Le Vent de la Chine Numéro 7-8 (2020) Spécial Covid-19

du 17 au 23 février 2020

Editorial : Le pouvoir se crispe

Avec un bilan qui s’alourdit chaque jour, le COVID-19, nouveau nom du coronavirus, s’impose comme le plus grave défi de santé de l’histoire du régime, dépassant le SRAS de 2003. Après quelques semaines d’hésitation, le gouvernement avait finalement mis en quarantaine 60 millions de citadins avant le Nouvel an chinois. Ceci n’a empêché le fléau au 17 février, de faucher 1 775 vies humaines et d’en infecter 70 636 autres (chiffres officiels). Ce constat alarmant force le régime à remettre en cause sa stratégie.

Le 12 février, le Comité Permanent prenait deux décisions. Il commence par limoger l’équipe dirigeante du Hubei, remplacée par des hommes fidèles à Xi Jinping. C’est d’abord, ostensiblement, pour disculper le Parti et condamner les cadres responsables. C’est aussi pour pouvoir durcir la discipline afin d’atteindre au plus vite le « pic de contamination » attendu par les virologues, et le seuil de la décroissance du virus.

Puis, il livre soudain un bilan aggravé des ravages du COVID-19 : des morts sous 24h plus que doublés, et des contaminations rehaussées de 25%. Ceci est le résultat d’une nouvelle norme de détection du virus : tous les cas détectés positifs par radio thoracique sont désormais considérés atteints. Ce test est moins précis que le test sanguin, mais il offre l’avantage immense d’une réponse immédiate, contrairement aux deux jours ou plus, exigés par les laboratoires. Or, ce temps de latence favorise la diffusion du fléau : dans l’attente, les malades restent sans soin et surtout sans isolation, contaminant ainsi leur entourage. Désormais, cette lacune dans le bouclier épidémiologique, est comblée – mais bien tard, et la publication de la nouvelle liste éveille les suspicions que le régime tenait deux listes, cachant la seconde. Dès lors, quelles sont les chances de cette nouvelle comptabilité d’être plus fiable ? Sur le terrain, l’addition réelle ne serait-elle pas beaucoup plus grave ? La confiance ne ressort pas grandie de ce nouveau chiffre soudain sorti du chapeau.

Une autre question forcément abordée au Comité Permanent (mais le communiqué final n’en souffle mot), est celle de l’indignation montante de la population face au culte du secret, et à l’étouffante censure du régime. Des critiques se font entendre sous forme de lettres ouvertes, reproduites par des centaines de milliers de lecteurs. Cependant les chances pour de tels messages d’être entendus, sont faibles. Le Président Xi vient de le rappeler en public, lors d’une visite dans un hôpital pékinois : la nation vaincra l’épidémie grâce à une discipline de fer. Aujourd’hui comme hier, la clé du succès demeure bien le contrôle social.

Cependant, ce fléau apporte d’autres risques, également abordés par le Comité Permanent. Il s’agit d’abord de soutenir l’économie, qui donne des signaux d’alarme de plus en plus clairs. Au Hubei et ailleurs, d’innombrables PME bloquées par la quarantaine, ont des difficultés de trésorerie, et les employés sont congédiés faute de pouvoir les payer. Le Comité Permanent s’inquiète aussi de l’approvisionnement en riz, et en viande de porc, dont le cheptel avait perdu 40% de têtes en 2019, suite à la grippe porcine. Pour l’instant, les magasins continuent à être approvisionnés, notamment par déstockage des entrepôts publics. Le risque est donc celui d’une société émotionnellement épuisée, financièrement ruinée, forcément mécontente…

Reste aussi le dégât d’image, hors frontières : le 12 février, Larry Kudlow, le conseiller de Donald Trump, appelait Pékin à plus de transparence, tout en posant sans fard la question de l’honnêteté du régime, dans la coopération contre la pandémie. Bien que Xi Jinping ait rassuré le Président américain sur le respect de leur accord commercial conclu en janvier, certains continuent d’en douter. Plus généralement, l’expansion du virus hors frontières (dans 26 pays) ainsi que ses retombées économiques internationales ont créé un vent de panique et un sentiment anti-chinois important. Même si certaines mesures prises peuvent être justifiées par un objectif purement protectionniste, d’autres, moins rationnelles, relèvent plus de la méfiance injustifiée voire de racisme à l’encontre de la Chine et de sa population. Or ce serait là le danger n°1 pour le régime : de voir disparaître la confiance de son peuple puis celle de l’étranger, s’il devait perdre durablement sa capacité à enrichir le pays – et le monde. En dépit de ses vantardises de pouvoir régner « 10 000 ans »,  la dynastie rouge, comme toutes les précédentes, ne durera que tant qu’elle conservera « le mandat du ciel ». Or, celui-ci se manifeste par sa capacité à maintenir le peuple en bonne santé, et bien nourri : tout le monde sait cela en Chine, et le sommet du régime, mieux que tout autre. 


Politique : Le leader du peuple fait profil bas

D’ordinaire, les désastres sont l’occasion pour les dirigeants de montrer leur caractère empathique en se montrant proche du peuple. Or, le fait que le Président Xi Jinping ne fasse pas d’apparition publique pendant presque deux semaines (sauf pour accueillir les leaders étrangers comme le Directeur général de l’OMS le 28 janvier ou le Premier ministre cambodgien Hun Sen le 5 février), laissait libre cours à la spéculation. En effet, Xi semble avoir conscience du désavantage de concentrer autant de pouvoirs : en tant que « leader du peuple » , difficile d’échapper à toute responsabilité lorsqu’une situation devient hors contrôle. C’est en partie pour cette raison qu’il ne se montre pas trop impliqué dans les efforts de terrain. 

