Petit Peuple : Parc de Changtang (Tibet) – Un vélo pour la vie (3ème partie)

Résumé des deux premières parties Au Tibet à vélo avec Lin et Li, Feng Hao a quitté ses amis pour traverser seul la réserve de Changtang. En difficulté, ayant perdu vélo et vivres, il trouve refuge dans un camion abandonné…

Pendant ce temps, Lin et Li avaient poursuivi seuls par la route normale, les 1300km d’asphalte les séparant encore de Golmud, le point de rendez-vous. Lin, petite amie de Feng, et Li, son ami d’enfance, voyaient grandir leur inquiétude pour Feng, redoutant les mille dangers qui guettaient un voyageur solitaire, de surcroit très jeune et peu aguerri aux difficultés de la haute montagne. Ils arrivèrent sans anicroche le 26 mars à Golmud, à l’auberge convenue, avec un jour d’avance sur le plan—mais Feng n’était pas au rendez-vous. Dès le lendemain, ils repartirent sur leurs pas, pénétrant dans la réserve à sa rencontre. Ils pédalèrent ainsi huit jours, luttant contre la neige et la montagne, tout en multipliant les appels et messages WeChat – en vain : côté Feng, c’était silence radio, la messagerie le déclarant injoignable. Fous d’angoisse, ils retournèrent à Golmud, et se précipitèrent au commissariat. Ils savaient qu’ils allaient au devant d’ennuis, car ils allaient devoir avouer qu’ils avaient pénétré dans la réserve sans permis d’entrée—mais ils n’avaient plus le choix. 

Au poste, les inspecteurs réalisèrent l’urgence, et contactèrent par radio le Bureau du parc. Il fallait faire vite. On était le 10 avril, et le cycliste était perdu depuis 30 jours.

Lin et Li furent méticuleusement interrogés sur la route du compagnon, sa forme physique, l’état du vélo, les vivres dont il disposait lors de leur séparation. Le calcul fut vite fait : même avec la plus grande frugalité, Feng n’avait plus rien à manger depuis au moins dix jours…

L’équipe des gardes de la réserve consistait en 500 hommes, répartis en 73 antennes, équipés de 134 véhicules tout-terrain et cinq hélicoptères – c’était  le minimum pour pouvoir rayonner sur leur périmètre grand comme l’Italie. Après avoir envisagé les trois itinéraires les plus vraisemblables, le chef du parc lança sur différents segments 23 patrouilles au départ des postes les mieux placés. Peu de jours suffirent pour détecter les premiers indices du passage de Feng : traces de pneu de vélo, emballages de nouilles instantanées ou cartouches de gaz vides. Près du col de Tangula à 5035m, une casquette fut retrouvée –que Lin et Li identifièrent comme celle de leur ami. Chaque découverte permettait de redistribuer les équipes sur les secteurs à passer au peigne fin, d’y concentrer plus d’hommes et de moyens. 

La découverte décisive fut quand le pilote de l’hélicoptère aperçut le vélo proche du lac Keleqiong, enfoncé dans la glaise jusqu’à mi-cadre. Se posant en sécurité non loin sur la terre ferme, l’équipage retrouvait quelques dizaines de mètres plus loin, le chargeur solaire et le smartphone noyés et hors d’usage.

La course contre la montre s’intensifia alors. On était à 185km de Golmud. A pied, et affamé, le garçon n’avait pas pu aller bien loin. Bon connaisseur du terrain, le pilote eût alors l’idée de faire un crochet du côté du camion militaire abandonné hors d’usage, à quelques kilomètres sur le plateau. Encore en approche, à 500m de distance, il vit la frêle silhouette du garçon jaillir de l’habitacle, agitant les bras en croix vers le ciel… 

Vu les circonstances, Feng était dans le meilleur état possible, très amaigri (à l’hôpital, on constaterait qu’il avait perdu 15 kg), mais partiellement remis de sa chute dans le ravin trois semaines plus tôt. 

Feng avait survécu en sachant qu’il lui faudrait « se nourrir de graines et d’herbes » (fàn qiǔ rú cǎo 饭糗如草) – ou pire encore, vu la très faible végétation environnante. Découvrant des iris sauvages protégés du vent dans des rochers, il avait eu l’idée d’aller chercher leurs oignons en fouaillant de son canif le pergélisol. Dans un étang juste dégelé, il avait extrait de la vase des rhizomes de lotus. Plus loin, un  prunus avait été dépouillé de tous ses bourgeons. Avec son briquet, Feng enflammait des brindilles et faisait bouillir ces végétaux dans sa gamelle, pour être plus sûr de pouvoir les assimiler. De cette manière, il avait survécu près d’un mois dans cet environnement improbable—les sauveteurs ne savaient plus quoi louer : un miracle du Ciel, ou le génie survivaliste de l’aventurier.

Une fois ramené à Golmud, Feng dut cependant constater qu’il ne gagnait pas sur tous les plans : Feng, Lin et Li furent taxés de 5000 ¥ chacun, pour accès interdit dans la réserve. En même temps de nombreux reportages sur leur sauvetage inespéré parurent dans tous les tabloïdes du pays et au journal télévisé. Les gardes du parc voulaient décourager un autre type de visiteurs : les braconniers des antilopes Chiru qui, jusqu’en 2009, infestaient le parc et abattaient encore 4000 de ces caprinés par an, menaçant ainsi cette espèce très rare de disparition. En multipliant leurs patrouilles et en faisant condamner les bandits à des peines très sévères, ils étaient parvenus a réduire ce massacre au dixième. Mais ils n’allaient pas remettre en cause ce succès en laissant savoir qu’on entrait au parc comme dans un moulin, et qu’un godelureau de la ville était parvenu à y survivre un mois en autonomie complète. D’où la sanction sévère, que Lin et Li contestèrent mais que Feng lui, paya bien volontiers, éperdu de reconnaissance d’être de ce monde grâce à ses sauveurs. De plus, il avait un petit secret, qui lui permit plus facilement de s’acquitter de cette dette : la veille de sa délivrance, il s’était trouvé nez-à-nez avec un léopard des neiges ocellé de blanc et de beige clair, élançant gracieusement sa longue queue avant de s’élancer et disparaître de sa vue. Feng avait lu dans cette rencontre le présage d’une délivrance proche, et un message du Ciel. A présent, il se voit le plus heureux des hommes !

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2 Commentaires
  1. anneribstein

    Conduite du récit très réussie qui fait de cet événement hors du commun, une sorte d’archétype d’histoire avec tous les « ingrédients » nécessaires pour maintenir l’intérêt du lecteur, avec l’élargissement de la fin. Variante chinoise de la fable « le lièvre et la tortue », ou version à l’issue heureuse de « Into the wild », le récit nous touche sur plusieurs plans. Merci au narrateur.

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