Depuis quelques semaines, des rumeurs dignes d’un film hollywoodien prolifèrent. La plus folle voudrait que le COVID-19 soit une arme biologique ayant fuité du laboratoire biologique P4 à Wuhan. L’affirmation le 24 janvier dans la revue The Lancet que le patient 0 n’aurait pas fréquenté le marché de Huanan, origine présumée du virus, donnait du grain à moudre à ces spéculations …
Ce laboratoire P4, fruit de la coopération scientifique franco-chinoise et inauguré en 2017, est le premier du pays habilité à manipuler les virus les plus dangereux au monde. D’ici 2025, la Chine envisage d’en construire entre 4 et 6 autres pour mailler son territoire. Un autre à Harbin est rentré en service en 2018. Deux autres sont envisagés à Pékin et Kunming. A l’échelle mondiale, il en existe une soixantaine.
Excédée par ces théories du complot, la vice-Directrice de l’Institut de Virologie de Wuhan, Shi Zhengli réfutait ces accusations le 4 février : « cette théorie fumeuse a été élaborée par ceux qui ne croient pas en la science. […] Et si mes mots ne suffisent pas à convaincre, je n’ai aucun doute que l’enquête rigoureuse des départements compétents le fera ». Mme Shi, 55 ans est une scientifique réputée pour ses recherches sur les chauves-souris, en lesquelles elle avait retrouvé l’animal « réservoir » du SRAS en 2003. Elle s’était déjà défendue sur WeChat le 2 février : « le COVID-2019 est une punition de la Nature à l’Homme et ses habitudes d’un autre âge. Moi, Shi Zhengli, jure qu’il n’a rien à voir avec notre laboratoire. Je conseille à ceux qui donnent du crédit à de soi-disant chercheurs indiens, de se taire ». Shi faisait référence à un article publié le 31 janvier sur la plateforme BioRxiv par des scientifiques basés en Inde croyant avoir décelé de troublantes ressemblances entre la séquence génétique du COVID-2019 et celle du VIH. Avant même la réponse de Shi, l’article en question avait été retiré par ses auteurs…
Le 15 février, le ministère de la Science et de la Technologie choisissait mal son moment pour appeler les laboratoires du pays à une meilleure gestion des virus, ainsi que de garantir la sécurité et la sûreté biologique. De même, début février, le Major-général Chen Wei (陈薇) 54 ans, principale spécialiste du pays en matière d’armes biologiques (envoyée à Wuhan depuis fin janvier) aurait pris la direction du laboratoire. Cette nouvelle, si avérée, pourrait mettre de l’huile sur le feu…
Différents experts étrangers ont exprimé leur soutien à l’Institut de Wuhan. Selon Dr Trevor Bedford, spécialiste américain des maladies infectieuses : « il n’y a aucune preuve accréditant la thèse que le virus ait subi une manipulation génétique par l’être humain ». Un professeur du MIT, Vipin Narang, tweetait non sans humour : « si le virus était une arme biologique, elle serait bien mauvaise, n’étant pas assez léthale et beaucoup trop contagieuse ». D’ailleurs, « la plupart des pays ont abandonné leurs recherches en ce domaine, après des années sans résultat probant », selon Tim Trevan expert en sécurité biologique. « De plus, il est hautement improbable que le gouvernement chinois choisisse un laboratoire si visible pour de telles recherches ».
Le biologiste Richard Ebright était plus nuancé : « Soit le virus est apparu naturellement, soit il provient d’une erreur de laboratoire ». « Ce ne serait pas la première fois. Le SRAS s’est échappé quatre fois d’un laboratoire pékinois. De plus, le virus RaTG13 retrouvé chez une espèce de chauve-souris, partage 96% des gènes du COVID-19, selon les propres résultats de l’équipe de Mme Shi. Or le RaTG13 est stocké par l’institut depuis 2013 », soulignait Ebright.
Ce n’est pas la première fois que de telles théories trouvent leur public : la thèse selon laquelle le virus du Sida aurait été inventé par les Américains est largement reprise sur internet. Après l’épidémie d’Ebola, certains avaient accusé le Département de la Défense américain d’avoir créé le virus…
Un virologue chinois donne une raison principale pour laquelle ces théories fumeuses sont si convaincantes : la population a l’impression que le nombre de maladies infectieuses s’accélère ces dernières années. Et elle n’a pas tort. Si ce type de maladie est plus fréquent, c’est que les gens ont plus d’interaction avec des animaux sauvages qu’avant, que les nouveaux virus sont désormais identifiés grâce aux avancées scientifiques, et que la mondialisation des échanges permet la contamination d’un bout à l’autre du globe. Le contexte épidémique rend évidemment la population plus anxieuse, favorisant aussi la prolifération de ce genre de thèses. De plus, les « caractéristiques chinoises » jouent également un rôle dans la paranoïa ambiante : l’idée selon laquelle les chercheurs sont avant tout au service du Parti, avant celui de la science, n’aide pas… Tant que le public n’aura pas une explication scientifique à croire de bout en bout, les rumeurs perdureront.
Comme si les rumeurs ne suffisaient pas, l’Institut de Wuhan faisait également l’objet de critiques. La première est d’être resté trop discret lors des premiers jours de l’épidémie. Même s’il affirmait avoir été le premier à identifier la séquence génétique du COVID-19 , le public n’était informé de ce séquençage qu’après que le Centre de Santé Publique de Shanghai affilié à l’Université de Fudan dévoile ses propres résultats le 10 janvier. L’Institut de Wuhan n’aurait-il pas reçu le feu vert des autorités locales pour communiquer en temps utile ?
La seconde critique est de n’avoir pas tardé à déposer sa demande de brevet (21 janvier) pour le Remdesivir, médicament prometteur du groupe pharmaceutique californien Gilead, dont les essais cliniques débutèrent à Wuhan deux semaines plus tard. Un internaute commentait, désabusé : « l’institut est lent à découvrir si le virus est contagieux, mais particulièrement rapide pour remplir ses demandes de brevet »!
Enfin, la compétence de sa directrice, Wang Yanyi, était également remise en cause. Elle aurait obtenu ce poste grâce à son mari, ancien directeur de l’Institut, aujourd’hui membre de l’Académie chinoise des Sciences (CAS). Son jeune âge était également pointé du doigt (38 ans) : Wang a seulement publié 28 articles dans les meilleures revues scientifiques, contre 60 pour son vice-directeur Xiao Gengfu. Si les internautes se penchèrent sur le curriculum de la directrice, c’est en raison d’une étude conjointe entre son institut et celui shanghaien Materia Medica (tous deux supervisés par la CAS), suggérant que le sirop chinois Shuanghuanglian pourrait aider à ne pas contracter le virus. Cette mixture de chèvrefeuille, forsythia et scutellaire, est habituellement utilisée pour soigner la toux, les maux de gorge et lutter contre la fièvre. Comme rien n’arrive jamais par hasard, cette étude préliminaire venait une semaine après que le Président Xi Jinping appelle à combiner la médecine traditionnelle chinoise (TCM), dont il est l’ardent défenseur, aux traitements occidentaux, pour traiter le coronavirus. Après que la nouvelle eut été reprise par Xinhua le 31 janvier, les Chinois se précipitèrent dans les pharmacies et sur internet pour acheter le précieux remède. Le lendemain, le Quotidien du Peuple démentait toute efficacité du médicament contre le COVID-19… Par la suite, l’Institut de Wuhan était pointé du doigt pour avoir boosté les ventes de Shuanghuanglian. Décidément, l’institut semble traverser une mauvaise passe…
1 Commentaire
severy
16 février 2020 à 22:23Impec.