En tant que « cœur » (核心, héxīn) du Parti, il doit également être préservé physiquement en ne s’exposant pas au virus. Certaines rumeurs voudraient que les dernières réunions du Comité Permanent se soient déroulées en vidéoconférences. En effet, le Premier ministre Li Keqiang s’est rendu sur le terrain le 27 janvier. Pas question donc de prendre le risque de contaminer les autres leaders, ni de montrer au reste du pays que le COVID-19 affecte le mode de fonctionnement de la plus haute instance du pays.

Mais son retrait de la vie publique ne passa pas inaperçu. Certains internautes se demandèrent : « où est cette personne (Xi Jinping) » ? Ils postèrent également des photos de précédents leaders sur le terrain. Ce vent de contestation, ajouté à celui de colère provoqué par le décès du lanceur d’alerte Li Wenliang, forçait le Président Xi à mettre pour la première fois son masque en public, le 10 février. Il alla à la rencontre d’une communauté résidentielle et visita l’hôpital des maladies infectieuses de Ditan à Pékin (cf photo). A cette occasion, il appelait les médias officiels à « mieux partager l’inquiétude du leadership pour les personnes affectées et le personnel médical affrontant le virus ». Et pour dissiper tout soupçon d’absentéisme, Xi Jinping était présenté comme« le commandeur de cette ‘guerre du peuple’ contre l’épidémie ». 

Plus étonnant, un discours d’une réunion du Comité Permanent le 3 février, publié le 15 février dans le magazine du Parti Qiushi, dévoilait que Xi Jinping avait ordonné de contenir l’épidémie dès le 7 janvier (bien avant ses premières directives publiques du 20 janvier). Il reconnaissait aussi avoir autorisé lui-même la mise en quarantaine de Wuhan. En se justifiant ainsi, Xi semblait répondre à l’accusation portée par le maire de Wuhan à la télévision, selon laquelle il n’a fait qu’attendre les ordres de Pékin pour agir. Dévoiler cette information est une stratégie risquée pour Xi puisqu’il reconnait ainsi avoir eu connaissance de la situation dès les premiers jours, mais que rien n’a été fait les deux semaines suivantes… Mais Xi espère que cela suffira à faire taire les critiques (de sa population et des observateurs étrangers) et à dégager sa responsabilité et celle du gouvernement central, en soulignant que ses ordres n’ont pas été respectés par les cadres provinciaux et locaux… 

Cette déclaration confirme le fait que Xi gouverne dans l’ombre depuis le début de la crise – une stratégie employée par Mao ou Deng Xiaoping. Une implication qu’il partageait avec le Directeur de l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui se disait, le 28 janvier, « impressionné par sa connaissance de la situation et par son implication personnelle, démontrant une capacité de leadership très rare ». Pourtant, le lendemain, la presse officielle chinoise transformait cette déclaration au profit d’une « gestion collective » de la crise. Choisir de souligner cette responsabilité partagée suggère que chaque échelon de la hiérarchie du Parti servira éventuellement de fusible pour éviter à l’étage supérieur de porter la responsabilité en cas de discrédit. 

C’est pour cette raison que le 24 janvier, Pékin créait un « petit groupe directeur », avec à sa tête le Premier ministre Li Keqiang, agissant « sous les ordres de Xi Jinping ». 48h plus tard, Li Keqiang débarquait à Wuhan pour une visite de terrain (26-27 janvier). Son rôle s’apparente fortement à celui de son prédécesseur, surnommé « papi » Wen (Jiaobao) pour son côté attendrissant. Le Premier ministre n’en est pas à sa première crise sanitaire : à son arrivée dans le Henan en 1998, il tentait d’étouffer le scandale du sang contaminé au nom de la stabilité. En soutien, était assignée la vice-première ministre Sun Chunlan (en charge de la santé). Depuis son entrée en scène, Mme Sun est très active et impliquée sur le terrain : elle visite les hôpitaux, le CDC local, l’aéroport… Infatigable du haut de ses 70 ans, elle faisait des apparitions publiques à Wuhan le 22, 27, 30 janvier puis le 3 et 8 février.

Le point commun entre ces deux leaders envoyés sur la ligne de front ? Li et Sun doivent tous deux leur place à l’ancien Président Hu Jintao. Pour Xi Jinping, si l’opinion publique continue à remettre en cause le gouvernement, ils pourront devenir des dommages collatéraux sans affaiblir la garde rapprochée du Président.

Leur nomination s’accompagnait également du limogeage d’un grand nombre de cadres locaux ou provinciaux ayant failli à leur mission par leur gestion de la crise.

La première à tomber fut Tang Zhihong, Directrice de la Commission de Santé de la ville de Huanggang (Hubei), limogée le 30 janvier, après une interview télévisée où elle fut incapable de répondre à des questions simples comme le nombre de lits disponibles dans sa ville. Cinq jours plus tôt, ses efforts étaient encore loués dans le Hubei Daily. Sa chute ne fut que la première d’une longue liste. A Huanggang seule, 337 cadres de petit niveau furent punis pour leur mauvaise gestion de l’épidémie. Deux perdaient leur place pour avoir placé en quarantaine le père et le frère d’un enfant souffrant de paralysie cérébrale, provoquant sa mort, abandonné à son sort… Ce drame choquait beaucoup l’opinion.

