Géopolitique : Avec la chute de Bachar al-Assad, la Chine perd un allié en Syrie

Avec la chute de Bachar al-Assad, la Chine perd un allié en Syrie

La Syrie des Assad, le plus proche allié de Moscou au Proche-Orient, à l’exception de l’Iran (fragilisé par la guerre d’Israël contre le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine), vient de mordre la poussière après 50 ans de pouvoir héréditaire et des décennies de terreur. Etant donné que la Chine de Xi Jinping et la Russie de Vladimir Poutine ont noué un pacte d’amitié sans limite en février 2022, juste avant l’attaque russe contre l’Ukraine (qui devait tomber en 5 jours), la perte d’un allié russe est aussi par ricochet une perte pour la Chine. Mais en quoi et pourquoi ?

Pour le comprendre, il faut revenir sur le contexte global des relations entre Chine et Syrie et sur l’histoire récente de la Syrie. L’État syrien moderne a été créé au milieu du 20e siècle après des siècles de domination ottomane, sous mandat français. Le plus grand État arabe à émerger des provinces syriennes autrefois sous domination ottomane a obtenu son indépendance en tant que république parlementaire en 1945. La période qui a suivi l’indépendance a vu de multiples tentatives de coup d’État. Celui d’Hafez al-Assad en 1971 a porté au pouvoir la famille des Assad, son fils Bachar al-Assad lui succédant à sa mort en 2000. Sous son règne, la répression du Printemps d’arabe des années 2010 dégénéra en guerre civile qui fit environ 580 000 morts, dont au moins 306 000 civils (les forces pro-Assad ayant causé plus de 90 % de ces décès). C’est avec ce même régime que la Chine décida de renouer en 2023.

Depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, la Chine a utilisé à 10 reprises son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer des projets de résolutions critiquant al-Assad. En juillet 2020, la Russie et la Chine ont opposé leur veto à un projet de résolution visant à prolonger les livraisons d’aide de la Turquie à la Syrie, tout en critiquant férocement les Etats-Unis quand ceux-ci faisaient de même pour Israël. En outre, la Syrie a continué à participer au Forum de coopération Chine-États arabes (CASCF), qui est le principal organisme de coopération multilatérale entre la Chine et les États arabes, même après la suspension de l’adhésion de la Syrie à la Ligue arabe entre 2011 et 2023. C’est en Chine, à Chengdu, en 2023 que pour la première fois depuis 2011, la Syrie a participé au sommet du CASCF en tant que membre de la Ligue arabe. La Chine ayant donc servi de facilitateur dans la re-légitimation du régime par les autres Etats arabes.

Lors de la deuxième visite officielle en Chine du président Assad du 21 au 26 septembre 2023, la Chine et la Syrie ont annoncé conjointement l’établissement d’un partenariat stratégique : Assad et son épouse ayant reçu l’honneur d’assister à la cérémonie d’ouverture des 19e Jeux asiatiques à Hangzhou. Le lendemain, Bachar al-Assad rencontrait Xi Jinping pour discuter des relations économiques afin de reconstruire la Syrie déchirée par la guerre. Le secrétaire du PCC et président de la RPC déclarait à cette occasion que les relations entre les deux pays « avaient résisté à l’épreuve des changements internationaux » et promettait de soutenir Assad dans sa « lutte contre les ingérences extérieures » et dans la reconstruction de la Syrie. Par-là, la Chine voulait démontrer sa capacité à avoir une diplomatie contraire à celle des Etats-Unis quand bien même cela revenait à soutenir l’un des régimes les plus sanguinaires de ces vingt dernières années.

