Petit Peuple : Suzhou (Jiangsu) – Zhang Qiong, une journée pas ordinaire (3ème partie)

Résumé de la 2ème partie : moine malgré lui depuis l’âge de 16 ans, Zhang Qiong est confié par son monastère de Dongshan à Suzhou (Jiangsu), à des femmes riches pour des services bouddhistes personnalisés.

Le 10 juin, Zhang Qiong disparut de son monastère. Constatée lors de la cérémonie matinale au sanctuaire, l’absence fut confirmée par le frère intendant, qui découvrit sa cellule vidée de tous effets personnels et le drap proprement replié sur le lit. Avec le prieur, il refit une fouille complète, qui ne permit de retrouver qu’un bouton de manchette en or, oublié au fond du placard.

Le prieur se garda de signaler la fuite à la police : l’enquête qui s’en serait suivie, n’aurait pas manqué de devenir compromettante. En effet le jeune religieux passait notoirement plusieurs nuits par semaine aux côtés de femmes, au titre d’exercices tantriques et de méditation bouddhiste. Et il n’était pas le seul : vu la popularité de ce service spirituel, tous les novices de belle apparence étaient en permanence appelés par le prélat à cet apostolat d’un genre nouveau, faisant ainsi de Dongshan la plaque tournante d’un vibrant circuit de petits moines, novices le jour, soutiens moraux la nuit. Les revenus permettaient au monastère de décupler sa contribution à des œuvres de bienfaisance, mais plus le trafic se déployait, plus la discrétion était de mise, la rumeur cancanant bien trop sur une activité pas vraiment licite ni conforme aux bonnes mœurs…

Averti, le père de Zhang Qiong préféra lui aussi ne pas faire de vague. Ce haut fonctionnaire avait souci de ne pas s’attirer les projecteurs de l’administration, ayant comme le monastère, des choses à cacher : sa fortune, réunie à force de cachetons d’industriels en échange de toute sorte de passe-droits, tampons et licences. Sa vie privée, de même, était assez loin d’atteindre la frugalité préconisée par le régime.

Nonobstant le silence du père spirituel et du père génétique, le commissaire principal apprit vite, par ses informateurs, la disparition du moinillon. Le jeune fuyard fut d’ailleurs localisé en quelques heures : la ville entière le voyait régulièrement, en compagnie de ses bonnes fées, dans les bons restaurants et les meilleures boutiques de mode.

Pour autant, le policier se garda d’intervenir. Aucune plainte n’avait été déposée -bien au contraire. Et comme ces dames étaient très sensibles au chapitre de leur réputation, suivant le dicton « elle veut à la fois faire la putain et mériter sa stèle de femme vertueuse » (坊, yòu xiǎng dāngbiǎozi, yòu xiǎng páifāng), le commissaire estima urgent de ne rien faire, et se garda de toute initiative intempestive.

Dix jours après,  Zhang Qiong reprit de lui-même contact avec le prieur du monastère, l’invitant le lendemain en «  son domicile », dans une tour de standing d’un beau quartier.

Descendant de la BMW du monastère à l’heure prescrite, l’écclésiastique en robe carmin eut la surprise de rencontrer, sortant de sa voiture de sport en deux pièces-cravate, le père du jeune homme. Embarrassés, les deux hommes constatèrent alors qu’ils répondaient à la même convocation. Dans le hall de marbre, depuis un interphone, ils se virent indiquer le loft du dernier étage. Pieds nus sur le plancher de teck, Zhang Qiong vint à leur rencontre en jeans et T-shirt blanc, les invitant à le suivre vers un salon tout en hauteur, très lumineux, digne d’une revue d’architecture d’intérieur.

« Mes compliments pour ta tenue d’une sobriété bouddhiste », fit le moine en un sourire pincé, mais où es ta robe ? Tu es dans les ordres !»

« Plus maintenant », fit le jeune, le fixant dans les yeux. « Notre règle m’autorise à sortir– et la loi aussi – je suis majeur, pas comme en 2013 quand j’étais entré à 16 ans, sous votre contrainte. C’est pour cela que je vous ai appelés – pour vous dire ma colère. Ensemble, vous m’avez volé six ans de ma vie. Comment pourrai-je vous le pardonner ? »

« Comment oses-tu me parler ainsi ? », explosa l’auteur de ses jours, « ce que j’ai fait, cela a été pour te protéger et sauver la famille à un moment de grand danger. Et je t’ai enrichi ensuite, en t’aiguillant vers tes riches protectrices… Tu me dois la gratitude, et le respect »

« C’est ce que tu crois ! Mais face au vice, je n’ai nulle obligation de gratitude ni de respect. Faire de moi un gigolo a été immoral, et vous l’avez fait sans mon consentement, et sans même me dire ce que vous vous apprêtiez à me faire faire, sous prétexte d’activité religieuse. Et tout ca, vous l’avez fait pour remplir la caisse du monastère

« Zhang Qiong, reprit le prieur sévèrement, ton ton ne me plait pas non plus. Contrairement à ce que tu crois, il y a une loi contre les moines en fuite : soumets-toi, ou bien je te colle sur le fichier national des personnes recherchées, dans la catégorie des moines en cavale ».

« Vous n’en ferez rien », s’écria une quatrième personne faisant son apparition en coup de théâtre. C’était Ah Meng, l’industrielle, le regard étincelant de rage. « Ce que vous allez faire, pour la première fois, c’est le laisser vivre et lui ficher la paix. En 18 mois de liaison avec Zhang Qiong, j’ai appris à découvrir son potentiel, que vous avez toujours ignoré, son avenir prometteur que vous lui interdisez. A présent, j’entends en faire mon fils spirituel. Il veut retourner aux études d’anglais, aux Etats-Unis : je veux son état civil, ses papiers, et vous allez me les donner—sinon, je vous dénonce, vous et vos trafics minables —j’ai toutes les preuves en main.  

Abasourdis, les deux hommes avaient assez vécu pour comprendre le sérieux de la menace : « mon fils, conclut le père d’un ton étranglé, tu es libre… Je ne te connais plus ». Tandis que le prieur, d’une voix enjouée concluait, un tantinet ridicule : « au fait, j’étais surtout venu pour te rendre ceci, que tu as oublié dans ton casier ». Et tirant l’objet d’une poche sous sa soutane, il rendit au jeune homme qui souriait goguenard, son bouton de manchette ouvragé, oublié dans sa cellule !

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