Suivirent le vice-directeur de la Croix-Rouge du Hubei, Zhang Qin (4 février), et le directeur de la Commission de Santé de Hohhot (Mongolie Intérieure), Feng Xiaohong (9 février).

Le rythme s’accéléra avec l’arrivée au lendemain du décès du Li Wenliang le 6 février, des inspecteurs de la Commission Nationale de Supervision. Une décision rare qui démontre bien l’ampleur du raz-de-marée provoqué par la mort du jeune médecin. La mission des inspecteurs était d’enquêter sur l’affaire et de trouver des boucs émissaires. Ce qu’ils ne tardèrent pas à faire : le vice-Maire de Wuhan Chen Xiexin, et deux chefs de districts, Yu Song et Lin Wenshu étaient officiellement convoqués le 10 février.

En l’espace de cinq jours, quatre protégés de Xi Jinping étaient ensuite parachutés au Hubei, dont deux de la « nouvelle bande du Zhijiang » (cadres ayant travaillé avec Xi dans la province du Zhejiang).

-Le premier est Chen Yixin, Secrétaire général de la Commission Centrale Politique et Légale. Depuis l’arrivée de Xi au pouvoir, Chen a déjà été promu cinq fois. Cette fois, il était nommé le 8 février vice-Directeur du « groupe directeur »mené par Li Keqiang et Sun Chunlan. Son rôle sera de dire aux cadres quoi faire et comment le faire. Dès son arrivée, il exigeait que tous les malades soient hospitalisés au lieu d’être renvoyés chez eux. Chen n’est pas un inconnu à Wuhan, où il a passé 15 mois entre 2016 et 2018 en tant Secrétaire du Parti de Wuhan et vice-Secrétaire de la province. A l’époque, il dénonçait déjà des cadres fainéants et peu désireux de mieux faire…

-L’autre fidèle de Xi est Wang Hesheng, vice-patron de la Commission Nationale de la Santé, nommé membre du Comité Permanent du Hubei. Wang remplacera le secrétaire du Parti de la Commission de Santé de Wuhan, Liu Yingzi et son directeur Zhang Jin, en poste depuis novembre 2018. Depuis le début de la crise, Liu n’avait participé qu’à une seule conférence de presse, tandis que Zhang ne s’était pas montré… Dès son arrivée en poste, Wang promettait que le Hubei ne deviendrait pas un « nouveau Wuhan ».

-Le 12 février, c’était au tour du plus haut cadre provincial de sauter : le Secrétaire du Parti du Hubei Jiang Chaoliang était remplacé par le maire de Shanghai, Ying Yong. L’ex-maire se déclarait touché de la confiance que lui témoigne le gouvernement central et bien sûr Xi Jinping :  » cette lourde responsabilité sera un test majeur pour moi « . Cette nomination n’est pas anodine, Ying est un sérieux candidat au Bureau Politique. S’il gère correctement la crise, sa place sera assurée. 

-Le Secrétaire du Parti de Wuhan Ma Guoqiang, perdait aussi sa place, remplacé par Wang Zhonglin, venu de la ville de Jinan (Shandong).

Les deux seuls encore en sursis sont le gouverneur du Hubei, Wang Xiaodong, et le maire de Wuhan Zhou Xianwang, s’étant particulièrement illustré dans cette crise, mais pas pour les bonnes raisons… Lors d’une conférence le 27 janvier, Zhou portait lui son masque à l’envers. A ses côtés, Wang ne portait pas de masque, contrevenant ainsi à la règlementation. Autre maladresse : le gouverneur s’y reprenait à trois fois avant de donner le nombre exact de masques produits… S’ensuivit une interview télévisée du maire : « nous assumons notre décision de mettre en quarantaine la ville, et pour cela, le Secrétaire du Parti Ma Guoqiang et moi-même, sommes prêts à démissionner ». Zhou ajoutait : « Si nous n’avons pas communiqué plus tôt sur l’épidémie, c’est que nous n’avions pas eu l’autorisation de le faire du gouvernement central ». En rejetant aussi ouvertement la faute sur sa hiérarchie, le maire s’attirait les foudres de Pékin… Pourtant, à l’issue de l’interview, Zhou se félicitait de son intervention, estimant s’en être à 80% bien sorti, une arrogance qui ne fit qu’attiser la colère du public. Leurs jours sont donc comptés.

Ces chaises musicales ont pour objectif de rassurer le public que le gouvernement prend la crise très au sérieux, et que les responsables de cette catastrophe seront punis sans attendre. Le fait de procéder à ces nominations juste avant la révision (le 13 février) de la méthode de détermination du nombre de cas officiels (par radio du thorax) est censé faciliter la tâche à ces nouveaux cadres parachutés. Mais cela prouve surtout que le gouvernement cherche à limiter les dégâts pour le Parti. Ces limogeages et tentatives de justification seront-ils suffisants pour détourner la colère du public du gouvernement central et de Xi Jinping ? Rien n’est dit.


Santé : Le laboratoire P4, cible de toutes les rumeurs

Depuis quelques semaines, des rumeurs dignes d’un film hollywoodien prolifèrent. La plus folle voudrait que le COVID-19 soit une arme biologique ayant fuité du laboratoire biologique P4 à Wuhan. L’affirmation le 24 janvier dans la revue The Lancet que le patient 0 n’aurait pas fréquenté le marché de Huanan, origine présumée du virus, donnait du grain à moudre à ces spéculations …

Ce laboratoire P4, fruit de la coopération scientifique franco-chinoise et inauguré en 2017, est le premier du pays habilité à manipuler les virus les plus dangereux au monde. D’ici 2025, la Chine envisage d’en construire entre 4 et 6 autres pour mailler son territoire. Un autre à Harbin est rentré en service en 2018. Deux autres sont envisagés à Pékin et Kunming. A l’échelle mondiale, il en existe une soixantaine.

