Editorial : Drôles de vacances

Drôles de vacances

De la Grande Muraille de Badaling (Pékin) à la promenade du Bund (Shanghai), en passant par les dunes de Dunhuang (Gansu) et ses désormais célèbres « embouteillages de chameaux », toutes les grandes attractions du pays se sont retrouvées assaillies par les touristes durant les vacances nationales (29 septembre – 6 octobre).

Avant les congés, les autorités avaient annoncé s’attendre à un rebond significatif du nombre de voyageurs par rapport à 2019. Cependant, ces prédictions se sont avérées un peu trop optimistes : ce sont finalement 826 millions de voyages qui ont été réalisés durant la période (au lieu des 896 millions attendus) et 753,5 milliards de yuans qui ont été dépensés (au lieu des 782,5 milliards anticipés) – des chiffres en hausse respectivement de 4,1% et de 1,5% par rapport à 2019 et qui ont suscité le scepticisme du grand public… D’ailleurs, si l’on prend en compte l’inflation et le plus grand nombre de touristes par rapport à il y a quatre ans, le montant dépensé par personne est encore bien en-dessous du niveau de 2019. A l’international aussi, malgré les appels du pied de la Thaïlande qui a décidé d’exempter les touristes chinois de visas pendant cinq ans, le nombre de voyageurs hors frontières était encore 15% inférieur à celui enregistré avant la pandémie.

L’autre indicateur économique particulièrement scruté durant cette « Golden week » a été celui des ventes immobilières. Malgré les trésors d’inventivité déployés par les promoteurs et l’assouplissement des restrictions à l’achat par les municipalités, les résultats sont mitigés. Selon le China Index Research Institute, dans les villes de 1er tiers (Pékin, Shanghai, Canton), le volume en m2 d’appartements neufs vendus a bondi de 62% par rapport à l’an passé. Les villes de 2nd tiers, elles, ont enregistré une baisse de 14% et celles de 3ème et 4ème tiers, un plongeon de 50%…

L’annonce le 28 septembre du placement en résidence surveillée de Xu Jiayin, patron d’Evergrande, n’a rien fait pour redonner confiance aux acheteurs hésitants. Homme le plus riche de Chine jusqu’en 2018, Xu est désormais considéré comme « l’ennemi public n°1 », laissant derrière lui 2 400 milliards de yuans de dettes, 6 millions de propriétaires sur le carreau, et mettant les actifs américains d’Evergrande (et peut-être une partie de sa fortune personnelle) sous protection de la justice US en déclarant l’entreprise en faillite. Mais est-il vraiment juste de faire de Xu l’unique responsable de cette crise qui plombe l’économie chinoise ? Il ne faut pas oublier que l’homme doit son ascension aux bonnes grâces des dirigeants chinois, en partie celle de Zeng Qinghong (l’ex-n°5 du Parti de 84 ans qui aurait osé réprimander Xi sur sa gestion des affaires du pays lors du conclave de Beidaihe, d’après le Nikkei). « Tout ce qu’Evergrande possède lui a été donné par le Parti » (“一切都是党给的”), répétait Xu à l’envi avant son arrestation.

L’avenir d’Evergrande devait sûrement être dans un coin de la tête de Xi Jinping lorsqu’il prit la parole (chose rare, cette tribune étant traditionnellement réservée au Premier ministre) lors de la réception donnée au Grand Palais du Peuple à l’occasion de la fête nationale le 28 septembre. Parmi les 800 invités, deux manquaient à l’appel : Qin Gang, l’ex-ministre des Affaires étrangères, démis fin juillet de ses fonctions, et Li Shangfu, ministre de la Défense, apparemment mis sous enquête début septembre. Le premier serait accusé d’avoir eu un enfant hors mariage et né sur sol américain avec une présentatrice TV chinoise, le second se serait rendu coupable de corruption lorsqu’il était à la tête du département de l’équipement de l’APL. Dans les deux cas, ces allégations ne seraient qu’un prétexte cachant une « faute politique » plus grave.

Le fait qu’aucune date n’ait été annoncée pour le 3ème Plenum du XXème Congrès laisse entrevoir que l’appareil n’a pas encore statué sur leur sort : doivent-ils être expulsés du Comité central ou non ? Etrangement, les deux hommes conservent jusqu’à présent leurs titres de conseillers d’Etat… Quoi qu’il en soit, ce grand rendez-vous, qui aura probablement lieu début novembre, est attendu puisqu’il fixe traditionnellement les grandes lignes économiques pour les cinq ans à venir. Alors que des rumeurs d’un stimulus économique plus conséquent circulent, bien malin est celui qui pourrait prédire l’agenda du 3ème Plenum : « réformera, réformera pas ? »

En attendant, deux autres événements sont à suivre : le très attendu Forum « Belt & Road » (BRI) qui se tiendra à Pékin le 17 et 18 octobre et marquera les dix ans de cette initiative lancée par Xi Jinping dès son arrivée au pouvoir. Pékin devrait tenter de redorer la réputation de ce vaste programme qui a fait l’objet de nombreuses critiques ces dernières années (piège de la dette, saisies d’actifs stratégiques…) et qui n’a parfois pas tenu ses promesses (sortie annoncée de l’Italie…). Xi Jinping pourra compter sur le soutien de son « ami » Vladimir Poutine qui fera le déplacement pour l’occasion.

Le second rendez-vous à suivre est le Forum de Xiangshan, version chinoise du Dialogue de Shangri-la à Singapour, qui doit se tenir à la fin du mois (29 – 31 octobre) à Pékin.  En l’absence du ministre de la Défense Li Shangfu, ce serait Liu Zhenli, chef de l’état-major interarmées de la Commission Militaire Centrale (CMC) qui pourrait jouer le maître de cérémonie, voire remplacer Li pour de bon. La bonne nouvelle, c’est que les Etats-Unis ont été conviés à participer, malgré l’interruption du dialogue militaire entre les deux pays depuis la visite de Nancy Pelosi à Taipei en août 2022. De là à voir les prémices d’un réchauffement en vue d’une rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden en marge de l’APEC mi-novembre à San Francisco ? Tous les espoirs sont permis.

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