Editorial : La mémoire chinoise du « Covid-19 »

La mémoire chinoise du « Covid-19 »

Depuis la fin du « zéro Covid » il y a quelques mois, plus rien ne subsiste (ou presque) de cette politique qui a empiété sur les libertés de 1,4 milliard de Chinois pendant près de trois ans. La transition d’une période de contrôle sanitaire extrême à un laxisme généralisé s’est faite à une vitesse inouïe, comme c’est souvent le cas en Chine. Les stations de tests PCR qui trônaient à tous les coins de rue ont été démontées, les centres de quarantaines ont été réaffectés, les codes QR de santé qui conditionnaient les déplacements ont été désinstallés et même les masques ne sont plus obligatoires dans le métro ! A croire que le « zéro Covid » et les confinements drastiques qu’il a engendrés, n’existeront bientôt plus que dans les mémoires de ceux qui l’ont vécu…

Mais alors, que restera-t-il de cette période si singulière dans les livres d’histoire ? Lors d’un discours fin février, le Président Xi Jinping a déclaré que « la Chine a accompli un miracle dans l’histoire de la civilisation humaine, en sortant de la pandémie avec succès ». Le dirigeant a ajouté que les mesures imposées étaient « complètement correctes » et « basées sur des faits scientifiques ». Voilà ce dont le Parti veut que la population chinoise se souvienne.

La presse officielle joue un rôle important dans cet effort, affirmant que le leadership avait décidé d’abandonner la stratégie « zéro Covid » dès le 10 novembre – c’est-à-dire plusieurs jours avant les manifestations réclamant sa fin – et qu’il avait alloué suffisamment de ressources médicales pour faire face à une flambée des infections – ce qui était loin d’être le cas.

Pour que rien ne vienne contredire ce récit officiel, les autorités s’activent à censurer toute discussion « incorrecte » sur les réseaux sociaux, de l’impact psychologique de la politique « zéro Covid » sur les habitants aux commémorations du 1er anniversaire du confinement de Shanghai.

Le simple fait d’évoquer le « zéro Covid » serait-il devenu tabou ? Par précaution, certaines sociétés cotées en bourse se sont bien gardées de mentionner la situation sanitaire ou de nommer le virus dans leurs rapports financiers trimestriels. C’est notamment le cas des trois grandes compagnies aériennes chinoises (Air China, China Eastern, China Southern), qui n’ont pas osé citer la pandémie comme l’une des principales causes de leurs pertes. D’autres groupes ont justifié leurs mauvais résultats en invoquant un « incident de santé publique inattendu » ou encore « un événement imprévisible ».

Les autorités veillent également à effacer toute donnée compromettante. C’est ainsi que les administrations locales d’une trentaine de provinces, villes et districts, n’ont pas publié le nombre de décès qu’ils ont recensé durant le 4ème trimestre 2022, période qui correspond au raz-de-marée épidémique. Officiellement, Pékin ne reconnaît que 84 000 décès liés au coronavirus. Les experts étrangers, eux, tablent plutôt sur 1,5 million.

Mais même si le chiffre réel était amené à être dévoilé, il est peu probable que la population en veuille au gouvernement, puisque de son point de vue, il a réussi à faire mieux que le rival américain en maintenant un taux de mortalité inférieur… Pour autant, le discours de la population a bien changé : le triomphalisme qui a prévalu pendant trois ans, a laissé place à davantage d’humilité depuis la sortie précipitée du « zéro Covid », entraînant une vague mortelle, surtout chez les personnes âgées…

Ce n’est pas la première fois que Pékin réécrit ainsi l’histoire à son avantage. Par exemple, les jeunes Chinois n’ont aucune connaissance des évènements du printemps de Pékin et de sa fin tragique le 4 juin 1989. Et lorsqu’ils l’apprennent, la plupart d’entre eux se raccrochent à la version officielle, à savoir que ce soulèvement venait « troubler l’ordre public », raison pour laquelle il devait être réprimé, sans savoir qu’il s’agissait en fait d’un mouvement pacifique

Certes, l’époque a changé, mais la stratégie reste la même. Plus récemment, des efforts similaires ont été déployés à Wuhan pour tenter de faire oublier les nombreux drames qui ont eu lieu dans la ville qui a vu naître le virus. Trois ans plus tard, qui s’en souvient ? Qui s’y intéresse ? En privé, personne n’a envie de s’appesantir sur les épreuves subies et chacun cherche plutôt à tourner la page, à passer à autre chose… Une résilience somme toute très chinoise. Et cela tombe bien, le gouvernement, lui aussi, est davantage occupé à regagner la confiance de la population en relançant l’économie qu’à reconnaître ses erreurs de gouvernance. Mais quiconque oublie son passé n’est-il pas condamné à le revivre ?

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