Portrait : « La moitié du ciel » contre l’épidémie

« La moitié du ciel » contre l’épidémie

En 1955, Mao affirmait que les femmes portent la « moitié du ciel » sur leurs épaules (妇女能顶半边天). En 2020, dans la guerre contre le coronavirus, elles représentent une large partie des soldats en blanc (28 000 des 42 000 personnels médicaux envoyés dans le Hubei). Leurs sacrifices ont souvent été mis en avant par la presse officielle qui pensait ainsi leur rendre hommage. Pourtant, cette récupération à des fins propagandistes était dénoncée par certains internautes : les médias auraient dû souligner la cruelle réalité de leurs conditions de travail dans les hôpitaux au lieu de se focaliser sur leur condition féminine. Toutefois le 8 mars, à l’occasion de la journée des droits de la Femme, le Président Xi Jinping ne manquait pas de leur rendre hommage. Médecins, scientifiques, militaires, politiciennes, voici les portraits et interviews de quatre d’entre elles :

Sun Chunlan (孙春兰) 

Seule femme des 25 membres du Bureau Politique, la vice-Première ministre Sun Chunlan, 70 ans, est la plus haute dirigeante du Parti sur le terrain. Elle a été envoyée diriger les opérations à Wuhan au nom du gouvernement central dès le 22 janvier. Sun ne doit pas sa place au sommet au Président Xi Jinping, mais à son prédécesseur, Hu Jintao. De cette manière, si les choses dérapent et que Sun se compromet, cela n’affectera pas la garde rapprochée de Xi. De plus, son portfolio ministériel comprend la santé, il était donc tout naturel de l’envoyer sur place, tout de même assistée de Chen Yixin, fidèle du Président Xi. Son rôle rappelle celui de Mme Wu Yi, « dame de fer » dans la même position que Sun pendant le SRAS en 2003.

Même si ses apparitions publiques sont régulières depuis le début de l’épidémie, Sun n’occupe qu’une petite partie de la couverture médiatique, habituée à faire profil bas. Pourtant, elle n’échappait pas à la polémique le 5 mars. Lors d’une tournée d’inspection dans une résidence, Sun était interpellée par une poignée d’habitants : « tout est faux » criaient-ils depuis leurs fenêtres. Ils dénonçaient la mise en scène des gérants de la propriété, ayant organisé une livraison de produits de première nécessité par de faux bénévoles. Suite à cet épisode, Sun réprimandait les responsables ayant tenté de dissimuler ces problèmes d’approvisionnement.

Née en 1950 dans le Hebei, Sun est issue d’un milieu modeste. Fille d’ouvriers, elle a commencé sa vie professionnelle à 21 ans en tant que petite main dans une usine publique d’horlogerie du Liaoning. Elle intégra successivement la Ligue de la jeunesse, la Fédération des Femmes, et l’Union des travailleurs (syndicat unique) – positions considérées par le Parti comme bien adaptées aux femmes, et pas vraiment recherchées par les hommes.

Sa carrière décolla vraiment en 1992-1993, lorsqu’elle fut enrôlée à l’Ecole Centrale du Parti. C’est dans ce fief réformateur qu’elle rencontra le futur Président Hu Jintao – directeur jusqu’en 2002. En 2001, Sun devenait Secrétaire à Dalian où elle s’appliqua avec un certain flair politique, à démanteler les réseaux de son prédécesseur Bo Xilai (bien avant sa chute). Ses efforts furent récompensés par une promotion à Pékin en 2005 en tant que n°2 du Syndicat unique national. C’est à elle que la Chine doit l’implantation jusqu’alors négligée, de structures syndicales dans les entreprises étrangères. En 2009, le Président Hu Jintao lui confia les rênes du Fujian, où elle fournira des résultats honorables, en associant systématiquement à tout projet (usine ou infrastructure) une touche de protection de l’environnement.

En 2012, grâce au soutien du Premier Secrétaire Hu, elle monte au Bureau Politique en tant que Secrétaire du Parti à Tianjin. C’est un peu une « patate chaude » qui lui est transmise, car elle se retrouve confrontée à des problèmes anciens et épineux à Tianjin – une croissance artificielle basée sur un surinvestissement public, une nouvelle place financière qui ne décolle pas, un port mal géré (trop de pondéreux polluants, stockage hors contrôle des produits dangereux). D’ailleurs, l’explosion du port n’interviendra qu’après son départ en 2014. Son bilan à Tianjin, et son affiliation notoire à l’équipe de Hu Jintao lui valent en décembre 2014, sous Xi Jinping, une promotion à la tête du Département du Front Uni. Le poste s’était libéré suite à la chute pour corruption de son Président, l’ancien bras droit de Hu Jintao, Ling Jihua.

En 2017, à 67 ans, Sun devenait vice-Première ministre en charge de l’éducation, de la santé et la culture, suivant les traces de Mme Liu Yandong, sa prédécesseur. Sun devrait logiquement prendre sa retraite lors du 20ème Congrès en 2022, mais elle restera un modèle pour les femmes chinoises, l’exemple d’une courageuse course solitaire au sein de ce club d’hommes qu’est le PCC. Lors du dernier Congrès en 2017, elles n’étaient encore que 10 dans la liste des 204 membres du Comité Central.

