Santé : Les prémices d’une épidémie

Dans cette « guerre du peuple » contre l’épidémie, il y a eu un « avant » et un « après » 20 janvier, jour de la première prise de parole du professeur Zhong Nanshan, éminent pneumologue chinois qui avait découvert le virus du SRAS en 2003, puis des premières directives du Président Xi Jinping. Selon de nombreux observateurs, une « fenêtre d’opportunité » décisive d’au moins trois semaines a été manquée par les autorités. Une gestion de crise comparée par certains internautes chinois à la catastrophe de Tchernobyl, pour avoir caché la vérité…

[ Cette chronologie sera mise à jour au fur et à mesure des révélations ].

Le premier malade

Officiellement, le premier malade présentait des symptômes du COVID-19 dès le 8 décembre. C’était un commerçant du marché aux fruits de mer de Huanan, aussi connu pour ses « mets » sauvages. Situé à un kilomètre de la gare ferroviaire de Hankou, les 600 échoppes du marché y jouissaient d’une affluence quasi quotidienne malgré des conditions sanitaires douteuses. Pourtant, des scientifiques chinois révélaient le 24 janvier dans la revue scientifique The Lancet que 14 des 41 premiers patients n’avaient pas visité le marché, suggérant que Huanan n’était pas l’unique source de contamination. Le patient 0 aurait été  hospitalisé à l’hôpital Jinyintan de Wuhan dès le 1er décembre et n’était pas allé au marché incriminé… Compte tenu de la période d’incubation (jusqu’à 27 jours dans certains rares cas), cela laisse à penser que d’autres malades ont pu émerger dès novembre, sans être détectés. Et effectivement, le 13 mars, les autorités remontaient jusqu’au premier patient connu dès le 17 novembre, sans qu’il soit toutefois considéré comme le patient zéro. 

Le 26 décembreZhang Jixian, Directrice du Département des maladies respiratoires du Hubei Provincial Hospital of Integrated Chinese and Western Medicine, reçut un couple de personnes âgées et leur fils, souffrant tous trois d’une pneumonie d’un genre inconnu, suggérant que la maladie était infectieuse. Le même jour, un marchand de Huanan se présentait avec les mêmes symptômes. Sans tarder, elle envoya des échantillons à un laboratoire shanghaien. Le 27 décembre, Dr Zhang alertait un des doyens de l’hôpital, qui informait à son tour le Centre de Contrôle Epidémiologique (CDC) de Wuhan. Trois autres commerçants de Huanan furent hospitalisés dans les 48h qui suivirent. Après avoir eu vent de cas similaires dans d’autres établissements de la ville, le doyen informa ensuite le CDC de la province. Les deux CDC (Wuhan et Hubei) concluaient que malgré le cas connu de contamination au sein d’une même famille, le virus n’était pas transmissible entre humains. Depuis, le Dr Zhang est connue à travers le pays pour avoir diagnostiqué les sept premiers cas du COVID-19 et avoir été la première à avoir alerté les autorités selon la chronologie officielle. Elle fut récompensée le 6 février. Hasard malheureux, le soir même, le lanceur d’alerte Li Wenliang décédait

Pourtant Lu Xiahong, Directrice du Service de gastroentérologie de l’Hôpital n°5 de la ville, confiait au China Youth Daily avoir entendu dès le 25 décembre qu’une pneumonie virale inconnue commençait à se répandre parmi le personnel soignant – trois semaines avant que les autorités ne le reconnaissent officiellement. [NDLR : au 14 février, ils étaient 1716 médecins et infirmières contaminés dans le pays entier, dont 1502 dans le Hubei (1102 à Wuhan) selon le CDC national, soit 3,8% des cas. Selon d’autres estimations non officielles, jusqu’à 30% du personnel soignant aurait été contaminé. Le 26 février, une équipe de l’OMS avancait un chiffre de 3387 cas parmi le personnel médical].

Fin décembre, au moins 9 échantillons de différents patients avaient été envoyés par plusieurs hôpitaux de Wuhan à divers laboratoires du pays, Shanghai, Canton (Vision Medicals, Weiyuan Gene Technology), Shenzhen (BGI Gene), Pékin (CapitalBio Medlab, Boao Medical Laboratory). Tous revinrent avec le même diagnostic : un nouveau coronavirus de type SRAS. Le premier résultat fut communiqué dès le 27 décembre à son hôpital commanditaire.

