Le Vent de la Chine Numéro 15 (2023)

du 23 avril au 6 mai 2023

Editorial : La mémoire chinoise du « Covid-19 »
La mémoire chinoise du « Covid-19 »

Depuis la fin du « zéro Covid » il y a quelques mois, plus rien ne subsiste (ou presque) de cette politique qui a empiété sur les libertés de 1,4 milliard de Chinois pendant près de trois ans. La transition d’une période de contrôle sanitaire extrême à un laxisme généralisé s’est faite à une vitesse inouïe, comme c’est souvent le cas en Chine. Les stations de tests PCR qui trônaient à tous les coins de rue ont été démontées, les centres de quarantaines ont été réaffectés, les codes QR de santé qui conditionnaient les déplacements ont été désinstallés et même les masques ne sont plus obligatoires dans le métro ! A croire que le « zéro Covid » et les confinements drastiques qu’il a engendrés, n’existeront bientôt plus que dans les mémoires de ceux qui l’ont vécu…

Mais alors, que restera-t-il de cette période si singulière dans les livres d’histoire ? Lors d’un discours fin février, le Président Xi Jinping a déclaré que « la Chine a accompli un miracle dans l’histoire de la civilisation humaine, en sortant de la pandémie avec succès ». Le dirigeant a ajouté que les mesures imposées étaient « complètement correctes » et « basées sur des faits scientifiques ». Voilà ce dont le Parti veut que la population chinoise se souvienne.

La presse officielle joue un rôle important dans cet effort, affirmant que le leadership avait décidé d’abandonner la stratégie « zéro Covid » dès le 10 novembre – c’est-à-dire plusieurs jours avant les manifestations réclamant sa fin – et qu’il avait alloué suffisamment de ressources médicales pour faire face à une flambée des infections – ce qui était loin d’être le cas.

Pour que rien ne vienne contredire ce récit officiel, les autorités s’activent à censurer toute discussion « incorrecte » sur les réseaux sociaux, de l’impact psychologique de la politique « zéro Covid » sur les habitants aux commémorations du 1er anniversaire du confinement de Shanghai.

Le simple fait d’évoquer le « zéro Covid » serait-il devenu tabou ? Par précaution, certaines sociétés cotées en bourse se sont bien gardées de mentionner la situation sanitaire ou de nommer le virus dans leurs rapports financiers trimestriels. C’est notamment le cas des trois grandes compagnies aériennes chinoises (Air China, China Eastern, China Southern), qui n’ont pas osé citer la pandémie comme l’une des principales causes de leurs pertes. D’autres groupes ont justifié leurs mauvais résultats en invoquant un « incident de santé publique inattendu » ou encore « un événement imprévisible ».

Les autorités veillent également à effacer toute donnée compromettante. C’est ainsi que les administrations locales d’une trentaine de provinces, villes et districts, n’ont pas publié le nombre de décès qu’ils ont recensé durant le 4ème trimestre 2022, période qui correspond au raz-de-marée épidémique. Officiellement, Pékin ne reconnaît que 84 000 décès liés au coronavirus. Les experts étrangers, eux, tablent plutôt sur 1,5 million.

Mais même si le chiffre réel était amené à être dévoilé, il est peu probable que la population en veuille au gouvernement, puisque de son point de vue, il a réussi à faire mieux que le rival américain en maintenant un taux de mortalité inférieur… Pour autant, le discours de la population a bien changé : le triomphalisme qui a prévalu pendant trois ans, a laissé place à davantage d’humilité depuis la sortie précipitée du « zéro Covid », entraînant une vague mortelle, surtout chez les personnes âgées…

Ce n’est pas la première fois que Pékin réécrit ainsi l’histoire à son avantage. Par exemple, les jeunes Chinois n’ont aucune connaissance des évènements du printemps de Pékin et de sa fin tragique le 4 juin 1989. Et lorsqu’ils l’apprennent, la plupart d’entre eux se raccrochent à la version officielle, à savoir que ce soulèvement venait « troubler l’ordre public », raison pour laquelle il devait être réprimé, sans savoir qu’il s’agissait en fait d’un mouvement pacifique

Certes, l’époque a changé, mais la stratégie reste la même. Plus récemment, des efforts similaires ont été déployés à Wuhan pour tenter de faire oublier les nombreux drames qui ont eu lieu dans la ville qui a vu naître le virus. Trois ans plus tard, qui s’en souvient ? Qui s’y intéresse ? En privé, personne n’a envie de s’appesantir sur les épreuves subies et chacun cherche plutôt à tourner la page, à passer à autre chose… Une résilience somme toute très chinoise. Et cela tombe bien, le gouvernement, lui aussi, est davantage occupé à regagner la confiance de la population en relançant l’économie qu’à reconnaître ses erreurs de gouvernance. Mais quiconque oublie son passé n’est-il pas condamné à le revivre ?


