Hong Kong : Le chaos

A Hong Kong au 1er juillet, pour le 22ème anniversaire du retour à la Chine, la journée promettait d’être  festive. Le gouvernement local avait préparé une cérémonie solennelle en plein air, et la marine de l’Armée Populaire de Libération (APL) invitait la foule à des « portes ouvertes » sur l’un de ses bâtiments gris argent, en escale dans le port.

Alors, 265.000 résidents s’étaient rassemblés pour une marche de protestation, tous habillés de noir, portant leurs calicots et criant leurs slogans pacifiques contre le projet de loi d’extradition de la Chief Executive Carrie Lam.

Puis, tout dérapa, et plongea soudain le centre de Hong Kong dans une ambiance anxiogène, violente et insurrectionnelle. Très tôt, Carrie Lam, contrainte par l’afflux de manifestants masqués, avait dû rapatrier la cérémonie à l’intérieur, et sur le site déserté, les protestataires avaient hissé aux mâts un drapeau noir, foulant aux pieds la souveraineté chinoise – affront inimaginable !

Le pire était encore à venir : bientôt apparaissaient des centaines de casseurs organisés et déterminés, portant masques de plongée ou antipollution, moins pour se protéger des gaz lacrymogènes que pour se rendre anonymes. Rétrospectivement, il apparaît que 200 d’entre eux, dans une AG non signalée aux organisateurs de la journée, avaient voté « à 80% » pour s’introduire par la force dans le Legco. A ce jour, la majorité du Parlement de 60 élus est détenue par les pro-Pékin grâce à un « bricolage électoral ». Organisés en escouades, les policiers armés de bombes à gaz et de matraques en caoutchouc tentèrent de stopper leur progression. Mais dépassés par le nombre, bientôt ils n’empêchèrent plus les extrémistes de s’en prendre à l’édifice, martelant et brisant les parois de verre à coups de barres de fer et d’un chariot manié  comme bélier.

Etrangement, vers 19h, les autorités policières décrétèrent une « alerte rouge », du jamais vu à Hong Kong, et ordonnèrent ni plus ni moins l’abandon du site par les policiers massés à l’intérieur. C’était une décision inouïe et lourde de conséquences. En effet, les extrémistes soigneusement cagoulés s’engouffrèrent dans l’hémicycle, et se mirent à taguer les murs, briser et piller les bureaux jusqu’à suspendre, moins par conviction que par dérision, un drapeau colonial britannique. Plus sérieusement, apparaissait ce graffiti profanateur « Hong Kong n’est pas la Chine ».

Moins de trois heures plus tard, la police réalisant son erreur – à moins qu’il ne se soit agi d’une action délibérée, afin de provoquer un choc qui désolidarise à jamais les hongkongais de tout mouvement de protestation – reprenait le bâtiment. Mais ici encore, dans un style fort inattendu, elle le faisait d’une manière qui permette aux casseurs de quitter jusqu’au dernier, sans être inquiétés.

Le 2 et 3 juillet, les limiers scientifiques de la police collectaient dans l’hémicycle les traces d’ADN et d’empreintes digitales laissées par les casseurs, et épluchaient des centaines de photos. Dès le 4 juillet, 12 personnes étaient arrêtées, de 14 à 31 ans, pour port d’instrument et destruction de matériel public. 

Pourquoi une telle violence ? Il y a d’abord, pointé par Joshua Wong (l’activiste de 22 ans qui vient de faire un mois de prison suite à son rôle dans l’action « Occupy Central » de 2014 qui réclamait l’élection au suffrage universel direct du Chef Exécutif), le refus obstiné du pouvoir local de retirer son projet de loi qu’elle n’a fait que « suspendre », et les excuses qualifiées de « peu convaincantes » de Carrie Lam.

Un autre facteur de la radicalisation des manifestants réside dans les décès de quatre activistes, dont trois s’étant apparemment suicidés. Ainsi, le mouvement les considère comme martyrs, et couvrent les trottoirs de monceaux de fleurs blanches, genres de chapelles ardentes.

En fin de compte, un point commun entre les deux mouvements—celui pacifique et légal, et la poignée d’extrémistes casseurs—a probablement été l’expression d’un refus frontal de l’étouffement lent des libertés auquel Hong Kong assiste depuis 1997, accentué depuis 2013. Interrogé le 1er juillet, un étudiant déclarait : « nous ne voulons pas attendre 2047 et passer la responsabilité de se battre pour nos libertés à la génération suivante ».

Sous le choc après ce coup de force inouï, Pékin se contente d’intimer à sa Région Administrative Spéciale de « rétablir l’ordre au plus vite ». Mais a évidemment un choix à faire—intervenir, ou laisser faire, et changer ou non l’impopulaire Mme Lam. A savoir que depuis le 9 juin, des forces spéciales sont postées à Shenzhen, prêtes à intervenir au cas où la situation déraperait.

Pour les organisateurs de la marche, c’est l’indécision. Sans qu’il soit question d’approuver le grave dérapage, on refuse de le condamner—on le justifie même quelque part. Mais à l’évidence, comme prédisait un sympathisant : « en renonçant au légalisme, nous perdrons le soutien de la population ».

Cependant, ceci ne règle rien au fond. Comme le note un diplomate, « Hong Kong n’a plus de gouvernement » – Mme Lam pour l’instant n’est plus écoutée, ni respectée. Quand à la relation avec la Chine, elle reste entièrement à recomposer.

Enfin, dans cette crise, la relation avec le monde extérieur reste essentielle : des politiciens comme Jeremy Hunt, candidat Premier ministre au Royaume-Uni, affirment, exaspérant ainsi la Chine, que celle-ci est liée quant au sort de Hong Kong, par un traité qu’elle doit respecter. Hunt et l’Angleterre ne sont pas les seuls de cet avis. Pékin, décidément, va devoir faire preuve de plus de prudence et tolérance que par le passé dans la gestion de ce dossier.

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