Le 30 décembre, un message interne de la Commission Municipale de la Santé fuitait sur les réseaux sociaux, déclarant que plusieurs cas de pneumonie virale d’origine inconnue avaient été découverts mais qu’aucun département ni individu n’était autorisé à communiquer sur le sujet. Le même jour, les docteurs Li Wenliang (ophtalmologue au Wuhan Central Hospital), Xie Linka (oncologue au Wuhan Union Hospital), et Liu Wen (neurologue au Wuhan Red Cross Society Hospital) avertissaient leurs amis de ne pas se rendre près du marché en question et de se protéger…

Du côté du CDC national, le système voulait qu’il soit averti quotidiennement, et qu’une alarme soit tirée à Pékin dès que le nombre de cas de pneumonie infectieuse dépasserait les cinq. En mars 2019, son directeur général Gao Fu affirmait encore qu’il était impossible qu’un SRAS « bis » ne se reproduise avec un tel mécanisme. Pourtant, aucune alerte n’a été tirée durant tout le mois de décembre. A l’hôpital Central de Wuhan (celui du Dr Li Wenliang et du Dr Ai Fen), les médecins étaient interdits de déclarer leurs cas de pneumonie indéterminée dans le système informatique du CDC par leur direction et les autorités locales jusqu’à mi-janvier. Un médecin d’une clinique de Wuhan déclarait n’avoir jamais eu connaissance d’un tel système, et même s’il l’avait su, il ne l’aurait pas utilisé : « on ne gagne rien à reporter de tels cas« .  Du coup, c’est le directeur Gao lui-même qui joua le rôle de sentinelle : ayant eu vent sur WeChat de la note interne de la Commission Municipale de Santé de Wuhan le 30 décembre au soir, il s’inquiéta que le système d’alerte n’ait pas été déclenché. Dans la foulée, il avertissait la Commission Nationale de Santé, qui prevenait à son tour le bureau de l’OMS à Pékin, prouvant ainsi que les autorités centrales étaient informées de la situation dès cette date. Une première équipe de plusieurs spécialistes pékinois était dépêchée par la Commission Nationale de Santé le 31 décembre. Une seconde délégation sera envoyée entre le 8 et le 16 janvier, dont Feng Zijian, vice-directeur du CDC national. [ Des chercheurs de cette dernière entité découvriront plus tard (20 février), qu’au moins 104 personnes avaient été infectées, dont 15 étaient décédées au 31 décembre ].

Alors que la première délégation d’experts pekinois était en chemin, la Commission Municipale de Wuhan communiquait pour la première fois le 31 décembre : « 21 personnes souffrent d’une pneumonie inconnue ». [ Au 13 mars, en testant à posteriori les échantillons de différents patients diagnotisqués d’infection ou de pneumonie, le bilan du Covid-19 au 31 décembre était en fait de 266 cas, et 381 cas au 1er janvier ].

Les trois premiers jours de 2020, le Bureau de la Sécurité Publique de Wuhan et la police rappelaient à l’ordre une poignée de citoyens pour « propagation de fausses rumeurs » sur les réseaux sociaux, dont trois médecins.

Selon Caixin, le 1er janvier, un cadre de la Commission de Santé du Hubei ordonnait la destruction des échantillons cités plus haut et interdisait les laboratoires de communiquer sur le sujet. Même son de cloche 48h plus tard, de la Commission Nationale de Santé qui enfonçait le clou en renouvelant cette interdiction.

Le 2 janvier, Wang Yanyi, directrice de l’Institut de Virologie de Wuhan, recevait de la Commission Nationale de Santé la stricte interdiction de communiquer toute donnée liée à l’épidémie, même à la presse officielle.

Le 3 janvier (44 patients), la Commission de Santé de Wuhan conservait un ton rassurant, suggérant que la fermeture le 1er janvier du marché incriminé devait stopper le virus à la source, et qu’il n’y avait aucune preuve que celui-ci se transmettait entre humains. Ce jour là, le gouvernement chinois communiquait pour la première fois auprès des Etats-Unis sur cette épidémie naissante, selon la porte-parole Hua Chunying.

Le 5 janvier, la Commission de Santé de Wuhan ajoutait que les citoyens devaient éviter les endroits bondés ou renfermés, ou porter un masque le cas échéant. Le même jour, un laboratoire de Shanghai avertissait le Commission Nationale de Santé avoir identifié un nouveau virus dangereux. Le lendemain, le CDC national émettait un avertissement d’urgence de niveau 2.

