Petit Peuple : Pékin – Mr Zhang : À bicyclette…

Pékin – Mr Zhang : À bicyclette…

Au commissariat, monsieur Zhang patiente sur un banc pendant qu’un fonctionnaire de police finit de taper son interrogatoire. Âgé d’une soixantaine d’années, chemise violine et short beige propres, sandales au pied, le prévenu n’a pas tellement le profil type du voyou que son délit supposerait. L’enquête révèle également qu’il n’a aucun mobile. Il habite dans un hutong pas encore menacé de disparition, veuf et seul, dans des conditions tout à fait décentes. Sa fille mariée vient régulièrement lui rendre visite avec son petit fils. Une maigre retraite lui suffit pour vivre, complétée par les revenus d’une minuscule boutique d’artisanat héritée de son père, proposant des articles en cuir fait à la main. Il n’y a pas foule mais monsieur Zhang est connu de tous les habitants de la ruelle et ses voisins veillent à ce qu’il ne manque de rien. Alors, pourquoi ?

Depuis ses aveux, le vieil homme garde le silence et son visage impassible a la fixité des lions de granit qui gardent les temples aussi bien que les secrets.  

Le matin même, il était surpris en flagrant délit par la police pékinoise à une grosse intersection du quartier de Shijingshan. Il était 6h du matin et le vieil homme, tenant sa bicyclette d’une main, pressait l’autre sur son front en gémissant. On n’aurait su dire si l’engin hors d’âge avait souffert de l’accrochage qui venait d’avoir lieu mais son propriétaire la montrait parfois du doigt ainsi que sa propre tête tandis qu’il parlait fiévreusement avec le jeune conducteur d’une Audi sur le bas-côté. Au moment où le jeune homme sortait des billets de sa poche, les policiers ont surgi et arrêté monsieur Zhang pour mise en scène d’accidents et chantage, une activité lucrative qui lui avait permis d’amasser la coquette somme de 100 000 yuans en seulement deux mois.

Monsieur Zhang n’a rien nié, se reconnaissant sur les caméras de surveillance la veille et l’avant-veille au même carrefour, puis les après-midis à deux autres intersections très fréquentées et souvent embouteillées. Le mode opératoire ne variait pas, il se jetait à vélo sous les roues des voitures s’engageant sur les voies réservées aux véhicules non-motorisés. Les conducteurs, à bout de patience, tentaient leur chance, risquant 200 yuans d’amende et le retrait de deux points de permis s’ils étaient pincés. Déjà en faute, envahis par la culpabilité devant un monsieur Zhang recroquevillé et geignant sous une douleur qui leur semblait réelle, ils n’hésitaient plus à piocher largement dans les coupures sorties de leur poche quand le vieux se redressait, plein d’une colère contenue, et commençait à les menacer. « Chaque minute compte, il n’y a plus un instant à perdre ! (yi ke qian jin, 金,qui se traduit littéralement par « un instant coûte mille pièces d’or ») » commençait-il, aimant citer ce proverbe au sens sibyllin qui lui permettait d’annoncer ensuite le prix à payer pour son silence.

Juste avant d’être conduit en centre de détention, la carapace de monsieur Zhang a fini par se fendre :

– Comment avez-vous su où et quand me trouver ? a-t-il chuchoté à l’officier de police.

– Et vous ? Pourquoi ? a répondu du tac au tac le fonctionnaire.

Alors monsieur Zhang a explosé :

– Ils ne cessent de dénigrer ce que je fabrique dans ma boutique ! Toute la journée, ils déambulent dans le hutong, se pavanent dans leurs habits de luxe, des sacs valant une fortune au bras. Ma boutique, ils la toisent du regard et ils lancent « T’es ringard Papi, ça n’intéresse plus personne tes sacs en cuir, on ferait mieux d’installer un café à la place de ta boutique, ce serait plus rentable ! »

– Qui, « ils » ?

– Les jeunes, pardi ! Tous ces jeunes qui semblent ne jamais travailler et pour qui l’argent pousse sous les semelles ! Toute la journée, j’essuie leurs quolibets, moi qui ai travaillé toute ma vie ! Alors, quand j’ai été témoin un après-midi d’un vélo renversé et des billets tendus par le conducteur – il faut dire que le cycliste était salement amoché – je me suis dit que je pourrais faire la même chose mais simulé, en ciblant les jeunes conducteurs. Ce sont eux qui perdent patience le plus vite quand ça bouchonne…

– Quel dommage, lui lance le fonctionnaire, celui qui vous a dénoncé – un jeune donc – s’était juré, depuis votre accrochage ensemble une semaine plus tôt, de ne plus enfreindre le code de la route ! Grâce à vous en quelque sorte. Mais, alors qu’il patientait dans les bouchons à l’endroit même de l’accident, bourré de remords à ce seul souvenir, il vous a reconnu sur le bas-côté, votre bicyclette à la main, négociant avec un autre conducteur… Il a eu la désagréable impression d’avoir été trompé, ce que votre arrestation confirme, vraiment quel dommage !

Par Marie-Astrid Prache

NDLR : Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article s’inspire de l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors de l’ordinaire, inspirée de faits rééls.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
4.5/5
2 de Votes
Ecrire un commentaire