Automobile : Coup d’accélérateur pour constructeurs (électriques) chinois
Coup d’accélérateur pour constructeurs (électriques) chinois

Angles vifs, arêtes saillantes, flancs creusés et couleur jaune citron… Au salon de l’auto de Shanghai (18 au 27 avril), il fallait jouer des coudes pour apercevoir la « Seagull » (« Mouette » en français), mini-citadine électrique présentée par son constructeur BYD au prix très compétitif de 78 000 yuans (10 000 euros) et bientôt commercialisée en Europe. Quelques mètres plus loin, les modèles présentés par BMW étaient loin de susciter le même intérêt chez les milliers de visiteurs présents ce jour-là…

Ce désamour de la marque allemande illustre bien la perte de vitesse des constructeurs automobiles traditionnels dans la course à l’électrique par rapport à leur concurrents chinois. Un scénario quasi-impensable il y a encore quelques années.

Premier marché automobile mondial avec 23 millions de véhicules vendus en 2022, la Chine est rapidement devenue le pays où l’électrification a pris le plus d’avance, notamment grâce à un ambitieux plan de développement de la filière menée tambour battant par le gouvernement et longtemps assorti de généreuses subventions à la production et à l’achat.

Aujourd’hui, 80 % des véhicules à énergies nouvelles vendues en Chine sont de marques locales. Signe des temps, BYD, le constructeur de Shenzhen qui avait commencé par produire des batteries puis des bus électriques, est devenu au 1er trimestre le plus gros vendeur de voitures en Chine, mettant fin à deux décennies de domination de Volkswagen.

Hier encore toisés par les constructeurs traditionnels, les constructeurs chinois tels que Nio, Xpeng ou Li Auto sont devenus en l’espace de quelques années seulement de sérieux concurrents qui n’ont plus à rougir de leur qualité et ne cessent de grappiller des parts de marché.

Leurs points forts ? Un design souvent séduisant, une priorité donnée à l’expérience utilisateur, des prix attractifs et des temps de développement jusqu’à deux fois plus courts que les constructeurs traditionnels, leur permettant de mettre sur le marché de nouveaux modèles en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire.

Une stratégie payante auprès de clients chinois toujours avides de nouveautés, comme le démarrage du véhicule sur smartphone ou encore le déverrouillage des portières par reconnaissance faciale (cf photo). Et ce n’est qu’un début : la Chine ambitionne d’augmenter les ventes de véhicules « intelligents » de façon à ce qu’ils représentent 30% des ventes totales en 2025.

Pour rester dans la course sur ce marché extrêmement concurrentiel, Volkswagen a annoncé un investissement d’un milliard d’euros dans un nouveau centre de R&D pour véhicules électriques à Hefei (Anhui). Opérationnel en 2024, il aura pour objectif de réduire le temps de développement de nouveaux modèles et technologies de 30%.

Autre tactique employée par Tesla cette fois : faute d’avoir de nouveaux modèles à présenter (peut-être la raison de son absence à ce salon de l’auto), la firme d’Elon Musk s’est décidée à casser ses prix. La baisse est telle que les Tesla vendues en Chine et produites dans sa « gigafactory » shanghaienne sont désormais 30 % moins chères que celles écoulées aux Etats-Unis.

De peur de perdre des parts de marché, la plupart des autres constructeurs n’ont eu d’autres choix que de consentir à leur tour à des réductions allant jusqu’à 40%. Du jamais vu ! Constructeurs chinois comme étrangers, véhicules électriques comme à essence, luxe comme entrée de gamme, tous sont concernés.

Face à cette inquiétante bataille commerciale, l’association des constructeurs automobiles de Chine a appelé, fin mars, les entreprises à se montrer « raisonnables » dans leurs remises tarifaires. Sans être entendue…

Or, si cette « guerre des prix » perdure, bon nombre de petits constructeurs pourraient bien ne pas avoir les reins assez solides pour survivre. Actuellement, il existe environ 120 constructeurs chinois de véhicules électriques, mais seulement 20 dépassent les 50 000 unités et seul BYD (et Tesla) réalise des profits.

