Editorial : Histoires de vents tournants

L’île de Taiwan, de longue date, est habituée aux grondements du géant de l’autre bord du détroit, prétendant depuis des décennies la réunir à lui. Mais cette fois, les signaux s’accélèrent. Le 31 mars, deux chasseurs J-11 violaient son espace aérien, première fois en des années.

Et le 23 avril, la marine de l’APL va fêter son 70ème anniversaire à Qingdao (Shandong) en faisant sa plus puissante parade de tous les temps, avec porte-avions, croiseurs, frégates et autres dizaines de navires capables de tenter sa conquête…

Face à ce réarmement accéléré, Taiwan est tenté de répondre en nature : le 15 avril, Tsai Ing-wen la Présidente indépendantiste approuvait un budget de défense en hausse de 5,6%, destiné à atteindre 13,6 milliards de $ en 2029.

L’allié D. Trump est prêt à l’aider, promettant entre autres des dizaines de chasseurs bombardiers F-16V (cf photo) qui viendront s’ajouter aux 140 appareils du même type, plus anciens mais en cours de remise à jour.

Annonce surprise : le 16 avril, Terry Gou, le commodore de Foxconn, annonçait sa candidature aux primaires du KMT conservateur, en vue des présidentielles de 2020. Il affronterait sans doute Tsai et son parti du DPP. C’est Mazu, la déesse de la mer protectrice de l’île, qui l’aurait inspiré en rêve. Il ne faut pas s’étonner de l’aspect romantique de la démarche, bien dans le style de cette île à la culture baroquiste. Troisième fortune de l’île, employant des millions d’ouvriers à travers ses 45 usines électroniques en Chine, T. Gou est une bonne synthèse de la pensée traditionnelle de Taiwan, de son savoir-faire industriel et surtout, de sa capacité de travailler avec la Chine, écartant les sujets qui fâchent.

Ce CV suffira-t-il à gagner la confiance des Taïwanais ? Pas sûr – l’île n’est pas prête à tendre ses rênes à un homme qui risque d’aliéner son avenir. Toutefois, le tour du KMT aux affaires n’est plus éloigné, dans l’alternance de facto qui se poursuit depuis 20 ans.

C’est sur un espoir de ce type qu’avait été élu Ma Ying-jeou en 2008, pour calmer le climat tendu entre les deux rivages du détroit et poursuivre la croissance paisible entre ces deux terres complémentaires. Ma était supposé exploiter le soulagement de Pékin d’avoir un interlocuteur non séparatiste, pour en obtenir des concessions et une marge de manœuvre politique. Même si les choses ne se sont pas bien terminées pour Ma, acculé à la démission en 2014 avec une image dégradée, le besoin d’une ligne de ce type demeure. Et tout dépendra de la capacité de la Chine socialiste, à saisir cette perche que lui tend l’histoire…

Autre nouvelle : suite à l’explosion chimique à Yancheng (Jiangsu) le 21 mars, qui causa 78 morts et pour des milliards de $ de dégâts, les autorités chinoises sollicitaient mi-avril le soutien de Suez, la multinationale française des services (eau, recyclage), pour son savoir-faire en nettoyage, mais surtout en management stratégique du secteur à l’échelle nationale. Suez-Asia devra concevoir et mettre en place avec les autorités, une infrastructure humaine et technique pour appliquer les normes internationales de sécurité sur les 700 parcs du pays —tâche colossale.

Que Suez ait répondu « présent », n’étonne pas. Le groupe en a l’expérience et les capacités. Mais pour la Chine, c’est un tournant : jusqu’à présent, elle n’associait pas l’étranger à ses industries considérées « piliers stratégiques ».

On voit un seul précédent : dans le secteur des OGM, après avoir attendu 20 ans de ses universités qu’elles créent une filière nationale fiable, des semences de qualité, elle racheta Syngenta, groupe suisse de l’agrochimie, n°2 mondial. Mais concernant le secteur chimique, Pékin fait un pas plus loin : Suez reste indépendant et volontaire pour collaborer.

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