Agriculture : Devenir un grand semencier, le vieux rêve de Pékin

Devenir un grand semencier, le vieux rêve de Pékin

Historiquement, depuis l’établissement de la République Populaire de Chine, les « semencières » chinoises étaient des unités agricoles de production spécialisées, implantées dans chaque canton et chargées de fournir des semences aux agriculteurs de la meilleure qualité possible. Encadrées par des membres du Parti, peu ou pas formés à cet objectif, les semencières ont longtemps livré aux paysans des semences, souvent mal stockées, d’une qualité insuffisante dont ils ne pouvaient que se contenter.

Dès 1978, Deng Xiaoping initia de grandes réformes dans l’agriculture attribuant des lopins de terre aux paysans et autorisant une rémunération de ceux-ci liée aux résultats de leur travail. Ouvrant ensuite l’économie chinoise aux investissements étrangers tout en maintenant un système politique autoritaire, la Chine est passée en quelques décennies d’une économie quasiment autarcique à une économie de marché plus ou moins ouverte aux marchés mondiaux. La plupart des grands semenciers étrangers d’alors (Monsanto, Pioneer, Syngenta, Sakata, Limagrain, KWS et d’autres de moindre importance), eux-mêmes obtenteurs, ouvrirent dans les années 1980-2000 des joint-ventures ou des filiales propres en Chine.

En quelques années, la messe était dite. Dès 2005, les paysans chinois constatant que les semences d’origines étrangères étaient d’une qualité constante, très supérieure à celle des « semencières », se sont détournées de ces dernières, à l’exception des secteurs du blé, du colza, du riz et du soja où quelques scientifiques du secteur public (Yuan Longping, He Zhonghu et de rares autres), soutenus par leur gouvernement, ont su maintenir une génétique chinoise de haut niveau.  

Ainsi en maïs, espèce si importante pour le développement de la consommation de viande et de produits laitiers, alors en plein développement dans le pays, la génétique étrangère surpassait celle des instituts chinois. Idem en betterave, graminées fourragères, luzerne, sorgho et surtout en espèces potagères, si importantes dans l’alimentation autochtone.

A cette « gifle idéologique », le Parti a répondu de diverses manières.

D’abord en tolérant longtemps le vol de la génétique étrangère, et même parfois en l’organisant via ses ambassades à l’étranger. A titre d’exemple, en 2012, le FBI a intercepté trois Chinois qui tentaient de quitter le pays en emportant des maïs brevetés.

Ensuite, en laissant « copier » la génétique étrangère en Chine par certains instituts ou des sociétés privées, puis en faisant traîner les plaintes étrangères, tout en accumulant les contraintes légales sur la présence de semenciers étrangers en Chine pour les affaiblir.

Enfin, en rachetant en 2017 au prix fort (43,8 milliards de $), le semencier et chimiste suisse, très international Syngenta, puis l’année suivante Nidera Seeds, actif en Argentine et au Brésil.

Plus récemment, la Chine s’est mise à développer un très grand nombre de brevets en séquençage, génomique et édition de gènes, et a finalement accepté en 2021, de mieux protéger les sélectionneurs présents en Chine par une loi qui introduit le concept de « variétés essentiellement dérivées » (VED), que certains critiquent pour leur manque d’innovation.

Aux termes de ces atermoiements, le Parti est loin d’avoir redressé la barre en ce secteur. Depuis deux ans, le ministère de l’Agriculture a annulé l’enregistrement de plus de 800 variétés et hybrides précédemment enregistrés, en reconnaissant que ces produits étaient des copies illégales de semences réputées, et de facto qu’il était incapable, du fait de corruptions diverses y compris en son sein, d’enrayer une bonne fois pour toutes la vente de semences contrefaites, dont les fruits et légumes inondent les marchés chinois.

Pire, sur les 7300 sélectionneurs chinois officiellement répertoriés par cette administration, selon le magazine d’état China Newsweek, à peine 100 disposent de moyens suffisants en R&D pour être reconnus comme créateurs crédibles de variétés et seulement 15 disposent d’actifs nets de plus d’un milliard de yuans, soit 130 millions d’euros.

Xi Jinping visite un laboratoire d’analyse des semences à Sanya (avril 2022)

Dans ces conditions, le 12 avril 2022, le président Xi Jinping a souligné que « la sécurité alimentaire de la Chine ne peut être sauvegardée que lorsque les ressources alimentaires sont fermement détenues dans nos mains. […] Afin d’assurer l’autosuffisance et un meilleur contrôle des ressources en semences dans notre pays, l’autonomie doit être accomplie dans la technologie des semences ». Son entourage pourrait peut-être lui rappeler que le repli des Ming sur eux-mêmes après le règne de l’empereur Yongle (1402-1424) conduisit inéluctablement à l’affaiblissement de cette dynastie et à son remplacement par les Qing…

Il n’en est pas moins que pour tout pays, l’importance des semences est stratégique car elles sont à la base de toutes les chaînes de production agricole. Si le succès des riz hybrides de feu Yuan Longping sont indéniables et se poursuivent, ils ne pourront être indéfiniment l’arbre qui cache la forêt de l’état déplorable du secteur semencier chinois.

En raison des tensions géopolitiques croissantes entre la Chine et l’Occident, le Parti n’a d’ailleurs plus guère d’opportunités majeures d’acquisitions semencières à l’étranger. Il ne hissera son activité semencière au niveau international, avec toute l’influence géopolitique que cela pourrait lui donner, que s’il est capable de maîtriser ses démons intérieurs, de mieux concentrer ses efforts de création variétale et de ne pas couper ses chercheurs de projets internationaux de recherche à long terme. Une partie qui est loin d’être gagnée d’avance.

Par Alain P. Bonjean

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