Politique : Le Premier ministre Li Qiang en perte de vitesse ?

Le Premier ministre Li Qiang en perte de vitesse ?

Le Premier ministre Li Qiang fait depuis peu parler de lui pour de curieuses raisons. Avant le 1er octobre, est paru un article sur le site de China Frontline (中国前线) traitant de sa famille ainsi que de leurs contacts dans le monde des affaires, notamment au Zhejiang et à Shanghai. À vrai dire, il était connu depuis un moment déjà que Li avait aidé Jack Ma alors qu’il était en poste à Wenzhou. Ceci dit, les liens entre l’épouse de Li Qiang et le secteur industriel et financier de manière générale étaient quant à eux peu connus. Encore plus surprenante était la révélation selon laquelle la fille de Li serait mariée à un « étranger », patron du cabinet SHLArchitects à Shanghai.

En temps normal, ces « fuites » n’auraient que peu d’influence sur la position de Li. Mais il faut rappeler que c’est également ce genre d’informations « indiscrètes » qui ont poussé Xi Jinping à remettre en cause la loyauté du ministre des Affaires étrangères, Qin Gang. Dans un climat de méfiance où les tensions entre les dirigeants du Parti sont de plus en plus palpables, parfois même entre les propres membres du camp de Xi qui tentent de se saper les uns les autres pour obtenir les faveurs du Secrétaire général, ces révélations auront un impact sur la viabilité de Li au sein des hautes instances du Parti. Tout comme Qin Gang, les agents déstabilisateurs qui aiment à utiliser les médias étrangers pour arriver à leurs fins ont, du moins partiellement, réussi à semer les germes du doute dans l’esprit de Xi quant à la loyauté et fiabilité de Li Qiang.

Plusieurs signes qui ne trompent pas

La question de la confiance de Xi envers Li Qiang remonte directement à son élection en tant que Premier ministre ainsi qu’à la création de son cabinet : Xi a choisi Ding Xuexiang (Shanghai) comme vice-premier ministre exécutif, et He Lifeng (Fujian), Zhang Guoqing (militaire/aérospatiale) et Liu Guozhong (Li Zhanshu) comme vice-premiers ministres pour « appuyer » Li Qiang. Le problème est que Ding se voit comme le « traducteur politique » de Xi, He comme son ami le plus fidèle et le plus méritant, Zhang comme le seul vrai technocrate ayant une expérience réelle en management, tandis que Liu est un simple « béni-oui-oui » poussé par l’ex n°3 du Parti, Li Zhanshu. En ce sens, Xi semble avoir délibérément assemblé un groupe dysfonctionnel de cadres pour s’assurer de deux choses : qu’aucun d’entre eux – et surtout pas Li Qiang – ne réussisse à consolider leur position et que ceux-ci se fassent concurrence et se « surveillent » entre eux. Dans ces conditions, Xi n’a pas donné à Li les moyens de faire son travail correctement, ni de contrôler le Conseil d’État. Bien au contraire, cet agencement laissait déjà transparaître ses doutes quant aux capacités de Li Qiang et semblait plutôt être une police d’assurance contre ses potentielles ambitions politiques.

Autre signe qui ne trompe pas : lors de la Conférence nationale des secrétaires généraux des comités de Parti et des gouvernements, qui s’est déroulée à Pékin le 13 et le 14 septembre, Cai Qi, directeur du bureau des affaires générales et proche allié de Xi, a repris à son compte la gestion des secrétaires, responsabilité qui incombait à l’origine à Li Qiang. De plus, jusqu’alors, sous Li Keqiang, l’administration des secrétaires généraux du Parti et du gouvernement étaient séparées. Ainsi, en « unifiant » les deux lors d’une seule conférence, le leadership a envoyé un message clair : tous doivent suivre les consignes de Cai Qi, et non pas celles de Li Qiang.

La reprise d’un autre champ de compétence de Li Qiang par Cai Qi n’est cependant pas une coïncidence. La rumeur voudrait que les deux hommes ne s’entendent pas et, malheureusement pour Li qui semble faire profil bas depuis les derniers mois, Xi a toujours eu un faible pour les cadres qui agissent de manière décisive. C’est d’ailleurs pour cette raison que Cai est aux commandes de l’idéologie, du système de sécurité rapproché des hautes instances du Parti et de l’agenda de Xi.

Deux semaines après cette conférence, lors de la grande réception donnée à l’occasion de la fête nationale au Grand Palais du Peuple le 28 septembre, Xi n’a pas laissé Li Qiang prononcer de discours. À peine une semaine plus tard, lors du XVIIIème Congrès national des syndicats chinois, tous les membres du Comité Permanent du Politburo étaient présents sauf… Li Qiang, en déplacement dans le Zhejiang. Or, chacun sait que les syndicats sont, pour le Parti, des organisations « clés » dans le système politique puisqu’ils représentent des centaines de millions d’individus. Le gouvernement central attache donc une grande importance aux conférences syndicales, et d’autant plus à ce genre de congrès national qui ne se tient que tous les cinq ans. En ce sens, l’absence de Li Qiang est notable et signale que les choses ne vont pas fort pour lui…

Prenant la parole lors du Symposium sur le développement de la ceinture économique du Yangzi à Nanchang (Jiangxi) le 12 octobre, Li Qiang a fait l’éloge de Xi, affirmant qu’il faut « étudier consciencieusement, comprendre et mettre en œuvre minutieusement » l’esprit de la pensée de Xi. Cette déclaration de loyauté n’est pas passée inaperçue. De fait, par le passé, non seulement le premier ministre était absent, mais c’étaient les vice-premiers ministres exécutifs qui prononçaient un discours à l’occasion (Zhang Gaoli en 2016, et Han Zheng en 2018 et 2020). Il est donc naturel que la présence de Li Qiang, son allocution et les fleurs lancées à Xi aient attiré l’attention.

Li Qiang ne peut pas disparaître

Tous ces éléments rassemblés – en plus du fait que Li n’a pas eu droit aux « avions spéciaux » du gouvernement lors de ses récents déplacements à l’étranger – tendent à démontrer que Li Qiang se trouve dans une situation difficile. Les fuites concernant la fortune de sa famille sont peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Xi.

Cependant, contrairement aux deux ministres et conseillers d’État Qin Gang et Li Shangfu, on ne peut pas se défaire de Li Qiang ou encore le faire disparaître. Ce que les opposants de Li Qiang – et potentiellement aussi de Xi – cherchent, c’est d’abord lui retirer son pouvoir, ou mieux encore, forcer Xi à le faire. Avec des personnalités comme Cai Qi qui tentent constamment de nuire à Li, il est fort probable que le Conseil d’État devienne réellement, comme Li Qiang l’a lui-même mentionné le 14 mars 2023 « […] avant tout un organe politique […] ». Ce commentaire a priori anodin implique que le Conseil d’État s’en remette au Comité central et qu’il ne soit plus vraiment en mesure de prendre des décisions sans l’aval du Parti. Une perspective qui n’est pas pour déplaire à Xi.

Par Alex Payette, fondateur du cabinet Cercius

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