Chen Wei (陈薇)

Le 3 février, le nom du major-général Chen Wei, 54 ans, était parmi les plus recherchés sur Weibo. Bien plus jeune que l’expert national Zhong Nanshan (83 ans), ou Mme Li Lanjuan (73 ans) membre du panel de la Commission Nationale de Santé, Chen est une des meilleures expertes du pays en armes biologiques. Forte d’une vaste expérience anti-épidémique et ayant longuement étudié les coronavirus depuis le SRAS en 2003, elle a été envoyée à Wuhan le 26 janvier pour coordonner les efforts entre le personnel médical militaire et les équipes locales. Depuis un laboratoire de fortune installé sous une tente, son équipe a notamment étudié la transfusion de plasma de convalescent. Pour éviter que le personnel soignant n’attrape le virus, Chen a également préconisé l’utilisation d’un spray nasal qu’elle avait mis au point pendant le SRAS. Même si les résultats sont encourageants, le spray ne pourra pas être produit en masse, car sa formule est trop coûteuse. Début février, elle prenait finalement ses quartiers à l’Institut de Virologie de Wuhan, qui dispose d’un laboratoire « P4 » de niveau de sécurité biologique maximum, le seul en Chine. C’est au sein de ce « P4 » que l’équipe de Chen Wei aurait réussi à développer un vaccin candidat ainsi qu’un médicament préventif destiné aux personnes ayant été en contact avec des patients atteints du Covid-19. Une photo de Chen, recevant une injection devant un drapeau du Parti, circulait sur web : elle aurait tenu à être la première à tester le vaccin.

Née dans la petite ville de Lanxi dans le Zhejiang en février 1966, Chen voulait devenir enseignante avant que sa professeure de physique ne la persuade de poursuivre des études scientifiques. Une licence de chimie en poche, Chen fut admise à la prestigieuse université de Tsinghua à Pékin en 1988. A 23 ans, lors d’un voyage dans un train bondé à destination de Jinan (Shandong), elle rencontra son futur mari, Ma Yiming, 35 ans, employé dans un établissement viticole de Qingdao. En 1991, un de ses professeurs l’envoyait récupérer quelques tubes à essai à l’Académie militaire des Sciences médicales. Elle y découvrit des équipements encore plus avancés que ceux de son université, mais aussi sa vocation : quelques mois plus tard, après avoir obtenu son master, elle rejoignait les rangs de l’Armée Populaire de Libération, et déclinait une offre de recrutement très bien payée à Shenzhen. Sept ans plus tard, elle obtenait son doctorat.

Très impliquée lors du SRAS en 2003, Chen dut se séparer de sa famille pendant de longs mois. Son mari se rappelle bien de cette période : « lorsque notre fils de 4 ans a vu sa mère à la télévision, il embrassa l’écran » (cf photo). Pour soutenir Chen dans ses recherches, Ma se charge des tâches ménagères : « ce serait un gâchis de ses talents que de la laisser faire le ménage », déclarait-il dans une interview à la CCTV.

Femme de terrain, elle participa aux efforts de reconstruction après le tremblement de terre dans le Sichuan en 2008. Lors des Jeux Olympiques de Pékin deux mois plus tard, elle faisait partie de l’équipe de commandement en cas d’attaque biologique terroriste. En 2015, elle s’envolait au Sierra Leone avec l’ambition de trouver un vaccin au virus Ebola. Le 10 juillet de la même année, Chen était élevée au rang de major-général par le Président Xi Jinping – la seule femme promue ce jour-là. Elle prenait la place de Dong Youxin, major-général tombée pour corruption (7 millions de yuans) trois semaines plus tôt. En 2018, Chen Wei devenait membre de la Conférence consultative du Peuple (CCPPC).Jusqu’à présent peu connue du grand public, cette épidémie l’a propulsée sous les projecteurs.

Shi Zhengli (石正丽)

Scientifique chevronnée, Shi Zhengli est spécialiste des maladies retrouvées chez les chauves-souris. Après plus de 10 ans de travail, dont des centaines d’heures passées dans des grottes de 28 provinces chinoises, Dr Shi a bâti la plus grande base de données au monde sur ces animaux nocturnes. Ces recherches lui valurent le surnom de « reine des chauves-souris » (蝙蝠女王). Shi est aussi la n°2 du laboratoire « P4 » de Wuhan, et la directrice du « P3 ».

