Editorial : Le pouvoir se crispe

Avec un bilan qui s’alourdit chaque jour, le COVID-19, nouveau nom du coronavirus, s’impose comme le plus grave défi de santé de l’histoire du régime, dépassant le SRAS de 2003. Après quelques semaines d’hésitation, le gouvernement avait finalement mis en quarantaine 60 millions de citadins avant le Nouvel an chinois. Ceci n’a empêché le fléau au 17 février, de faucher 1 775 vies humaines et d’en infecter 70 636 autres (chiffres officiels). Ce constat alarmant force le régime à remettre en cause sa stratégie.

Le 12 février, le Comité Permanent prenait deux décisions. Il commence par limoger l’équipe dirigeante du Hubei, remplacée par des hommes fidèles à Xi Jinping. C’est d’abord, ostensiblement, pour disculper le Parti et condamner les cadres responsables. C’est aussi pour pouvoir durcir la discipline afin d’atteindre au plus vite le « pic de contamination » attendu par les virologues, et le seuil de la décroissance du virus.

Puis, il livre soudain un bilan aggravé des ravages du COVID-19 : des morts sous 24h plus que doublés, et des contaminations rehaussées de 25%. Ceci est le résultat d’une nouvelle norme de détection du virus : tous les cas détectés positifs par radio thoracique sont désormais considérés atteints. Ce test est moins précis que le test sanguin, mais il offre l’avantage immense d’une réponse immédiate, contrairement aux deux jours ou plus, exigés par les laboratoires. Or, ce temps de latence favorise la diffusion du fléau : dans l’attente, les malades restent sans soin et surtout sans isolation, contaminant ainsi leur entourage. Désormais, cette lacune dans le bouclier épidémiologique, est comblée – mais bien tard, et la publication de la nouvelle liste éveille les suspicions que le régime tenait deux listes, cachant la seconde. Dès lors, quelles sont les chances de cette nouvelle comptabilité d’être plus fiable ? Sur le terrain, l’addition réelle ne serait-elle pas beaucoup plus grave ? La confiance ne ressort pas grandie de ce nouveau chiffre soudain sorti du chapeau.

Une autre question forcément abordée au Comité Permanent (mais le communiqué final n’en souffle mot), est celle de l’indignation montante de la population face au culte du secret, et à l’étouffante censure du régime. Des critiques se font entendre sous forme de lettres ouvertes, reproduites par des centaines de milliers de lecteurs. Cependant les chances pour de tels messages d’être entendus, sont faibles. Le Président Xi vient de le rappeler en public, lors d’une visite dans un hôpital pékinois : la nation vaincra l’épidémie grâce à une discipline de fer. Aujourd’hui comme hier, la clé du succès demeure bien le contrôle social.

Cependant, ce fléau apporte d’autres risques, également abordés par le Comité Permanent. Il s’agit d’abord de soutenir l’économie, qui donne des signaux d’alarme de plus en plus clairs. Au Hubei et ailleurs, d’innombrables PME bloquées par la quarantaine, ont des difficultés de trésorerie, et les employés sont congédiés faute de pouvoir les payer. Le Comité Permanent s’inquiète aussi de l’approvisionnement en riz, et en viande de porc, dont le cheptel avait perdu 40% de têtes en 2019, suite à la grippe porcine. Pour l’instant, les magasins continuent à être approvisionnés, notamment par déstockage des entrepôts publics. Le risque est donc celui d’une société émotionnellement épuisée, financièrement ruinée, forcément mécontente…

Reste aussi le dégât d’image, hors frontières : le 12 février, Larry Kudlow, le conseiller de Donald Trump, appelait Pékin à plus de transparence, tout en posant sans fard la question de l’honnêteté du régime, dans la coopération contre la pandémie. Bien que Xi Jinping ait rassuré le Président américain sur le respect de leur accord commercial conclu en janvier, certains continuent d’en douter. Plus généralement, l’expansion du virus hors frontières (dans 26 pays) ainsi que ses retombées économiques internationales ont créé un vent de panique et un sentiment anti-chinois important. Même si certaines mesures prises peuvent être justifiées par un objectif purement protectionniste, d’autres, moins rationnelles, relèvent plus de la méfiance injustifiée voire de racisme à l’encontre de la Chine et de sa population. Or ce serait là le danger n°1 pour le régime : de voir disparaître la confiance de son peuple puis celle de l’étranger, s’il devait perdre durablement sa capacité à enrichir le pays – et le monde. En dépit de ses vantardises de pouvoir régner « 10 000 ans »,  la dynastie rouge, comme toutes les précédentes, ne durera que tant qu’elle conservera « le mandat du ciel ». Or, celui-ci se manifeste par sa capacité à maintenir le peuple en bonne santé, et bien nourri : tout le monde sait cela en Chine, et le sommet du régime, mieux que tout autre. 

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1 Commentaire
  1. severy

    Excellent article, une fois de plus.
    Je ne crois pourtant pas que le régime considère le bonheur du peuple comme étant une priorité absolue. Qu’il meure de faim ou de soif de temps en temps ne fait que partie des aléas de l’histoire, comme l’ont prouvé les affreuses famines des années 50 et 60, alors que le Parti était déjà au pouvoir. Le régime n’a que faire du mandat d’un Ciel auquel il ne croit pas. Il maîtrise la météorologie du pouvoir et s’arroge tous les pouvoirs. Il se servira de ce début d’épidémie pour éliminer les factions qu’il accusera d’incompétence. La propagande aura vite fait de tourner les milliers de morts qu’elle aura faits en victimes de la mauvaise gestion de responsables qui seront les victimes expiatoires de ses propres défauts: culte du secret, censure de l’information, sous-estimation du danger et lenteur administrative. On se demande actuellement si la Chine prend des mesures pour empêcher ses citoyens de quitter le territoire national… Est-il prudent de laisser repartir les étudiants qui sont revenus au pays célébrer l’année du Rat en famille? Il y aurait intérêt à respecter quelques règles prophylactiques de base afin de limiter la propagation du virus à l’étranger. Le personnel médical chinois fait de très beaux efforts dignes de tous les louanges. On souhaiterait que les décideurs politiques en fassent autant à leur échelon.

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