Elle pourrait également pousser vers la sortie des marques étrangères ayant trop tardé à prendre le virage de l’électrique… Car chacun sait que peu importe le secteur, le manque de réactivité se paie au prix fort en Chine.


Agriculture : Devenir un grand semencier, le vieux rêve de Pékin
Devenir un grand semencier, le vieux rêve de Pékin

Historiquement, depuis l’établissement de la République Populaire de Chine, les « semencières » chinoises étaient des unités agricoles de production spécialisées, implantées dans chaque canton et chargées de fournir des semences aux agriculteurs de la meilleure qualité possible. Encadrées par des membres du Parti, peu ou pas formés à cet objectif, les semencières ont longtemps livré aux paysans des semences, souvent mal stockées, d’une qualité insuffisante dont ils ne pouvaient que se contenter.

Dès 1978, Deng Xiaoping initia de grandes réformes dans l’agriculture attribuant des lopins de terre aux paysans et autorisant une rémunération de ceux-ci liée aux résultats de leur travail. Ouvrant ensuite l’économie chinoise aux investissements étrangers tout en maintenant un système politique autoritaire, la Chine est passée en quelques décennies d’une économie quasiment autarcique à une économie de marché plus ou moins ouverte aux marchés mondiaux. La plupart des grands semenciers étrangers d’alors (Monsanto, Pioneer, Syngenta, Sakata, Limagrain, KWS et d’autres de moindre importance), eux-mêmes obtenteurs, ouvrirent dans les années 1980-2000 des joint-ventures ou des filiales propres en Chine.

En quelques années, la messe était dite. Dès 2005, les paysans chinois constatant que les semences d’origines étrangères étaient d’une qualité constante, très supérieure à celle des « semencières », se sont détournées de ces dernières, à l’exception des secteurs du blé, du colza, du riz et du soja où quelques scientifiques du secteur public (Yuan Longping, He Zhonghu et de rares autres), soutenus par leur gouvernement, ont su maintenir une génétique chinoise de haut niveau.  

Ainsi en maïs, espèce si importante pour le développement de la consommation de viande et de produits laitiers, alors en plein développement dans le pays, la génétique étrangère surpassait celle des instituts chinois. Idem en betterave, graminées fourragères, luzerne, sorgho et surtout en espèces potagères, si importantes dans l’alimentation autochtone.

A cette « gifle idéologique », le Parti a répondu de diverses manières.

D’abord en tolérant longtemps le vol de la génétique étrangère, et même parfois en l’organisant via ses ambassades à l’étranger. A titre d’exemple, en 2012, le FBI a intercepté trois Chinois qui tentaient de quitter le pays en emportant des maïs brevetés.

Ensuite, en laissant « copier » la génétique étrangère en Chine par certains instituts ou des sociétés privées, puis en faisant traîner les plaintes étrangères, tout en accumulant les contraintes légales sur la présence de semenciers étrangers en Chine pour les affaiblir.

Enfin, en rachetant en 2017 au prix fort (43,8 milliards de $), le semencier et chimiste suisse, très international Syngenta, puis l’année suivante Nidera Seeds, actif en Argentine et au Brésil.

Plus récemment, la Chine s’est mise à développer un très grand nombre de brevets en séquençage, génomique et édition de gènes, et a finalement accepté en 2021, de mieux protéger les sélectionneurs présents en Chine par une loi qui introduit le concept de « variétés essentiellement dérivées » (VED), que certains critiquent pour leur manque d’innovation.

Aux termes de ces atermoiements, le Parti est loin d’avoir redressé la barre en ce secteur. Depuis deux ans, le ministère de l’Agriculture a annulé l’enregistrement de plus de 800 variétés et hybrides précédemment enregistrés, en reconnaissant que ces produits étaient des copies illégales de semences réputées, et de facto qu’il était incapable, du fait de corruptions diverses y compris en son sein, d’enrayer une bonne fois pour toutes la vente de semences contrefaites, dont les fruits et légumes inondent les marchés chinois.

Pire, sur les 7300 sélectionneurs chinois officiellement répertoriés par cette administration, selon le magazine d’état China Newsweek, à peine 100 disposent de moyens suffisants en R&D pour être reconnus comme créateurs crédibles de variétés et seulement 15 disposent d’actifs nets de plus d’un milliard de yuans, soit 130 millions d’euros.

