Politique : Le leader du peuple fait profil bas

D’ordinaire, les désastres sont l’occasion pour les dirigeants de montrer leur caractère empathique en se montrant proche du peuple. Or, le fait que le Président Xi Jinping ne fasse pas d’apparition publique pendant presque deux semaines (sauf pour accueillir les leaders étrangers comme le Directeur général de l’OMS le 28 janvier ou le Premier ministre cambodgien Hun Sen le 5 février), laissait libre cours à la spéculation. En effet, Xi semble avoir conscience du désavantage de concentrer autant de pouvoirs : en tant que « leader du peuple » , difficile d’échapper à toute responsabilité lorsqu’une situation devient hors contrôle. C’est en partie pour cette raison qu’il ne se montre pas trop impliqué dans les efforts de terrain. 

En tant que « cœur » (核心, héxīn) du Parti, il doit également être préservé physiquement en ne s’exposant pas au virus. Certaines rumeurs voudraient que les dernières réunions du Comité Permanent se soient déroulées en vidéoconférences. En effet, le Premier ministre Li Keqiang s’est rendu sur le terrain le 27 janvier. Pas question donc de prendre le risque de contaminer les autres leaders, ni de montrer au reste du pays que le COVID-19 affecte le mode de fonctionnement de la plus haute instance du pays.

Mais son retrait de la vie publique ne passa pas inaperçu. Certains internautes se demandèrent : « où est cette personne (Xi Jinping) » ? Ils postèrent également des photos de précédents leaders sur le terrain. Ce vent de contestation, ajouté à celui de colère provoqué par le décès du lanceur d’alerte Li Wenliang, forçait le Président Xi à mettre pour la première fois son masque en public, le 10 février. Il alla à la rencontre d’une communauté résidentielle et visita l’hôpital des maladies infectieuses de Ditan à Pékin (cf photo). A cette occasion, il appelait les médias officiels à « mieux partager l’inquiétude du leadership pour les personnes affectées et le personnel médical affrontant le virus ». Et pour dissiper tout soupçon d’absentéisme, Xi Jinping était présenté comme« le commandeur de cette ‘guerre du peuple’ contre l’épidémie ». 

Plus étonnant, un discours d’une réunion du Comité Permanent le 3 février, publié le 15 février dans le magazine du Parti Qiushi, dévoilait que Xi Jinping avait ordonné de contenir l’épidémie dès le 7 janvier (bien avant ses premières directives publiques du 20 janvier). Il reconnaissait aussi avoir autorisé lui-même la mise en quarantaine de Wuhan. En se justifiant ainsi, Xi semblait répondre à l’accusation portée par le maire de Wuhan à la télévision, selon laquelle il n’a fait qu’attendre les ordres de Pékin pour agir. Dévoiler cette information est une stratégie risquée pour Xi puisqu’il reconnait ainsi avoir eu connaissance de la situation dès les premiers jours, mais que rien n’a été fait les deux semaines suivantes… Mais Xi espère que cela suffira à faire taire les critiques (de sa population et des observateurs étrangers) et à dégager sa responsabilité et celle du gouvernement central, en soulignant que ses ordres n’ont pas été respectés par les cadres provinciaux et locaux… 

Cette déclaration confirme le fait que Xi gouverne dans l’ombre depuis le début de la crise – une stratégie employée par Mao ou Deng Xiaoping. Une implication qu’il partageait avec le Directeur de l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui se disait, le 28 janvier, « impressionné par sa connaissance de la situation et par son implication personnelle, démontrant une capacité de leadership très rare ». Pourtant, le lendemain, la presse officielle chinoise transformait cette déclaration au profit d’une « gestion collective » de la crise. Choisir de souligner cette responsabilité partagée suggère que chaque échelon de la hiérarchie du Parti servira éventuellement de fusible pour éviter à l’étage supérieur de porter la responsabilité en cas de discrédit. 

C’est pour cette raison que le 24 janvier, Pékin créait un « petit groupe directeur », avec à sa tête le Premier ministre Li Keqiang, agissant « sous les ordres de Xi Jinping ». 48h plus tard, Li Keqiang débarquait à Wuhan pour une visite de terrain (26-27 janvier). Son rôle s’apparente fortement à celui de son prédécesseur, surnommé « papi » Wen (Jiaobao) pour son côté attendrissant. Le Premier ministre n’en est pas à sa première crise sanitaire : à son arrivée dans le Henan en 1998, il tentait d’étouffer le scandale du sang contaminé au nom de la stabilité. En soutien, était assignée la vice-première ministre Sun Chunlan (en charge de la santé). Depuis son entrée en scène, Mme Sun est très active et impliquée sur le terrain : elle visite les hôpitaux, le CDC local, l’aéroport… Infatigable du haut de ses 70 ans, elle faisait des apparitions publiques à Wuhan le 22, 27, 30 janvier puis le 3 et 8 février.

Le point commun entre ces deux leaders envoyés sur la ligne de front ? Li et Sun doivent tous deux leur place à l’ancien Président Hu Jintao. Pour Xi Jinping, si l’opinion publique continue à remettre en cause le gouvernement, ils pourront devenir des dommages collatéraux sans affaiblir la garde rapprochée du Président.

Leur nomination s’accompagnait également du limogeage d’un grand nombre de cadres locaux ou provinciaux ayant failli à leur mission par leur gestion de la crise.

La première à tomber fut Tang Zhihong, Directrice de la Commission de Santé de la ville de Huanggang (Hubei), limogée le 30 janvier, après une interview télévisée où elle fut incapable de répondre à des questions simples comme le nombre de lits disponibles dans sa ville. Cinq jours plus tôt, ses efforts étaient encore loués dans le Hubei Daily. Sa chute ne fut que la première d’une longue liste. A Huanggang seule, 337 cadres de petit niveau furent punis pour leur mauvaise gestion de l’épidémie. Deux perdaient leur place pour avoir placé en quarantaine le père et le frère d’un enfant souffrant de paralysie cérébrale, provoquant sa mort, abandonné à son sort… Ce drame choquait beaucoup l’opinion.