On connait désormais la suite : le mois dernier, une coalition de rebelles syriens lance plusieurs offensives contre le pays dans le but de renverser Assad. Le matin du 8 décembre, alors que les troupes rebelles entrent pour la première fois à Damas, Assad tente de s’enfuir à Moscou pour obtenir l’asile politique du gouvernement russe : Damas tombe aux mains des forces rebelles et le régime d’Assad s’achève. La question n’est pas de savoir si le nouveau régime sera pire que le précédent (qui avait mis la barre assez haut dans l’ignominie), ni de savoir qui a aidé les rebelles dans leur prise éclair du pouvoir (au moins la Turquie sans doute), mais plutôt ce que cela signifie pour la Chine et son influence sur la région.

Si l’on s’en tient aux propos de Xi Jinping promettant d’aider al-Assad contre les ingérences extérieures, il y a un an, le moins qu’on puisse dire est que la promesse n’a pas été suivie d’effets. La Russie même se trouve impuissante, embourbée dans une guerre meurtrière en Ukraine qui va entrer bientôt dans sa troisième année alors même que les proxys de l’Iran ont été décimés par Israël.

Le premier enseignement de la chute du régime est que, même si Pékin a réussi à négocier un accord entre les rivaux de longue date de l’Arabie saoudite et de l’Iran en 2023 et une trêve entre le Fatah, le Hamas et d’autres factions palestiniennes rivales en 2024 (jamais mis en pratique), la Chine a bien moins d’influence dans cette région qu’elle veut bien le dire.

Le deuxième enseignement est que le partenariat chinois est pour le moins pragmatique : malgré l’accueil en grande pompe de Bachar al-Assad et sa femme à Pékin l’année dernière, Pékin est resté muet sur la chute du régime, se disant « prêt à collaborer avec le nouveau gouvernement ». Ce qui importe pour Pékin avant tout, ce sont ses investissements économiques qui courent le risque d’avoir été faits à perte. Pékin a réalisé des investissements majeurs et à long terme dans le pétrole et le gaz syriens, pour un total d’environ 3 milliards de $. En 2009, la multinationale publique chinoise Sinochem a acheté l’explorateur de pétrole et de gaz britannique Emerald Energy, qui opère en Syrie, pour 878 millions de $. L’aide chinoise à la Syrie est passée d’environ 500 000 $ en 2016 à 54 millions de $ en 2017. En octobre 2018, la Chine a fait don de 800 générateurs d’électricité à Lattaquié, le plus grand port syrien. En 2022, la Syrie a rejoint l’initiative Belt and Road (BRI) de Xi Jinping. Début 2024, le ministre syrien de l’électricité, Ghassan Al-Zamel, a confirmé un contrat de 38,2 millions d’€ avec une entreprise chinoise pour la construction d’une grande centrale photovoltaïque près de la ville de Homs, dans l’ouest de la Syrie. Même si la Chine a promis d’aider à la reconstruction du pays, le fait est que la Chine de 2024 n’est plus celle de 2013 et que notamment les projets BRI sont au ralenti, du fait du ralentissement économique chinois.

Le dernier enseignement est que Pékin dépend au Proche-Orient de ses partenaires-clés que sont la Russie et l’Iran : si ceux-ci se trouvent pris en défaut, la Chine ne peut pas suppléer et compter sur ses propres forces pour imposer sa politique de contre-hégémonie américaine.

Plus encore que la chute des Assad, c’est l’incapacité de Moscou à l’empêcher, qui peut nourrir légitimement des doutes en Chine, dans l’entourage de Xi Jinping. En effet, la Syrie était un hub essentiel dans le transit des moyens d’influence techniques, militaires et économiques pour la Russie en direction de l’Afrique : la grande crainte sans doute en Chine est qu’un effondrement équivalent de l’influence russe en Afrique n’y impacte ses investissements. Une stabilisation du front ukrainien pourrait être en conséquence favorisée par la Chine dans l’optique de garder ses relais russes présents, frais et actifs ailleurs dans le monde. En tout cas, une chose est sûre, c’est que le réseau des liens géopolitiques est très mouvant : nul ne peut juger de l’avenir sur la seule base du présent. Et cela aussi n’est pas une très bonne nouvelle pour Pékin…

Par Jean-Yves Heurtebise

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