Dès le 7 janvier, le Président Xi Jinping ordonnait de contenir l’épidémie, lors d’une réunion du Comité Permanent. [ Cette information majeure ne sera révélée que le 15 février, visant à dédouaner le Président de toute accusation d’inaction ].

24h plus tard, les experts envoyés par la Commission Nationale de Santé cette fois, interrogeaient à plusieurs reprises les cadres locaux à propos d’une potentielle contamination du personnel médical. « A chaque fois, ils nous répondaient non, confessait un expert de la délégation à Caijing, mais nous étions tous suspicieux du contraire ». 

Le premier décès recensé fut celui d’un marchand de Huanan de 61 ans, le 9 janvier. Sa mort fut rendue publique 48h plus tard par la Commission de Santé de Wuhan. Elle omettait toutefois un petit détail : son épouse, n’ayant pas fréquenté le marché, avait présenté des symptômes de la maladie cinq jours après son mari…

Le 14 janvier, la Commission Nationale de Santé tenait une réunion avec ses branches locales, durant laquelle elle appelait celle de Wuhan à prendre des mesures strictes pour contrôler l’épidémie avant le Nouvel An chinois. Pourtant, la Commission Nationale de Santé ne donna aucun avertissement au public avant le 20 janvier. [ Les minutes de cette réunion ne furent publiées que le 27 février, comme pour se justifier d’avoir donné ses consignes à temps ].

Jusqu’au 15 janvier, selon le Dr Peng Zhiyong, la méthode de diagnostic décrétée par la Commission Municipale de Santé, était la suivante : seules les personnes ayant fréquenté le marché de Huanan, présentant une fièvre et des signes de pneunomie, pouvaient être considérées comme atteintes de la « mystérieuse pneumonie ». Ainsi, le fait de rendre le critère de fréquentation du marché obligatoire pour confirmer un cas de Covid-19, a conduit à passer à côté de nombreux cas de personnes sans contact avec le marché, ayant probablement contracté le virus via une autre personne.

Une course aux publications scientifiques

Fin décembre, deux équipes de scientifiques se lançaient dans l’identification du virus. L’équipe de l’Institut de Virologie de Wuhan (le seul laboratoire P4 du pays) dirigé par le Dr Shi Zhengli, recevait des échantillons le 30 décembre. Les chercheurs identifièrent un nouveau coronavirus le 2 janvier, et isolèrent le pathogène le 5 janvier. Selon les instructions de la Commission Nationale de Santé, ils intégrèrent le résultat de leurs recherches le 9 janvier à un fichier national, mais ne reçurent probablement pas l’autorisation de communiquer leurs découvertes au public, ce qui leur vaudra des critiques par la suite.

En parallèle, une autre équipe menée par le Dr Zhang Yongzhen, professeur au Centre de santé publique de Shanghai affilié à l’Université de Fudan, étudiait les échantillons envoyés par le Dr Zhang Jixian depuis le 26 décembre. Le 5 janvier, ils identifièrent le nouveau virus et séquencèrent son génome entier le 9 janvier. Sans le feu vert des autorités, ils partagèrent le 11 janvier leurs résultats sur des plateformes internationales afin d’alerter l’opinion publique, car la Commission Nationale de Santé n’avait pas réagi jusque-là (depuis le 5 janvier). Quelques heures plus tard, cette dernière était contrainte de partager ces résultats avec l’OMS, au nom de l’institut de Virologie de Wuhan. Le lendemain, à titre de punition, le laboratoire shanghaïen était prié par la Commission de Santé de Shanghai de fermer ses portes pour « rectification« . Au 1er mars, après quatre demandes de réouverture, le centre était toujours fermé…

Quoiqu’il en soit, ces prouesses furent saluées pour leur rapidité par la communauté scientifique internationale. A partir de ce moment, une certaine compétition entre les différents laboratoires des quatre coins du pays débuta, menant à une course aux publications scientifiques dans les revues The Lancet et le New England Journal of Medicine (au moins six d’équipes chinoises au 31 janvier). L’une d’entre elles, cosignée par Gao Fu et Feng Zijian, directeurs au CDC national, révélera plus tard (le 29 janvier) que la preuve d’une transmission entre humains était avérée dès les premiers jours de janvier. Se défendant de toute rétention d’informations de la part du CDC, Feng déclarait n’avoir obtenu ces données que le 23 janvier et avoir réalisé une étude rétrospective.

