Banque : Tutelle de la banque Baoshang, la face cachée d’un iceberg

Séisme sur la banque, 24 mai : la banque Baoshang (包商银行) de Baotou (Mongolie) est placée pour un an sous contrôle de la CBIRC (tutelle des assurances et banques) et de la Banque Centrale. Cette sanction peut s’interpréter sous deux grilles de lecture, deux campagnes de l’Etat :

– celle visant à juguler la finance de l’ombre (ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l’économie),
– et celle dont le but est de briser l’expansion du secteur privé.

Baoshang était dans le collimateur du gouvernement depuis 2013, et de ce fait, interdite d’accès aux échanges interbanques (qui laisse les banques se prêter à court terme pour éviter la rupture de liquidités). Depuis, Baoshang, fondée en 1998, 50ème banque du pays (291 succursales, 8000 employés), voyait sa dette fuser, atteignant 156 milliards de yuans fin 2016, 65% de plus qu’en 2014. C’était en partie dû à la manie de Tomorrow, propriétaire de 70% de ses parts, de puiser dans sa caisse, pour le compte de son PDG Xiao Jianhua. Ceci explique peut-être la disparition du milliardaire en janvier 2017 à Hong Kong, pour resurgir captif en Chine, où il « coopère  avec la justice ». Il rejoint ainsi la liste des tycoons que Xi Jinping veut casser, dont Wu Xiaohui, PDG des assurances Anbang (en prison pour 18 ans, Anbang placé sous tutelle), ou Wang Jianlin, patron de Wanda qui a cédé en 18 mois 25 milliards de $ d’actifs pour sauver son groupe.

Même en mauvaise santé, Baoshang restait le vaisseau amiral du groupe de Xiao Jianhua : en reprenant ses rênes, Pékin compte porter un coup fatal à Tomorrow qui résiste, contestant la valorisation de ses actifs par ses candidats repreneurs publics.

Mais le coup était risqué. Le secteur privé en Chine est le premier générateur d’emplois et de profits. Il est soutenu par la classe moyenne, face à un secteur public perçu comme profitant de monopoles et subventions. Aussi l’Etat a pris toutes les précautions pour rassurer : « le cas de Baoshang est unique », déclarait à la TV Yi Huiman le 2 juin, nouveau patron de la tutelle de boursière (CSRC), et « le marché des capitaux est stable et fondamentalement en bonne santé ». La Banque Centrale elle, précise que cette mise sous tutelle d’une banque, première en 20 ans, restera l’exception, et que les comptes de moins de 50 millions de yuans seront garantis à 100%, les autres à 90%.

Cependant le problème n’est pas si simple. Les troubles dont souffre le marché financier sont loin de se limiter à l’indiscipline d’une poignée de milliardaires. De 2010 à 2018, la valeur de la finance grise s’est multipliée par 25, à 8254 milliards de $. En même temps, la masse des prêts bancaires faillis à travers la nation augmentait de 50%, à 1,74% du total des encours, ce qui est directement imputable à l’activité des prêteurs non régulés.

Depuis 2017, l’autorité financière lance de nouvelles actions pour briser la croissance des prêts illégaux, apparemment avec succès. Moody’s a calculé que fin 2018, la finance grise atteignait un plateau puis régressait de 66 000 milliards de yuans en 2014 à 61 000 milliards. En part du marché des capitaux, la décrue était plus nette encore : -5% dans la période, pour se stabiliser à 23,5%.

Pour obtenir ce résultat, la Banque Centrale a recapitalisé les grandes banques, tout en les libérant de leurs actifs faillis, transférés vers des structures de défaisance. Elle s’est aussi penchée sur le cas des 4000 petites banques rurales et municipales, grosses émettrices de prêts gris hors des clous. Pour les renforcer et mieux les surveiller, elle a vite lancé une série de fusions entre elles, vu l’urgence. Pour Bloomberg, ces banques de la base avaient perdu, au 31 mars 2019, la moitié de leur capital de « 529 000 milliards de yuans ». Par cet endettement rapide, elles grevaient lourdement la qualité du marché national des capitaux, dont elles occupaient 25%.

Cependant, le remède n’a pas marché, tout d’abord car ces concentrations ont été imposées sans respecter les réalités culturelles de terrain. Ensuite, parce qu’elles ne faisaient rien pour régler le problème de fond : les campagnes « rapportent » moins que les villes, du fait de la vieille priorité accordée aux villes par le régime, au nom de la stabilité. Pour éviter les troubles sociaux, le citadin doit être nourri à bas prix, et le paysan est mal rémunéré. Ces petites banques ne bénéficient donc ni de la recapitalisation, ni de la grâce de leurs dettes. Pire, les grandes banques non plus n’écoutent pas les demandes de crédit des paysans et des entrepreneurs ruraux. De ce fait, pour éviter la faillite du monde rural, il ne reste plus que ce crédit gris pour lui prêter, à taux très élevé, et sur des dossiers souvent à risques. Conséquence inéluctable, davantage de prêts font faillite aux champs que dans les villes. Ce qui ne fait que renforcer le cercle vicieux des mauvaises dettes.

Sous cette perspective, la mise sous tutelle de Baoshang reflète moins la volonté de punir un capitaliste, que la recherche, pour l’instant vaine, d’une solution pour attirer du capital vers les marchés financiers chinois. Mais sur le fond, elle ne règle rien, et les affirmations de Yi Huiman, optimistes et rassurantes, n’engagent que leur auteur—elles soulèvent plutôt de fortes questions sans réponses… La Chine pourra-t-elle garantir les défauts de paiement de toutes ces petites institutions comme elle le fait avec Baoshang ? L’Etat et les grandes banques sont-ils prêts à prendre leur part de ce déséquilibre financier entre villes et campagnes ? À reconsidérer la priorité de crédit aux consortia publics déficitaires ?

La question est tout sauf angélique, car le rythme des demandes d’intervention de l’Etat s’emballe.  Les 27-28 mai derniers, la Banque Centrale devait encore injecter 150 milliards de yuans dans le réseau interbancaire pour renflouer les caisses. Et le 3 juin, Ernst & Young, auditeur de la banque de Jinzhou (Liaoning), démissionnait de sa mission, faute d’entente avec la direction sur les moyens d’assurer le service de la dette et de publier les comptes de 2018. L’Etat va donc devoir intervenir, ce qui inflige un démenti au patron de la CSRC : la Chine a probablement, dans l’ombre, beaucoup d’autres Baoshang à deux doigts du précipice !

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