Excédée par ces théories du complot, la vice-Directrice de l’Institut de Virologie de Wuhan, Shi Zhengli réfutait ces accusations le 4 février : « cette théorie fumeuse a été élaborée par ceux qui ne croient pas en la science. […] Et si mes mots ne suffisent pas à convaincre, je n’ai aucun doute que l’enquête rigoureuse des départements compétents le fera ». Mme Shi, 55 ans est une scientifique réputée pour ses recherches sur les chauves-souris, en lesquelles elle avait retrouvé l’animal « réservoir » du SRAS en 2003. Elle s’était déjà défendue sur WeChat le 2 février : « le COVID-2019 est une punition de la Nature à l’Homme et ses habitudes d’un autre âge. Moi, Shi Zhengli, jure qu’il n’a rien à voir avec notre laboratoire. Je conseille à ceux qui donnent du crédit à de soi-disant chercheurs indiens, de se taire ». Shi faisait référence à un article publié le 31 janvier sur la plateforme BioRxiv par des scientifiques basés en Inde croyant avoir décelé de troublantes ressemblances entre la séquence génétique du COVID-2019 et celle du VIH. Avant même la réponse de Shi, l’article en question avait été retiré par ses auteurs…

Le 15 février, le ministère de la Science et de la Technologie choisissait mal son moment pour appeler les laboratoires du pays à une meilleure gestion des virus, ainsi que de garantir la sécurité et la sûreté biologique. De même, début février, le Major-général Chen Wei (陈薇) 54 ans, principale spécialiste du pays en matière d’armes biologiques (envoyée à Wuhan depuis fin janvier) aurait pris la direction du laboratoire. Cette nouvelle, si avérée, pourrait mettre de l’huile sur le feu…

Différents experts étrangers ont exprimé leur soutien à l’Institut de Wuhan. Selon Dr Trevor Bedford, spécialiste américain des maladies infectieuses : « il n’y a aucune preuve accréditant la thèse que le virus ait subi une manipulation génétique par l’être humain ». Un professeur du MIT, Vipin Narang, tweetait non sans humour : « si le virus était une arme biologique, elle serait bien mauvaise, n’étant pas assez léthale et beaucoup trop contagieuse ». D’ailleurs, « la plupart des pays ont abandonné leurs recherches en ce domaine, après des années sans résultat probant », selon Tim Trevan expert en sécurité biologique. « De plus, il est hautement improbable que le gouvernement chinois choisisse un laboratoire si visible pour de telles recherches ».

Le biologiste Richard Ebright était plus nuancé : « Soit le virus est apparu naturellement, soit il provient d’une erreur de laboratoire ». « Ce ne serait pas la première fois. Le SRAS s’est échappé quatre fois d’un laboratoire pékinois. De plus, le virus RaTG13 retrouvé chez une espèce de chauve-souris, partage 96% des gènes du COVID-19, selon les propres résultats de l’équipe de Mme Shi. Or le RaTG13 est stocké par l’institut depuis 2013 », soulignait Ebright.

Ce n’est pas la première fois que de telles théories trouvent leur public : la thèse selon laquelle le virus du Sida aurait été inventé par les Américains est largement reprise sur internet. Après l’épidémie d’Ebola, certains avaient accusé le Département de la Défense américain d’avoir créé le virus…  

Un virologue chinois donne une raison principale pour laquelle ces théories fumeuses sont si convaincantes : la population a l’impression que le nombre de maladies infectieuses s’accélère ces dernières années. Et elle n’a pas tort. Si ce type de maladie est plus fréquent, c’est que les gens ont plus d’interaction avec des animaux sauvages qu’avant, que les nouveaux virus sont désormais identifiés grâce aux avancées scientifiques, et que la mondialisation des échanges permet la contamination d’un bout à l’autre du globe. Le contexte épidémique rend évidemment la population plus anxieuse, favorisant aussi la prolifération de ce genre de thèses. De plus, les « caractéristiques chinoises » jouent également un rôle dans la paranoïa ambiante : l’idée selon laquelle les chercheurs sont avant tout au service du Parti, avant celui de la science, n’aide pas… Tant que le public n’aura pas une explication scientifique à croire de bout en bout, les rumeurs perdureront.

Comme si les rumeurs ne suffisaient pas, l’Institut de Wuhan faisait également l’objet de critiques. La première est d’être resté trop discret lors des premiers jours de l’épidémie. Même s’il affirmait avoir été le premier à identifier la séquence génétique du COVID-19 , le public n’était informé de ce séquençage qu’après que le Centre de Santé Publique de Shanghai affilié à l’Université de Fudan dévoile ses propres résultats le 10 janvier. L’Institut de Wuhan n’aurait-il pas reçu le feu vert des autorités locales pour communiquer en temps utile ?

La seconde critique est de n’avoir pas tardé à déposer sa demande de brevet (21 janvier) pour le Remdesivir, médicament prometteur du groupe pharmaceutique californien Gilead, dont les essais cliniques débutèrent à Wuhan deux semaines plus tard. Un internaute commentait, désabusé : « l’institut est lent à découvrir si le virus est contagieux, mais particulièrement rapide pour remplir ses demandes de brevet »!