Pour éviter toute nouvelle situation embarrassante pour le pouvoir, une directive du Ministère de l’Information rappelait le 30 janvier que « chaque projet de recherche doit d’abord servir les intérêts de la nation », et conseillait aux chercheurs « d’utiliser les résultats de leurs recherches pour lutter contre le virus, plutôt que de les publier dans des magazines scientifiques ». Le 11 février, un article signé d’un groupe de scientifiques étrangers (dont deux membres du Comité d’urgence de l’OMS) et publié par the Lancet, déplorait les 17 jours entre l’obtention des premiers échantillons et la première communication.

Pas de quoi s’inquiéter !

Le 11 janvier, la Commission Municipale de Santé réaffirmait son engagement à sensibiliser le public à se protéger, et faire de son mieux pour enquêter sur l’origine du virus [Il s’avérera par la suite que les différentes désinfections du marché de Huanan et la destruction des marchandises ont rendu le travail d’identification de l’animal « hôte intermédiaire» très compliqué, selon le chasseur de virus américain Walter Ian Lipkin].

Wang Guangfa, pneumologue de renom envoyé par Pékin pour évaluer la situation, déclarait dans une interview le même jour que la situation était « évitable et contrôlable » [Moins de deux semaines plus tard, il dévoilera avoir été contaminé par le virus, « probablement par contact oculaire, n’ayant pas porté de lunettes protectrices »].

Aucun nouveau cas ne fut déclaré entre le 3 et 16 janvier, donnant l’impression que la maladie était sous contrôle et appartenait au passé. Ce silence radio coïncidait avec l’agenda politique local. En effet, les « Deux Assemblées » provinciales, grand rendez-vous politique de l’année, avaient lieu du 6 au 11 puis du 12 au 17 janvier. Pendant ce temps, aucune mesure de contrôle épidémique n’était prise à Wuhan. Bien au contraire ! Les autorités de la ville distribuèrent des milliers de tickets pour encourager le tourisme dans la région pendant les vacances. Une communauté de Wuhan organisait même son traditionnel banquet géant de 13 986 plats (cf photo), destiné à 40 000 résidents le 18 janvier. Jusqu’au 19 janvier, aucun haut cadre de la province du Hubei ni de Wuhan n’avait l’épidémie galopante comme priorité à son agenda.

Le 15 janvier, dans un « questions/réponses » publié sur son site internet, la Commission Municipale de Santé changeait légèrement de ton : « la possibilité d’une transmission interhumaine ne peut être exclue, mais le risque est limité ». Plusieurs cas au sein d’une même famille étaient confirmés le même jour. Entretemps, un premier cas était détecté en Thaïlande le 13 janvier, puis un autre au Japon le 16 janvier. Sur internet, ces annonces suscitaient le scepticisme des internautes : « le virus traverse les frontières mais ne sort pas de Wuhan » ! [ Les premiers cas hors de Wuhan, dans le Guangdong, à Pékin et Shanghai furent seulement révélés au public le 20 janvier. En fait, les malades étaient hospitalisés dès le 4 janvier, 12 janvier et 15 janvier selon Caixin. Le 18 février, une équipe de chercheurs du CDC national évaluaient qu’avant le 31 décembre, les cas étaient uniquement localisés au Hubei, en dix jours (au 10 janvier), des cas était déclarés dans 20 provinces, et les 10 jours suivants (au 20 janvier), dans 30 provinces (et municipalités). Cette conclusion révèle que des cas étaient bien déclarés dans tout le pays bien avant que ce concède la chronologie officielle].

Après un hiatus de près de deux semaines, le COVID-19 reprit sa courbe épidémiologique « exponentielle » : le 17 janvier avec 4 nouveaux cas déclarés, puis 3 nouveaux cas le 18, 17 nouveaux cas le 19,  59 nouveaux cas le 20 , 60 nouveaux cas le 21 janvier…

Le 19 janvier, la Commission Nationale de Santé faisait sa première déclaration depuis décembre : « l’épidémie est contrôlable. Le mode de transmission du virus n’est pas encore connu, ni son origine ».