Le 20 janvier dernier, son équipe découvrait que les caractéristiques du nouveau coronavirus n’étaient qu’à 79,5% semblables à celles du SRAS, mais partageaient 96% des traits du RaTG13, virus que l’on retrouve chez une espèce de chauve-souris, soupçonnant ainsi avoir trouvé l’animal réservoir du Covid-19. Alors qu’un tel travail mériterait sûrement une certaine reconnaissance, Shi fut accusée d’avoir fabriqué ce virus ou d’être responsable de sa fuite. Invitée le 9 mars par Tencent lors d’une session en live-streaming, elle se défendait à nouveau : le virus n’est aucunement fabriqué par l’Homme. Par contre, les multiples nettoyages du marché de Huanan ont rendu difficile de tracer l’hôte intermédiaire du virus. Beaucoup d’échantillons d’espèces animales ont été détruits. « Notre seule chance pour en retrouver l’origine est d’enquêter auprès des patients et des vendeurs : avec quels animaux ont-ils été en contact ? D’où ces animaux venaient-ils » ? Le 3 mars, elle retournait pour la seconde fois au marché de Huanan, en quête de nouveaux échantillons. Déçue, elle confiait n’avoir rien trouvé de plus que le CDC national.

Née dans le Henan en mai 1964, Shi recevait sa licence en génétique de l’Université de Wuhan en 1987, puis son master de l’Institut de Virologie de Wuhan en virologie moléculaire en 1990, et intégra l’institut dans la foulée. Six ans plus tard, elle débutait un doctorat à l’Université de Montpellier 2, qu’elle obtenait en 2000. En 2005, son équipe prouvait qu’une espèce de chauve-souris retrouvée au Yunnan était bien l’animal « réservoir » du SRAS. L’année suivante, elle suivait une formation de biosécurité à Lyon au laboratoire P4 Jean Mérieux – Inserm. A partir de 2014, Shi reçut plusieurs bourses du gouvernement chinois et américain pour financer ses recherches sur les coronavirus. En novembre 2015, elle co-signait avec des chercheurs américains, un article publié par Nature Medicine révélant avoir créé un virus hybride constitué d’un coronavirus retrouvé chez les Rhinolophes et de la structure d’un type de SRAS présent chez les souris. Leur étude démontrait que le nouveau virus était capable d’infecter les cellules respiratoires humaines. A l’époque, d’autres virologues s’inquiétèrent de ces expérimentations : « si le virus s’échappait, sa trajectoire serait imprévisible », commentait Simon Wain-Hobson de l’Institut Pasteur de Paris. « Le seul impact de ces recherches est la création dans un laboratoire d’un nouveau risque non-naturel », selon le microbiologiste américain Richard Ebright. En juin 2016, Shi était faite Chevalier de la Légion d’honneur par le gouvernement français pour sa contribution dans l’ouverture du premier laboratoire P4 de Chine à Wuhan. En janvier 2019, ses recherches sur les virus retrouvés chez les chauves-souris remportaient le 2èmeprix du Concours national des sciences naturelles. Lors de sa dernière interview, Shi déclarait : « Je ne m’attendais pas à ce que le nouveau coronavirus de type SRAS surgisse fin 2019, qui plus est, dans la ville où je vis (…) Après avoir été la cible de tant de polémiques, je vis dans la crainte ».

Dr Liu Man

Parmi les milliers de médecins anonymes qui luttent contre le Covid-19 à travers le pays, le Dr Liu Man (pseudonyme) a été confrontée au virus dès mi-janvier dans son hôpital spécialisé de Pékin. « Je m’estime chanceuse, nos conditions de travail sont bien meilleures ici qu’à Wuhan, nous n’avons pas connu de pénurie d’équipements et nous disposons d’assez de soignants pour mettre en place des rotations. De plus, nous avons de moins en moins de patients ces jours-ci », affirme-t-elle.

« Je ne cache pas qu’au début de l’épidémie, j’ai eu peur. Aujourd’hui, on en sait chaque jour un peu plus sur le virus, et cela nous permet de mieux travailler » confie-t-elle.« Les premières fois où j’ai enfilé ma combinaison protectrice, j’ai mis énormément de temps. Maintenant, je suis bien entrainée : je peux être prête en 15 minutes chrono et aller au contact des malades sans craindre d’attraper le virus. A l’inverse de ce que certains médias ont pu rapporter dans d’autres établissements, je n’ai pas eu à me couper mes cheveux ».

Comme tous les autres médecins du pays, le véritable casse-tête pour le Dr Liu est de trouver le meilleur traitement pour soigner ses patients: « à ce jour, il n’existe aucun remède, ni vaccin. On peut seulement donner aux malades un traitement symptomatique et des anti-inflammatoires. On a également recours à la médecine traditionnelle chinoise (TCM) pour booster leurs systèmes immunitaires ». Et les résultats sont plutôt bons : sur les 150 cas traités par son hôpital, seul un patient est décédé.

Malgré une certaine fatigue et un stress accumulé, le Dr Liu peut compter sur le soutien de son mari :« on vit toujours ensemble, dans le même appartement. Et si je fais bien attention à me protéger, ce n’est pas seulement pour moi, mais pour lui aussi ». Et les familles des patients ? « L’Etat prenant en charge tous les frais d’hospitalisation, les proches sont libérés des contraintes financières. Les familles sont particulièrement reconnaissantes de notre travail, même s’ils ne peuvent pas rendre visite à leur malade, ils nous font totalement confiance. Ils savent que nous faisons de notre mieux ».

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