Xi Jinping visite un laboratoire d’analyse des semences à Sanya (avril 2022)

Dans ces conditions, le 12 avril 2022, le président Xi Jinping a souligné que « la sécurité alimentaire de la Chine ne peut être sauvegardée que lorsque les ressources alimentaires sont fermement détenues dans nos mains. […] Afin d’assurer l’autosuffisance et un meilleur contrôle des ressources en semences dans notre pays, l’autonomie doit être accomplie dans la technologie des semences ». Son entourage pourrait peut-être lui rappeler que le repli des Ming sur eux-mêmes après le règne de l’empereur Yongle (1402-1424) conduisit inéluctablement à l’affaiblissement de cette dynastie et à son remplacement par les Qing…

Il n’en est pas moins que pour tout pays, l’importance des semences est stratégique car elles sont à la base de toutes les chaînes de production agricole. Si le succès des riz hybrides de feu Yuan Longping sont indéniables et se poursuivent, ils ne pourront être indéfiniment l’arbre qui cache la forêt de l’état déplorable du secteur semencier chinois.

En raison des tensions géopolitiques croissantes entre la Chine et l’Occident, le Parti n’a d’ailleurs plus guère d’opportunités majeures d’acquisitions semencières à l’étranger. Il ne hissera son activité semencière au niveau international, avec toute l’influence géopolitique que cela pourrait lui donner, que s’il est capable de maîtriser ses démons intérieurs, de mieux concentrer ses efforts de création variétale et de ne pas couper ses chercheurs de projets internationaux de recherche à long terme. Une partie qui est loin d’être gagnée d’avance.

Par Alain P. Bonjean


Chiffres de la semaine : « 29 morts, 1,4286 milliard d’habitants, des billets d’avion 80% plus chers » 
« 29 morts, 1,4286 milliard d’habitants, des billets d’avion 80% plus chers » 

29 : c’est le nombre de personnes qui ont trouvé la mort dans un incendie accidentel (cf photo) d’un hôpital privé de 130 lits, situé dans l’ouest de Pékin (Fengtai). Ce bilan provisoire en fait l’incendie le plus meurtrier de la capitale depuis celui d’un cybercafé qui avait tué 25 étudiants en 2002. Douze personnes, dont le directeur de l’hôpital et des employés de l’entreprise chargée de travaux de rénovation dans le bâtiment qui a pris feu, ont été arrêtées. De tels drames sont malheureusement assez courants en Chine, en raison de normes de sécurité insuffisantes et de la corruption des responsables chargés de les faire respecter. 

Cette fois-ci, les internautes se sont indignés en apprenant que la plupart des patients décédés étaient en fait des personnes âgées grabataires que l’hôpital s’était mis à accueillir en ses locaux pour arrondir les fins de mois durant la pandémie. Leur triste sort a attiré l’attention du public sur les difficultés auxquelles font face les familles pour prendre soin de leurs proches qui vieillissent. En 2016, le gouvernement avait estimé que le pays recenserait 42 millions de personnes âgées dépendantes en 2020 pour seulement 1,58 million de lits. Or, à ce jour, seulement 1 personne sur 5 nécessitant des soins infirmiers, ont accès à ce type de services. Il y a urgence : les personnes âgées en perte d‘autonomie pourraient atteindre les 100 millions en 2030.

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1,4286 milliard : c’est la taille de la population indienne mi-2023 selon des estimations de l’ONU, dépassant la Chine de quelques millions d’âmes. Être le pays le plus peuplé au monde a longtemps été une source de fierté pour les Chinois. C’est pourquoi le gouvernement a cherché à minimiser la perte de cette place de n°1, arguant que le « dividende démographique d’un pays ne dépend pas uniquement de la quantité (la population totale) mais aussi de la qualité (les compétences) ». Cette nouvelle reflète le vieillissement de la population chinoise et la baisse de la taille de sa population active, ce qui pourrait menacer la croissance économique si Pékin ne prend pas les mesures adéquates.

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80% : en moyenne, les vols depuis la Chine à destination de l’Europe sont 80% plus chers qu’avant la pandémie, selon la firme ForwardKeys. En cause, le manque de vols reliant le Vieux Continent à l’Empire du Milieu. Le constat est le même pour de nombreuses autres destinations, freinant ainsi le retour des touristes chinois à l’étranger. Selon les chiffres de l’administration chinoise de l’aviation civile (CAAC), le trafic aérien à l’international a seulement retrouvé 12,4% de son niveau d’avant la pandémie durant le 1er trimestre 2023. Plusieurs indicateurs signalent néanmoins une reprise progressive, comme le nombre de réservations de voyages groupés à l’étranger en hausse de 157% pour la fête du travail (29 avril – 3 mai), d’après la plateforme Trip.com. La situation est nettement plus encourageante pour les vols domestiques, qui eux ont déjà retrouvé 88,6% de leur niveau de 2019.