Le tournant du 20 janvier

Pékin appela alors à la rescousse le fameux professeur Zhong Nanshan, 83 ans, qui avait alerté à l’époque la population sur la dangerosité du SRAS. Le 20 janvier, le docteur Zhong validait que la transmission interhumaine était « possible même si limitée ». Il dévoilait aussi que 14 membres d’une équipe médicale avaient été contaminés par un seul patient. Répondant à l’animateur Bai Yansong dans son émission télévisée « News 1+1 », il déconseillait aux habitants de quitter Wuhan ou de s’y rendre. [Le Dr Zhong aurait également poussé pour mettre la ville en quarantaine].

La réapparition de Zhong sur la scène publique donnait instantanément un autre ton à la situation. Rappeler le vieil homme avait à la fois pour but d’alerter la population mais aussi de l’assurer de la transparence des autorités grâce à sa légitimité gagnée lors du SRAS en 2003. Un internaute plaignait le professeur : « c’est toujours à lui que revient la tâche d’annoncer les mauvaises nouvelles à la nation ». Plus tard, le docteur Zhong était nommé à la tête d’un groupe de 13 experts.  

Tout juste revenu d’une visite officielle en Birmanie, le Président Xi Jinping donna ses premières directives officielles le 20 janvier. Dans la ligne du Président, la Commission Centrale Politique et Légale enfonçait le clou le 21 janvier : « toute tentative de dissimulation des informations serait punie par une mise au pilori pour 10 000 ans ». A Wuhan, cela n’empêcha pas les hauts cadres de se réunir lors d’un spectacle de fin d’année. Curieusement les journalistes présents dans la salle, relatèrent que les danseurs avaient donné le meilleur d’eux-mêmes pour offrir un beau show aux dirigeants « malgré leurs nez bouchés, frissons et autres gènes physiques ». [ Les photos de la soirée firent scandale après coup, donnant l’impression que les élites n’étaient pas du tout concernées par l’inquiétant virus qui prenait ses quartiers dans la ville ].

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase pour Zhang Ouya, journaliste au Hubei Daily, qui poussa un coup de gueule, appelant à la démission des dirigeants. Avant sa censure, son appel devint viral sur internet.

Le 23 janvier à 2h du matin, les autorités annonçaient subitement une mise en quarantaine de la mégalopole de Wuhan effective à 10h, seulement deux jours avant le Nouvel An chinois. Entretemps, ils furent nombreux à foncer à la gare ou l’aéroport, ou prendre la route, pour fuir…

Plus tard, le maire Zhou Xianwang reconnaissait que 5 millions avaient déjà quitté la ville depuis le début de l’épidémie, et que seuls 9 millions restaient enfermés. Quelques jours après, c’est toute la province du Hubei (près de 60 millions d’habitants – soit l’équivalent du Royaume-Uni), qui fermait ses portes.

Les déclarations du virologiste Guan Yi de l’Université de Hong Kong, jetèrent un froid le 23 janvier : après une visite de terrain à Wuhan avant la mise en quarantaine, il confiait au magazine Caixin sa peur de voir une ville très mal préparée. « Ce sera 10 fois pire que le SRAS », prédisait-il. Des vidéos émergèrent plus tard, d’hôpitaux débordés et sous-équipés, d’infirmières désespérées, de médecins surmenés, de malades refoulés…  Mais le message pessimiste de Guan, fut très mal reçu par un public chinois peu habitué à une telle franchise. Les médias officiels se lancèrent alors dans une cabale à son encontre, visant à le décrédibiliser. Son départ de Wuhan fut même comparé à une « défection ». D’autres allèrent jusqu’à affirmer que ce médecin avait une tendance avérée à exagérer les épidémies, ressortant ses commentaires alarmistes durant la grippe aviaire de 2013. Le journaliste de Caixin fut lui-même obligé de défendre son article : « entendre les opinions de différents experts est sain dans cette bataille contre l’épidémie ». 

En fin de compte, après avoir décortiqué la chronologie des premiers jours, on ne peut s’empêcher de constater qu’à l’inverse du SRAS, les autorités locales et nationales avaient les données en main en temps utile, grâce aux scientifiques. Toutefois, par hésitation ou par crainte des répercussions, elles ont préféré miser sur l’inaction – une stratégie dangereuse, à proscrire dans un contexte épidémique, dont on connait les conséquences aujourd’hui.

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