Enfin, la compétence de sa directrice, Wang Yanyi, était également remise en cause. Elle aurait obtenu ce poste grâce à son mari, ancien directeur de l’Institut, aujourd’hui membre de l’Académie chinoise des Sciences (CAS). Son jeune âge était également pointé du doigt (38 ans) : Wang a seulement publié 28 articles dans les meilleures revues scientifiques, contre 60 pour son vice-directeur Xiao Gengfu. Si les internautes se penchèrent sur le curriculum de la directrice, c’est en raison d’une étude conjointe entre son institut et celui shanghaien Materia Medica (tous deux supervisés par la CAS), suggérant que le sirop chinois Shuanghuanglian pourrait aider à ne pas contracter le virus. Cette mixture de chèvrefeuille, forsythia et scutellaire, est habituellement utilisée pour soigner la toux, les maux de gorge et lutter contre la fièvre. Comme rien n’arrive jamais par hasard, cette étude préliminaire venait une semaine après que le Président Xi Jinping appelle à combiner la médecine traditionnelle chinoise (TCM), dont il est l’ardent défenseur, aux traitements occidentaux, pour traiter le coronavirus. Après que la nouvelle eut été reprise par Xinhua le 31 janvier, les Chinois se précipitèrent dans les pharmacies et sur internet pour acheter le précieux remède. Le lendemain, le Quotidien du Peuple démentait toute efficacité du médicament contre le COVID-19… Par la suite, l’Institut de Wuhan était pointé du doigt pour avoir boosté les ventes de Shuanghuanglian. Décidément, l’institut semble traverser une mauvaise passe…


Insolite : Situations coronavirales (2ème partie)

Dans ce climat pathologique, ces quelques anecdotes cocasses, rumeurs incroyables, slogans créatifs, ont le mérite de redonner le sourire !

Quel est le lien entre le jeu du mah-jong (particulièrement populaire durant le Nouvel An chinois) et le coronavirus ? Jouer à l’un peut conduire à contracter l’autre. Dans le Zhejiang, à Quzhou, un cas d’une telle transmission a été recensé, conduisant les autorités à confisquer 600 tuiles de mah-jong soigneusement choisies pour empêcher les habitants d’y jouer. Elles seront redonnées aux villageois après l’épidémie. Des campagnes similaires ont été menées dans deux autres provinces, allant même jusqu’à détruire les tables de mah-jong au marteau !

Les cadres ont aussi fort à faire à traquer les rumeurs sur internet : au Guizhou, un cochon doté de parole aurait conseillé à sa propriétaire de manger neuf œufs avant l’aube pour éloigner le virus. Beaucoup y auraient cru et postèrent des photos de leurs œufs bouillis sur les réseaux sociaux… La police retrouva la femme à l’origine de cette histoire invraisemblable le jour même : elle déclara avoir lu quelque part que les œufs renforçaient le système immunitaire. Pour avoir propagé de fausses rumeurs, elle était détenue pendant 10 jours.

Pour la fête des lanternes le 8 février, un jeune homme de Wenzhou, ville en semi-quarantaine, brisait l’ennui en donnant un concert depuis son balcon. Même si le spectacle fut apprécié par les voisins qui brandirent leur téléphone portable en guise de briquet, il fut désapprouvé par les autorités pour risque de postillons…

Pour la Saint-Valentin, adieu fleurs, chocolats ou bijoux ! Selon un sondage, un tiers des Chinoises préféraient recevoir des masques et des produits désinfectants en guise de cadeau… Dans le même esprit romantique, un couple du Shandong décidait tout de même de se marier (cf photo), malgré le fait que les rassemblements soient interdits à cause du virus. La mariée s’explique : « On a dû annuler toute la fête, seuls nos parents étaient présents… En fin de compte, mon fiancé n’a dépensé que quelques centaines de yuans pour m’épouser, mais ce n’est pas grave, l’important c’est qu’il soit le bon » !

Le virus donne aussi des idées aux malhonnêtes : le 9 février à Hong Kong, une Chinoise de 29 ans était arrêtée après un prétendu vol de 10 000 HKD  perpétré par deux policiers venus procéder à un contrôle de sa quarantaine dans sa chambre d’hôtel à Sham Shui Po. Après visionnage des caméras de sécurité, il s’avéra que personne ne s’était présenté à sa porte…

Enfin, les petites villes et les villages ont toujours recours aux bonnes vieilles méthodes propagandistes pour inciter les gens à rester chez eux, porter un masque, délaisser la consommation d’animaux sauvages, blâmer ceux qui dissimulent leur fièvre, ou dénoncer ceux qui continuer à se retrouver pour jouer au mah-jong ! Les calicots rouge et blanc qui habillent les rues ne manquent pas d’arguments : « rentrer au village natal avec votre maladie, ne va pas rendre vos parents heureux, mais malades » ; « rendre visite à ses amis équivaut à un suicide collectif, faire la fête c’est avoir envie de mourir » ; « les gens que vous rencontrez dans la rue sont comme des zombies qui en veulent à votre vie » ; « si vous sortez aujourd’hui, de l’herbe poussera sur votre tombe l’année prochaine » ; « restez chez vous, vos meilleurs amis sont la télévision, l’air conditionné et le wifi » ; « n’allez pas à l’épicerie tant que vous avez une échalote chez vous » ; « porter un masque, c’est mieux que de respirer par un tube » ; « économiser quelques sous à se passer de masques, dépenser une fortune en traitements à l’hôpital » ;  « ceux qui ne déclarent pas leur fièvre sont des ennemis de classe qui se cachent parmi le peuple » ; « mangez des animaux sauvages aujourd’hui, allez à l’hôpital demain » ; « prenez votre revanche sur vos parents qui avaient tué vos cybercafés il y a quelques années, en dénonçant leurs salons de mah-jong »… !