Petit Peuple : Wenzhou (Zhejiang) – Le rendez-vous des vieilles dames indignes
Wenzhou (Zhejiang) – Le rendez-vous des vieilles dames indignes

Un jour d’avril 2014 à Wenzhou (Zhejiang), pour la 5ème fois en trente minutes, Mamie Chen regarda sa montre : 15h30, Dieu, que les jours passaient lentement ! Dans sa morosité, elle en oubliait le confort de sa villa dans le quartier résidentiel de Lucheng, payée par ses enfants qui avaient bien réussi dans les affaires. 

Comme les gens de son âge, elle s’éveillait aux aurores. Elle tentait de se rendormir, et se forçait à ne se lever qu’à 9h30, pour avaler sans entrain le bol de « zhou » (soupe de riz). Ce matin à 11h, comme chaque semaine, elle s’était rendue chez le coiffeur. À 13h, elle était de retour à la maison. Il en allait de même tous les jours de sa vie depuis que son brave mari s’en était allé rejoindre ses ancêtres. Elle était si seule ! 

Son fils qui habitait ailleurs en ville, n’allait la voir qu’au Chunjie, sans mauvaise conscience puisqu’il payait les factures. Quant à sa belle-fille, elle ne lui confiait que 3 fois l’an son petit-fils, quand ils partaient en vacances. Les après-midis d’été, elle les passait au parc avec d’autres de son âge, à papoter autour des machines de gym. L’hiver, elle restait devant la télé jusqu’au soir… 

Si aujourd’hui, elle regardait sans cesse sa montre, telle une jeunette avant son premier rendez-vous, c’était que dans deux heures, débutait un passe-temps inespéré : la fête d’anniversaire de Mamie Liang, sa voisine aux cheveux rares et blancs. Il y aurait des biscuits, du vin jaune « et une surprise », avait ajouté la malicieuse amie, ravie de la faire bisquer d’impatience, sans rien trahir de son secret. Sans doute jouerait-on au mah-jong, et entonnerait-on une rengaine rouge du bon vieux temps… 

Or ce soir, Mamie Chen était loin d’imaginer la surprise manigancée par la voisine. En guise de vin, Mamie Liang avait apporté une carafe d’eau claire, dans laquelle elle avait dilué une poudre blanche comme neige, contenu d’un étrange flacon brun. Tour à tour, chacun(e) des invités reçut un dé à coudre qu’il (elle) absorba religieusement. 

Dix minutes après, la planète chavirait autour d’eux. Mamie Liang avait lancé des vieux tangos —ceux qu’ils dansaient le soir au parc. Les couples s’étaient formés, mais cette fois, ils évoluaient d’un pas plus fermes, plus passionnés même, se prenant au jeu, oubliant leur grand âge. En même temps, on se racontait des blagues, des souvenirs d’amours passés 40 ans en arrière. Tout le monde souriait complice, ou bien éclatait en rires stridents… 

Vers 23h, quand l’effet de la kétamine (car telle était la drogue qu’ils avaient prise) s’était estompé, Mamie Liang avait perçu 200 ¥ de chacun, « pour la prochaine fois ». « Mieux vaut, avait-elle ajouté d’un ton de conspiratrice, ne pas en parler. C’est nos affaires, et y comprendraient pas »… 

Le matin, Mamie Chen exultait : cela avait été sa plus belle soirée –de sacrée belle lurette ! Les 16 veuves, 2 veufs et le couple marié convinrent de refaire, chaque fois à un endroit différent, la « séance de gym »…

Ainsi tous les mois, ils s’amusèrent à huis clos entre têtes chenues, recréant une joie interdite. Ils étaient sereins, plus certains que jamais de leur bon droit. Toute leur vie, ils s’étaient pliés aux règles : jeunes, à celles de la révolution ; vieux, à celles du qu’en-dira-t-on pour les enfants. À présent, ils ne voulaient plus rien savoir : ayant cessé de se voir vieux, ils ne croyaient plus à leur mort. Et leurs familles ne soupçonnaient rien. 

Jusqu’au 8 janvier, au KTV de l’hôtel du Temple Hung, où ils dansaient sous la boule à facettes qui renvoyait aux quatre coins de la salle les reflets stroboscopiques, quand les battants de la porte s’ouvrirent avec fracas, laissant s’engouffrer 10 hommes en uniformes qui criaient d’un ton comminatoire : « Police ! Personne ne bouge ! ». 

