Environnement : A Shanghai, la révolution des ordures

A Shanghai, on ne parle que de lui dans les rues, les journaux, à la TV, sur les réseaux sociaux : le tri sélectif (垃圾分类, lājī fēnlèi) est arrivé ! Depuis le 1er juillet, ce tri des déchets ménagers est obligatoire en quatre poubelles placées en bas de chaque immeuble pour le biodégradable, le sec, le recyclable et le non-recyclable.

Pour préparer la communauté, la mairie a lancé une campagne sans lésiner sur les moyens : chanson, clip vidéo, application mobile décrivant tous les cas de figures, et un jeu en réalité virtuelle pour s’entrainer au tri sélectif. Pendant le mois de juin, 3 millions de poubelles individuelles s’arrachaient sur Taobao.

Tout citoyen pris à déverser ses immondices non triées, sera taxé de 200¥ ou perdra des points sur sa note morale. Mais il pourra se rattraper en déposant ses ordures aux points de collecte dédiés durant un créneau horaire défini, permettant aux volontaires de s’assurer que le tri est bien fait. Hôtels et restaurants shanghaïens devront également renoncer à offrir systématiquement  baguettes et brosses à dents à usage unique – le client devra les réclamer désormais. L’objectif pour Shanghai est de retraiter d’ici 2020, 80% de ses déchets secs et biodégradables–50 à 70% des poubelles étant composées de restes alimentaires, la Chine se place en première position mondiale en ce domaine.

Autre problème : le suremballage est généralisé, jusqu’aux fruits et légumes délicatement protégés un à un par une couche de polystyrène. C’est la faute au e-commerce en plein boom, qui emballe excessivement pour éviter que les biens qu’ils transportent soient endommagés—mais seuls 10% de ces emballages sont recyclés. A elles seules, les livraison de repas commandés sur les applications mobiles Meituan (Tencent), Ele.me (Alibaba) ou Baidu Waimai, génèraient en 2018 deux millions de tonnes de détritus (+25% par rapport à l’année précédente), dont trois-quarts de barquettes en plastique…

Depuis 2000, le gouvernement chinois fait du sur-place sur le tri sélectif, faute de disposer de tous les outils nécessaires – infrastructures et prise de conscience de la population.  

L’arrivée du Président Xi Jinping a changé la donne. Il a fait du tri sélectif une croisade personnelle et serait l’auteur de l’interdiction en 2018 de l’importation de déchets étrangers, pour permettre à la nation de se concentrer sur le recyclage de ceux domestiques. Désormais, la pression est mise sur les cadres pour qu’ils atteignent leurs objectifs environnementaux. Cela n’a toutefois pas mis un terme aux manifestations de riverains, s’opposant à l’installation d’incinérateurs ou de décharges à proximité de leurs habitations, craignant pour leur air ou leurs sols. La dernière en date a eu lieu le 28 juin et dura près d’une semaine, dans le sous-district de Yangluo à Wuhan, la population blâmant les autorités locales de ne pas avoir été consultée… Mais une course contre la montre est engagée à travers le pays : avec la constante augmentation du volume des déchets, incinérateurs et décharges arrivent à saturation.

Ceci va en dépit de toute une économie parallèle de millions d’humbles recycleurs qui trient les déchets à la main sans protection, et survivent de la revente du plastique des bouteilles, de l’aluminium des cannettes et du carton des colis. Mais leur âge d’or est derrière eux : à présent, les inspecteurs de l’environnement leur compliquent la tâche, considérée comme une « pollution visuelle » dans les rues. D’autres jobs mieux payés, de livreur par exemple, les détournent de ce métier. Et les grandes villes s’efforcent de les faire rentrer au village…

L’Etat compte donc sur les particuliers pour faire ce travail de tri, et sur une professionnalisation de la collecte, du transport et du traitement des déchets. Actuellement, 7000 firmes se partagent le secteur – le gouvernement compte y investir cette année 3 milliards de $. D’ici 2025, le ministère du Développement Rural et Urbain ambitionne un recyclage d’au moins 35% des déchets dans 46 métropoles—contre 20% aujourd’hui.

Toutefois, le régime s’est mis la barre bien haute, en courant trois lièvres à la fois. Il veut réduire la quantité d’ordures, augmenter le taux de recyclage notamment grâce au tri sélectif, et réduire les émissions de CO2 des incinérateurs, en assurant une meilleure combustion.

La sensibilisation du public reste le défi n°1 du tri sélectif. Selon une étude du promoteur immobilier Vanke en 2018, il n’arrive qu’en 4ème position des soucis environnementaux des Chinois (après la qualité de l’air, de l’eau et de l’environnement sonore) et suscite le scepticisme : « si quelqu’un peut trier mes ordures, pourquoi devrais-je m’y mettre ? », « je paie déjà mes frais de copropriété, pourquoi faudrait-il que je me salisse les mains ?». Une sensiblisation dès le plus jeune âge est donc importante : dans les écoles primaires et collèges, des manuels ont été distribués pour expliquer la magie des pelures de pomme converties en compost, des bouteilles plastiques qui renaissent sous forme de chaussures, des déchets incinérés pour nourrir les turbines de la fée électricité…

Mais rien n’est gagné, tant que tout le monde ne joue pas le jeu : « même si je trie, d’autres ne le font pas, et les déchets finissent par être mélangés… » ou bien « j’ai trié mes ordures, mais les éboueurs ont tout balancé dans la même benne ».

Ce débat ressemble à ceux de la cigarette en lieux publics, ou de l’assistance à personne en danger. Pour forcer le civisme, le gouvernement a recours à la technique de « la carotte et du bâton », base de l’imminent système de crédit social, ou aux amendes, même si celles-ci se sont révélées inefficaces dans le passé, faute de pouvoir prendre le résident « la main dans le sac »…

A long terme, la meilleure chance reste tout de même l’éducation, dans une société où la confiance envers l’autre fait cruellement défaut. Et une génération ne sera pas de trop pour changer les mentalités !

Par Jeanne Gloanec

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