Société : La censure reprend la main

En temps de crise, il est commun pour les autorités de lâcher volontairement la bride les premiers jours pour mieux identifier le problème et la source du mécontentement populaire. Début février, la fenêtre de liberté accordée semblait se refermer. Lors d’une réunion du Comité Permanent le 3 février, Xi Jinping appelait à « renforcer le contrôle sur les médias de l’internet ». 48h plus tard, des milliers de comptes WeChat et Weibo étaient suspendus temporairement… ou définitivement. Le journaliste citoyen Chen Qiushi, très actif sur le terrain depuis le début de l’épidémie (cf photo), disparaissait des radars… Fang Bin était également emmené au poste de police pour avoir propagé de « fausses rumeurs » après avoir filmé la situation dans les hôpitaux de Wuhan. Au moins 350 autres internautes étaient punis pour les mêmes motifs au 7 février. En parallèle, 300 journalistes du Département central de la Propagande étaient alors dépêchés sur place pour reprendre le contrôle de la couverture médiatique : émergeait peu après, une vidéo de malades dansant avec le personnel médical dans un gymnase transformé en zone de soin…

Suite à la vague d’indignation qu’entraina le décès de Li Wenliang , deux lettres ouvertes étaient rédigées. En réaction, la presse officielle tenta de les discréditer en accusant leurs auteurs d’être manipulés par « des forces étrangères ». La première était publiée par dix professeurs de Wuhan réclamant que la police retire sa sanction à l’encontre du Dr Li. La seconde était signée par un groupe d’intellectuels de Pékin et adressée à l’Assemblée Nationale Populaire (ANP). Inspirée par les manifestations à Hong Kong, cinq demandes étaient formulées : protéger le droit des citoyens à la liberté d’expression, faire du 6 février un jour férié, s’assurer que personne ne soit censuré ou puni pour ses opinions, offrir des soins équitables aux habitants du Hubei, victimes de discrimination dans le reste du pays, ainsi que le retour à une direction collective du pays. Le journaliste Chen Min affirmait que si quelqu’un devait payer le prix pour avoir émis des demandes aussi rationnelles, cela montrerait que tout bon sens est bel et bien perdu, et ne ferait qu’augmenter la colère du public. La sociologue de Tsinghua Guo Yuhua ne faisait pas d’illusion : « cette pétition n’ira pas bien loin avant d’être censurée, mais il est important de prendre position ». Zhang Qianfan, professeur de droit de Beida, déclarait que cela prendrait un peu de temps avant de voir si le mécontentement du peuple menacera vraiment la légitimité du Parti. Le principal facteur sera les dégâts économiques causés par l’épidémie et la longueur de la crise. 

Autre signataire, le professeur de droit à Tsinghua Xu Zhangrun. Xu venait de publier un essai, blâmant la répression de la société civile ayant rendu impossible de sonner l’alarme. « Pékin a mis la loyauté des cadres au-dessus de la compétence… La bureaucratie est pleine de cadres médiocres sans motivation de bien faire. La situation politique au Hubei n’est que la partie émergée de l’iceberg, c’est pareil dans les autres provinces ». Le professeur avait été suspendu en 2018, pour avoir critiqué l’amendement à la Constitution abolissant la limite du nombre de mandats du Président chinois. Depuis la publication de ce dernier texte, il est injoignable…

Dans la même veine, l’intellectuel Xu Zhiyong appelait début février le Président à démissionner pour son inaptitude à gérer des crises majeures, comme la guerre commerciale ou le mouvement de protestation à Hong Kong. Le 15 février, il était arrêté à Canton lors d’un contrôle de quarantaine, après 50 jours de cavale pour avoir tenu à Xiamen une réunion sur la transition démocratique. Xu accusait le leader d’avoir « gâché » le pays avec des mesures exhaustives de maintien de la stabilité sociale. En 2018 seulement, le pays aurait accordé 1380 milliards de yuans (180 milliards d’euros) en budget à la sécurité publique (sécurité d’Etat, police, surveillance domestique, milice civile armée…). C’est trois fois plus qu’en 2008, et 200 millions de yuans de plus que le budget de l’armée.


Culture : Un Oscar pour « American Factory »
Un Oscar pour « American Factory »

Pour nos lecteurs en semi-quarantaine en Chine, désireux de faire passer le temps, ou pour ceux en quête d’une distraction instructive, Le Vent de la Chine vous propose de (re)découvrir « American Factory », qui vient de remporter l’Oscar du meilleur documentaire 2020.

Sans même être projeté officiellement en Chine, un documentaire suscite beaucoup d’intérêt auprès du public chinois depuis sa sortie sur Netflix (US) fin août 2019 : avec plus de 13 millions de commentaires sur Weibo, il récoltait la note de 8,4/10 sur Douban. Premier de la société de production Higher Ground du couple Obama, le reportage engagé « American Factory » (美国工厂) relate la reprise en 2014 d’une ex-usine General Motors près de Dayton (Ohio), dans la Rust Belt américaine, par le groupe Fuyao, leader chinois des vitrages automobiles. Avec la fermeture de GM en 2008, des milliers d’ouvriers perdaient leur emploi. Grâce à Fuyao, 2 200 jobs furent créés, certes payés deux fois moins cher. « Un boulot mal payé, c’est mieux que rien du tout », relativise une mère de famille.