Stupéfaits de l’âge des délinquants, les agents embarquèrent très doucement tout ce monde frêle, et posèrent les scellés à l’hôtel coupable. Bien embarrassés, les chefs eurent besoin d’une téléconférence pour trouver comment gérer un si rare scandale. Ils finirent par convoquer les enfants des 20 vieillards en prison. 

Sous les caméras de la télévision, ils leur firent la morale, leur remontrant qu’à l’avenir, il ne suffirait plus de financer les besoins matériels de leurs parents : un peu de présence, d’attention et d’amour était aussi nécessaire pour prévenir des dérapages aussi inouïs qu’évitables. Mais cet amour vital prescrit, quelle loi pourrait le quantifier, en fixer la dose ? La question ne fut pas posée. 

Derrière leurs barreaux, les vieux se tinrent cois. Ils connaissaient leur crime : s’être recréés pour eux seuls, leur « paradis imaginaire » (梦幻天堂 mènghuàn tiāntáng) !  Tant pour leurs héritiers que pour la société, la liberté que ces vieux avaient volée, était insupportable, une trahison, une transgression abominable. Faisant front commun, tous étaient soulagés d’y avoir mis un terme, pour faire revenir les choses à la normale.

Cet article a été publié pour la première fois le 18 juillet 2015 dans le Vent de la Chine – Numéro de l’été (2015)


Rendez-vous : Semaines du 24 avril au 21 mai
Semaines du 24 avril au 21 mai

15 avril – 5 mai, Canton (et Offline): China Import and Export Fair, Foire internationale d’import et d’export

18-27 avril, Shanghai : AUTO SHANGHAI, Salon international de l’industrie automobile

18-21 avril, Foshan : CERAMBATH, Salon chinois international de la céramique et des sanitaires

19-21 avril, Chongqing : CHINASHOP – China Retail Trade Fair, Salon dédié aux technologies et aux nouvelles solutions pour le commerce de détail

19-21 avril, Shanghai : IE EXPO, Salon international de la gestion et traitement de l’eau, du recyclage, du contrôle de la pollution atmosphérique et des économies d’énergie

26-28 avril, Pékin : CIENPI – China International Exhibition on Nuclear Power Industry, Salon chinois international de l’énergie nucléaire

6-8 mai, Pékin : CIFE – China High-End Import Food Exhibition, Salon international de l’agroalimentaire

6-8 mai, Pékin : CHINA MED, Salon des équipements et des instruments médicaux

9-11 mai, Qingdao : PHARMCHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

10-12 mai, Canton : Asia Digital Display & Showcase Expo, Salon asiatique de l’affichage numérique et de la vitrine

10-12 mai, Canton : AAA – Asia Amusement & Attractions Expo, Salon des parcs d’attractions d’Asie

10-12 mai, Canton : Asian Flower Industry Expo, Salon asiatique de l’industrie des fleurs et de l’arboriculture

10-12 mai, Pékin : CISILE – China International Scientific Instrument and Laboratory Equipment Exhibition, Salon chinois international des instruments scientifiques et des équipements de laboratoire

10-12 mai, Shenzhen : Motor & Magnetic Expo, Salon international des petits moteurs, des machines électriques et des matériaux magnétiques

11-14 mai, Tianjin : CIEX, Salon international de l’automation, de la robotique et de la machine-outil

11-14 mai, Yantai : Yantai Equipment Manufacturing Industry Exhibition, Salon des équipements pour l’industrie manufacturière

12-14 mai, Shanghai : China Beauty Expo, Salon asiatique international de la beauté

14-17 mai, Shenzhen : CMEF – China Medical Equipment Fair, Salon chinois international des équipements médicaux

15-17 mai, Canton : ADE – Asian Dairy Expo, Salon asiatique des produits laitiers

18-20 mai, Chengdu : CAPAS, Salon international des pièces automobiles et du service après-vente

18-20 mai, Chengdu : CAHE – China Animal Husbandry Exhibition, Rencontre internationale pour les professionnels de l’élevage en Chine

18-20 mai, Canton : China International Metal & Metallurgy Exhibition, Salon international spécialisé dans le métal et la métallurgie

18-20 mai, Shanghai: SIAL China, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux

18-21 mai, Zhengzhou: ZIF, Salon international des équipements industriels

19-21 mai, Canton: Guangzhou International Travel Fair, Salon international du voyage