L’appel interjeté (30 mai) par Wu Xiaohui, patron fondateur des assurances Anbang, à sa condamnation à 18 ans de prison, en a surpris plus d’un ! C’était un geste rare dans le monde judiciaire chinois, plus rare encore chez un homme venant de plaider coupable et d’implorer la clémence. Vu l’ampleur de la fraude imputée (62 milliards de ¥), son verdict pouvait pourtant être considéré comme « clément » : à trois semaines d’écart, Sun Zhengcai l’ex-« roi » de Chongqing, venait d’écoper de la perpétuité pour détournement de beaucoup moins d’argent que cela…
Mais certains estiment que Wu aurait décidé de faire appel de sa condamnation, car il serait soutenu par une fraction de décideurs politiques. D’autres y voient une contestation au sein de l’appareil sur un sujet beaucoup plus large et essentiel : la gouvernance à observer vis-à-vis du secteur privé, de ses plus grands groupes, comme Anbang, depuis deux ans confrontés à des jours difficiles. La raison de ce mauvais vouloir envers les « nouveaux capitalistes », tient notoirement à leur expansion à l’étranger en dépit des consignes, et à leur propension à exfiltrer leur fortune. Plus que d’une rébellion contre Xi Jinping, ils se rendaient coupables d’une action incivique (rappelant, sur un autre plan, la fraude fiscale imputée à la star de cinéma Fan Bingbing) et mettaient à risque l’économie chinoise.
Pour autant, ces groupes privés sont aussi la pierre angulaire de cette Chine qui gagne, garants en 2017 de 80% des créations d’emplois, de 70% des innovations et de 60% de la croissance du PIB—quoique leurs consortia ne reçoivent qu’une minuscule pincée de la manne bancaire. L’immense majorité du crédit étant réservé par le régime aux consortia publics malgré leur plus faible rentabilité. Selon un bureau d’analyse britannique, une telle discrimination devrait conduire sur 12 ans à une chute brutale de la croissance nationale de 6,9% en 2017 à 2% en 2030. C’est ce qui fait hésiter l’aile libérale du Parti dans la poursuite de cette campagne contre les grands groupes privés—voilà ce qui fait reprendre courage à Wu Xiaohui !
D’autres petits signaux du changement perceptible, apparaissent. Zhang Wenzhong (cf photo), ex-PDG des supermarchés Wumart, est absous (31 mai) par la Cour suprême des charges de fraude qui pesaient contre lui. Son verdict de 2006 est cassé, ce qui est inouï en justice chinoise. Les commentateurs judiciaires expliquent que le régime a voulu rassurer le secteur privé sur la protection de ses actifs. Reste à voir ce que valent les 12 années de prison qu’a effectivement purgées cet homme déclaré innocent—les deux-tiers de sa peine.
Autre petit miracle qui n’en est peut- être pas un : Pan Gang, 48 ans, patron du groupe laitier Yili (n°2 du pays) resurgissait après trois mois de disparition – la rumeur le disait sous enquête. Yili explique bravement que son PDG était parti se faire soigner à l’étranger pour une faiblesse cardiaque. A sa réapparition, le groupe remontait de 10% en bourse de Shanghai !
Quant à Xiao Jianhua, le milliardaire à la tête de son groupe Tomorrow enlevé à Hong Kong en janvier 2017 par des forces spéciales, et qui depuis attend son passage au tribunal, on ne s’étonnera guère que son procès soit retardé par des « difficultés techniques » impromptues. Chaque mois, le groupe en perdition, sous tutelle de l’Etat, doit s’alléger de dizaines de milliards de $ pour rembourser ses emprunts bancaires…
Autant dire que nonobstant les professions de foi étatiques, il passera de l’eau sous les ponts chinois, avant d’arriver à une parité de protection entre secteur privé et secteur public. L’Etat, pragmatique, prend la mesure des risques impliqués par son choix de privilégier le public. Pour l’instant, il ne va pas plus loin et en reste sur une incertitude croissante.
1 Commentaire
severy
12 juin 2018 à 15:20La politique chinoise, c’est (presque) du Johnn Le Carré.