Au début du reportage, Cao Dewang, le président de Fuyao, prône l’adaptation : « à Rome, fais comme les Romains ». Pour les 200 ouvriers chinois venus former leurs collègues américains, un stage d’interculturel accéléré est dispensé durant la pause déjeuner : « les Etats-Unis sont un pays où l’on peut s’exprimer, même faire des blagues sur le Président de la République ! Les Américains sont généralement enthousiastes, francs, et sont plus réceptifs aux encouragements qu’aux punitions ». Rapidement des liens se tissent entre les binômes sino-américains, et les nouveaux venus découvrent rapidement les spécificités locales : armes à feu, pêche à la carpe, ou dinde de Thanksgiving.

Pourtant, la lune de miel va tourner court. Les Chinois fustigent leurs collègues américains, « aux gros doigts lents, à la langue bien pendue, et à l’attitude fainéante ». « Ils ont 8 jours de repos par moisDe quoi se plaignent-ils ? » se demandent-ils. Les Américains eux, critiquent leurs collègues chinois qui « ne font que donner des ordres, sans expliquer pourquoi ». Pour améliorer la compréhension mutuelle, une poignée de travailleurs américains est alors envoyée à l’usine mère à Fuqing, dans la province du Fujian. Ils y découvrent une discipline quasi-militaire et un paternalisme ambiant : ici pas de syndicat, mais une cellule du Parti. Selon les mots de son Secrétaire : « si les ouvriers ne rament pas fort, c’est tout le navire Fuyao qui coulera ».

Cela n’empêchera pas le conflit de s’envenimer. Les ouvriers américains dénoncent leurs conditions de travail, le manque de sécurité dans l’usine et menacent de faire appel au principal syndicat automobile d’Amérique du Nord (UAW) : « on s’est battus il y a un siècle pour nos droits, on ne va pas le refaire aujourd’hui ». De son côté, M. Cao prévient : « si un syndicat se forme, je ferme les portes ». Un bras de fer s’engage alors entre la direction et les travailleurs américains… Deux ans après son ouverture, Fuyao Glass America (FGA) finira par afficher un revenu net de 34,3 millions de $.

Ce documentaire dresse donc un portrait honnête de la mondialisation des entreprises, de son coût humain et social, de Dayton à Fuqing. Le clash entre les ouvriers américains et leurs managers chinois était prévisible, lié à leur différence de perception de conditions de travail acceptables, ou non. Alors que l’on pouvait attendre une certaine solidarité de classe, il n’en est rien. Pourtant, ouvriers chinois comme américains seront impactés par l’automation : Fuyao Glass America installait déjà ses premiers bras « robotisés » en 2018.

Aux Etats-Unis, ce reportage donnera sans doute matière à réflexion sur l’impact de la mondialisation sur ses travailleurs, et sur la montée en puissance de la Chine. L’objectif affiché de M. Cao était de « changer la perception des investissements chinois aux USA ». Pourtant, après visionnage, difficile d’imaginer que les téléspectateurs en aient une meilleure image. Au contraire, il pourra alimenter les craintes, et pas seulement celles de l’électorat de Trump. A tort, car ces investissements chinois ne sont pas tous destinés à être conflictuels. A Lancaster en Californie, la firme chinoise automobile BYD assemble des bus électriques pour différentes villes américaines depuis 2013 et fait figure de « success story », selon Madeline Janis, directrice de l’association Jobs to Move America. D’abord réticente, BYD a accepté de travailler avec un syndicat et les communautés locales pour mettre en place des pratiques de recrutement équitables, de bonnes conditions de travail et proposer des salaires décents – mesures qui bénéficient à toutes les parties. Les autorités locales ont donc un rôle primordial à jouer, en demandant des comptes aux entreprises étrangères s’installant sur leur territoire.

En Chine, les internautes dressent des comparaisons plutôt étonnantes : « ce n’est pas un conflit interculturel, mais un conflit entre un capitalisme du 19ème siècle et un autre du 21ème siècle ». Un autre commentaire est plus ironique : « quel est le pays socialiste, et quel est celui capitaliste ? Le pays socialiste exploite ses travailleurs, et bafoue leurs droits, et le pays capitaliste prône la sécurité au travail et supporte la participation des syndicats. C’est le monde à l’envers ». Enfin, parallélisme intéressant : le groupe américain Tesla a récemment inauguré sa « Gigafactory 3 » à Shanghai, l’occasion peut-être d’inverser les rôles en y tournant un « China Factory » ? 


Petit Peuple : Canton – Sept copines pour la vie (2ème Partie)

Résumé de la 1ère partie : Au sein du groupe audiovisuel Nanfang Media, à Canton en 2013, sept femmes se sont réunies en un club exclusif afin de mieux profiter de la vie ensemble, sans hommes…

« Oh, les filles, regardez ce que je viens de trouver ! ». Sur leur groupe WeChat, Pu la juriste interpellait en février 2019 les six autres membres du club, leur présentant en photos une grande bâtisse inachevée au cœur d’un hameau. « C’est mon village natal… le secrétaire du Parti a voulu monter un hôtel, et il a fait faillite en cours de construction, faute de trouver les crédits… à présent, il veut vendre, pour 350 000 yuans – c’est pour une bouchée de pain. Et si on l’achetait pour nous, comme lieu de notre future retraite ? »

