Société : « Bien plus qu’une balade à vélo »

« Bien plus qu’une balade à vélo »

Tout a commencé une belle nuit de juin dernier, lorsque quatre étudiantes de Zhengzhou (Henan) ont pris des vélos partagés pour se rendre à Kaifeng, à 50 km de là, soit environ 4h de route. Objectif : assouvir leur envie irrépressible de raviolis à la soupe (灌汤包 ; guàn tāngbāo), spécialité culinaire de cette ville touristique, capitale impériale sous la dynastie Song il y a dix siècles.

Cette initiative n’est pas isolée. Dans toutes les grandes villes de Chine, les clubs cyclistes connaissent un regain d’intérêt, les membres se réunissant pour des balades nocturnes le long de grandes avenues devenues désertes (ou presque).

Mais c’est l’aventure des quatre jeunes chinoises qui est devenue virale sur les réseaux sociaux, incitant des dizaines de milliers d’étudiants de Zhengzhou à réaliser le même périple. Depuis lors, les images d’une foule compacte à vélo, occupant tout un pan d’autoroute, ont fait le tour d’Internet, sous le hashtag : « la jeunesse n’a pas de prix ».

A l’origine, ce mouvement spontané a été encouragé par les autorités locales, y voyant un coup de projecteur incroyable sur leur ville et un moyen de stimuler le tourisme. Il a même été décrit par le Quotidien du Peuple comme « le symbole de l’énergie de la jeunesse et la joie des expériences partagées ».

Sauf qu’au fil du temps, les autorités ont vite été dépassées par l’ampleur du phénomène : les cyclistes ont créé de sérieux bouchons, abandonné leurs milliers de vélos dans les rues de Kaifeng et créé une pénurie de vélos pour les usagers de Zhengzhou. Le 8 novembre au soir, ils étaient entre 100 000 et 200 000 sur la route.

C’est donc au nom des perturbations du trafic routier et pour des raisons de sécurité (risque d’accident sur le parcours, problème de passage des secours…) que les autorités ont mis un terme à ces aventures nocturnes, bloquant les pistes cyclables et rendant indisponibles les vélos partagés sur de longues distances. Pour empêcher les étudiants de rejoindre la foule cycliste, certaines universités de Zhengzhou ont même imposé des restrictions aux portes des campus.

Cependant, il n’est pas difficile d’imaginer que la scène de hordes d’étudiants se mobilisant autour d’un seul et même projet, a dû rappeler de mauvais souvenirs au gouvernement. En novembre 2022, le pouvoir avait été pris de court par les manifestations, un peu partout à travers le pays, de jeunes Chinois brandissant des feuilles blanches pour dénoncer le manque de liberté d’expression et réclamer la fin de la politique « zéro Covid ». Le printemps de Pékin en 1989 avait également commencé avec des étudiants enfourchant leurs vélos pour rejoindre la place Tiananmen…

Même si le mouvement des jeunes de Zhengzhou est largement apolitique, certains participants chantant l’hymne national et brandissant le drapeau chinois, il est bon de s’interroger sur les origines d’un tel phénomène qu’on imagine mal se dérouler ailleurs qu’en Chine.

Certains participants expliquent avoir été simplement attirés par l’idée d’une aventure atypique entre amis, réunis par le goût de l’effort. « Les gens chantaient ensemble et s’encourageaient dans les montées. Je pouvais ressentir la passion qui nous animait tous […], c’était bien plus qu’une simple balade à vélo », raconte une participante. « Faire du vélo la nuit donne une sensation d’aventure […], à ce moment-là, j’aurais aimé continuer à pédaler et ne jamais revenir à la réalité », ajoute une autre.

Cette envie soudaine de pédaler sur des kilomètres peut trouver ses racines dans les trois années de privations durant la pandémie de Covid-19 : à l’époque, les étudiants étaient soumis à des restrictions encore plus sévères que le reste de la population, la plupart d’entre eux ayant tout bonnement l’interdiction de quitter leur campus. Mais ces escapades nocturnes représentent surtout pour eux un moyen légal et peu onéreux d’échapper au stress généré par leurs études, et une façon de s’octroyer un moment de répit avant leur entrée sur le marché du travail. Actuellement, environ un jeune de moins de 25 ans sur cinq est au chômage

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
5/5
7 de Votes
Ecrire un commentaire