcools, vins, produits de boulangerie, glaces, matières premières, machines, équipements, instruments de cuisine, design des cafés, franchises…

9-11 septembre, Shenzhen : ELEXCON, Salon chinois de la haute technologie notamment relative à l’IA, la maison intelligente, l’internet des objets, les véhicules intelligents, les systèmes intelligents de l’industrie et les nouvelles énergies

12-14 septembre, Canton : DPES Sign Expo China, Salon chinois international des équipements de publicité

14-16 septembre, Shanghai : Testing Expo, Salon du test, de l’évaluation et de l’ingénierie de la qualité dans les composants automobiles

15-19 septembre, Shanghai : CIIF – China International Industry Fair, Foire industrielle internationale de Shanghai (métal et machine-outil, Automatisation, Technologies de l’environnement, de l’information et des télécommunications, Énergie, Technologies aérospatiales)

16-18 septembre, Shanghai : RUBBERTECH, Salon dédié aux machines de traitement du caoutchouc, produits chimiques, aux additifs et matières premières

17-19 septembre, Shanghai : Sign China, Salon chinois international de l’enseigne et de la publicité

17-19 septembre, Canton : PHARMCHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

18-20 septembre, Pékin : China Horse Fair, Salon chinois international du cheval, sport et loisirs

18-20 septembre, Canton : China Pet Fair, Salon international de l’animal de compagnie en Chine

18-21 septembre, Fuzhou : China Space Conference, Conférence sur les technologies et la coopération spatiales

21-23 septembre, Shanghai : China EPower & GPower, Salon chinois international de la génération d’énergie et de l’ingénierie électrique

23-25 septembre, Shenzhen : CIE Fair – China International Internet & E-Commerce, Salon international de l’internet et du e-commerce

23-25 septembre, Chongqing : CAPE – Chongqing Auto Parts Exhibition, Salon chinois international des pièces détachées et des services automobiles, des nouvelles énergies et technologies pour l’automobile

26 septembre – 5 octobre, Pékin : Auto China, Salon international de l’industrie automobile

27-29 septembre, Shanghai : SIEE Expo – Shanghai International Early childhood Education Expo , Salon international de l’éducation et des fournitures pour la petite enfance