Dans la demi-heure qui suivit, cette offre déclencha un feu roulant d’approbations lyriques. L’offre répondait à une vieille demande. Après sept ans de sorties tous les week-ends et de partage de la vie au travail, ces sept femmes, collègues dans la même « boite » de production publicitaire à Canton, ne concevaient plus de vivre séparées. A chacune de leurs rencontres, elles se sentaient vivre un peu plus intensément, penser ensemble, blaguer, rebondir sur leurs remarques, se conseiller dans leurs problèmes familiaux ou sentimentaux. Elles aimaient se faire la cuisine, et surtout le thé. Elles ressentaient toujours plus l’envie de partager leur jours, ceux du travail comme deux du temps libre. Au début 2019, Lan, leur aînée, 45 ans, leur avait lancé comme une boutade : « vous savez, les filles, dans 10 ans, pour nous toutes arrivera le temps de la retraite. Et si on se trouvait un coin pour vieillir ensemble – ça serait pas idéal, çà ? » Toutes avaient applaudi ! Aussi l’offre de Pu tombait elle dans une assemblée conquise d’avance : à peine une heure plus tard, à deux voitures, on se mit en route, pour aller découvrir cette merveille. 

Au village, toute en hauteur, la grande carcasse s’offrait à leurs yeux, comme une mystérieuse falaise – l’énigme de leur avenir commun éventuel. Pour l’heure, ce n’était pas encore grand-chose, rien qu’une coquille de briques et de béton, aux fenêtres et balcons béants dans le vide. Tout était à faire, du sol au plafond. Mais l’emplacement était idéal, à 70km de Canton par autoroute. La vallée s’étalait dans son vert immaculé, sans pollution. Avec 700m² sur quatre étages, le volume promettait de les accueillir toutes sans se marcher sur les pieds. Et le prix annoncé restait dans leurs moyens – elles étaient bien payées. 

L’enfer est dans les détails : un problème émergea avec le secrétaire du Parti, qui leur précisa que cette maison allait avec 10 « mou » (deux tiers d’hectare) de terre, qui devrait être payés à part. Cela allait doubler le prix. Pire, les femmes devraient obligatoirement rétrocéder en location ces sols aux paysans, au nom du maintien des rizières en culture – c’était la loi. A l’évidence, le rond de cuir, après avoir raté son projet d’investissement, cherchait à faire payer aux repreneurs les frais de son échec – ou bien à faire capoter la négociation.  

Mais c’est alors que Lan, l’aînée, eut le trait de génie permettant de sauver la situation : « nous sommes toutes des enfants du pays, répliqua-t-elle : « Pu, notre soeur, est née ici -on est pour ainsi dire de la même famille… faut s’entraider ! la rizière, on va vous l’acheter, mais vous pourrez continuer à la cultiver gratuitement – nous renonçons à tous frais de location». C’était pour le village des conditions de rêve ! Dès lors, le secrétaire ne put que donner son feu vert. Pour 700 000 yuans (ce qui restait un très bas prix), le club des sept emportait le palais de ses rêves. Elles obtenaient en plus la promesse qu’on leur construise un sentier de bambou sur pilotis ainsi qu’un pavillon devant la maison, en pleine rizière, pour se retrouver pour le thé. 

Dès lors, les choses allèrent très vite. Une fois les fonds payés et le titre de propriété transféré, les amies nommèrent un copain architecte d’intérieur comme maître d’oeuvre. Le rez-de-chaussée fut dallé de carrelage et de marbre gris et blanc, offrant une vaste salle de séjour avec cuisine ouverte. Le premier étage fut réservé aux espaces communs pour les ateliers de poterie, tissage, et aux chambres pour invités. Au troisième, un surprenant cube de verre se détachant de la paroi, devint la salle de yoga, de méditation et de dégustation de thé. Le reste de l’étage et le quatrième furent partagés en appartements tout confort, autonomes et agrémentés de jardins intérieurs, avec arbustes, jardinières, bancs et balancelles. Avec le sobre mobilier de Thaïlande et les tapis du Maroc, les salles d’eau dernier cri et l’immense table de chêne, il y en avait eu pour quatre millions de yuans, supportés par les sept amies : c’était le prix du rêve, pour cette maison qu’elles n’appelaient plus, avec affection teintée d’un brin d’ironie, que « notre ermitage à nous » (咱们的归宿, zánmen deguīsù).

 A l’automne 2019, tout était prêt pour la fête inaugurale, en présence des collègues, conjoints, enfants et amis. Mais dès le départ, entre les filles, un ensemble de règles strictes était convenu, afin de garantir la préservation de l’esprit communautaire et féminin du site, et que leur maison reste le lieu idéal, celui où démarre l’an zéro-un de la nouvelle vie ! 

Mais au fait, ces règles ne seront-elles pas insupportables à la longue, et recréer une communauté de femmes hors du monde, est-il réaliste ? C’est ce qu’on verra à l’ultime épisode, la semaine prochaine ! 


Rendez-vous : Semaines du 10 février au 15 mars

En raison de l’épidémie COVID-2019, l’ensemble des rassemblements ont été annulés jusqu’à nouvel ordre. Nous vous tiendrons informés de la reprise des salons, conférences et autres rendez-vous.

20-21 février : visite du vice-Premier Ministre Liu He à Bruxelles (Belgique) pour le Dialogue économique sino-européen – non confirmée

Première semaine de mars, Pékin : Session des Deux Assemblées (CCPPC et ANP,  Lianghui , 两会)reportée

C’est la première fois que la session des Deux Assemblées est reportée depuis 1999, année depuis laquelle sa date est fixe. Le risque d’infection entre les 6000 délégués des quatre coins du pays, a été jugé trop élevé. Il était prévu que l’ANP annonce l’objectif de croissance pour l’année.