Suivirent le vice-directeur de la Croix-Rouge du Hubei, Zhang Qin (4 février), et le directeur de la Commission de Santé de Hohhot (Mongolie Intérieure), Feng Xiaohong (9 février).

Le rythme s’accéléra avec l’arrivée au lendemain du décès du Li Wenliang le 6 février, des inspecteurs de la Commission Nationale de Supervision. Une décision rare qui démontre bien l’ampleur du raz-de-marée provoqué par la mort du jeune médecin. La mission des inspecteurs était d’enquêter sur l’affaire et de trouver des boucs émissaires. Ce qu’ils ne tardèrent pas à faire : le vice-Maire de Wuhan Chen Xiexin, et deux chefs de districts, Yu Song et Lin Wenshu étaient officiellement convoqués le 10 février.

En l’espace de cinq jours, quatre protégés de Xi Jinping étaient ensuite parachutés au Hubei, dont deux de la « nouvelle bande du Zhijiang » (cadres ayant travaillé avec Xi dans la province du Zhejiang).

-Le premier est Chen Yixin, Secrétaire général de la Commission Centrale Politique et Légale. Depuis l’arrivée de Xi au pouvoir, Chen a déjà été promu cinq fois. Cette fois, il était nommé le 8 février vice-Directeur du « groupe directeur »mené par Li Keqiang et Sun Chunlan. Son rôle sera de dire aux cadres quoi faire et comment le faire. Dès son arrivée, il exigeait que tous les malades soient hospitalisés au lieu d’être renvoyés chez eux. Chen n’est pas un inconnu à Wuhan, où il a passé 15 mois entre 2016 et 2018 en tant Secrétaire du Parti de Wuhan et vice-Secrétaire de la province. A l’époque, il dénonçait déjà des cadres fainéants et peu désireux de mieux faire…

-L’autre fidèle de Xi est Wang Hesheng, vice-patron de la Commission Nationale de la Santé, nommé membre du Comité Permanent du Hubei. Wang remplacera le secrétaire du Parti de la Commission de Santé de Wuhan, Liu Yingzi et son directeur Zhang Jin, en poste depuis novembre 2018. Depuis le début de la crise, Liu n’avait participé qu’à une seule conférence de presse, tandis que Zhang ne s’était pas montré… Dès son arrivée en poste, Wang promettait que le Hubei ne deviendrait pas un « nouveau Wuhan ».

-Le 12 février, c’était au tour du plus haut cadre provincial de sauter : le Secrétaire du Parti du Hubei Jiang Chaoliang était remplacé par le maire de Shanghai, Ying Yong. L’ex-maire se déclarait touché de la confiance que lui témoigne le gouvernement central et bien sûr Xi Jinping :  » cette lourde responsabilité sera un test majeur pour moi « . Cette nomination n’est pas anodine, Ying est un sérieux candidat au Bureau Politique. S’il gère correctement la crise, sa place sera assurée. 

-Le Secrétaire du Parti de Wuhan Ma Guoqiang, perdait aussi sa place, remplacé par Wang Zhonglin, venu de la ville de Jinan (Shandong).

Les deux seuls encore en sursis sont le gouverneur du Hubei, Wang Xiaodong, et le maire de Wuhan Zhou Xianwang, s’étant particulièrement illustré dans cette crise, mais pas pour les bonnes raisons… Lors d’une conférence le 27 janvier, Zhou portait lui son masque à l’envers. A ses côtés, Wang ne portait pas de masque, contrevenant ainsi à la règlementation. Autre maladresse : le gouverneur s’y reprenait à trois fois avant de donner le nombre exact de masques produits… S’ensuivit une interview télévisée du maire : « nous assumons notre décision de mettre en quarantaine la ville, et pour cela, le Secrétaire du Parti Ma Guoqiang et moi-même, sommes prêts à démissionner ». Zhou ajoutait : « Si nous n’avons pas communiqué plus tôt sur l’épidémie, c’est que nous n’avions pas eu l’autorisation de le faire du gouvernement central ». En rejetant aussi ouvertement la faute sur sa hiérarchie, le maire s’attirait les foudres de Pékin… Pourtant, à l’issue de l’interview, Zhou se félicitait de son intervention, estimant s’en être à 80% bien sorti, une arrogance qui ne fit qu’attiser la colère du public. Leurs jours sont donc comptés.

Ces chaises musicales ont pour objectif de rassurer le public que le gouvernement prend la crise très au sérieux, et que les responsables de cette catastrophe seront punis sans attendre. Le fait de procéder à ces nominations juste avant la révision (le 13 février) de la méthode de détermination du nombre de cas officiels (par radio du thorax) est censé faciliter la tâche à ces nouveaux cadres parachutés. Mais cela prouve surtout que le gouvernement cherche à limiter les dégâts pour le Parti. Ces limogeages et tentatives de justification seront-ils suffisants pour détourner la colère du public du gouvernement central et de Xi Jinping ? Rien n’est dit.

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1 Commentaire
  1. severy

    Aaaaaaaaah! Voilà du journalisme cousu main. Bravo!
    Alors, comme ça, ce bon Xi aurait donné l’ordre de s’occuper du virus le 7 janvier. En eût-il donné l’ordre le 7 décembre, il passerait volontiers pour un chef d’État digne de sa charge. Qu’il l’eût fait avant l’apparition de l’agent pathogène, il passerait pour un saint et un grand visionnaire. La propagande du régime tentera-t-elle le coup?

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