Défense : Nouvelle réforme du commandement de l’armée chinoise

Nouvelle réforme du commandement de l’armée chinoise

Costume révolutionnaire couleur kaki, air solennel, officiers en tenue d’apparat… Le 19 avril, Xi Jinping, président de la Commission Centrale Militaire (CMC), a participé à la cérémonie de remise des emblèmes aux commandants de la « Force de Soutien à l’Information » (FSI). Cette nouvelle composante stratégique sera chargée de collecter de l’intelligence via divers moyens (drones, IA, satellites…), les sécuriser et les partager rapidement aux différentes unités de combat. Outre Pacifique, elle pourrait être comparée au framework du département américain de la Défense, appelé « Joint All-Domain Command and Control » (JADC2), chargé du renseignement interarmées.

Deux autres composantes ont également été inaugurées ce jour-là : la « Force Aérospatiale », responsable de l’observation des systèmes anti-missiles ou encore des plateformes de surveillance satellitaires ; et la « Force Cyberspatiale », spécialiste – entre autres – du piratage informatique, de la guerre d’opinion publique et de la guerre psychologique. Ces trois forces viennent s’ajouter à la « Force Logistique » préexistante.

Toutes les quatre sont placées sous l’autorité directe de la CMC, quoiqu’un cran en dessous des quatre hauts commandements de l’APL, « Terre », « Air », « Mer » et « Missiles », qui répondent, eux aussi, aux ordres de la CMC. Les cinq « théâtres d’opérations », annoncés fin 2014 et découpés par zone géographique, (« Ouest », « Nord », « Centre », « Est », « Sud »), restent, eux, inchangés.

Pour parler en termes illustrés, si les divisions « Terre », « Air », « Mer » et « Missiles » peuvent être comparées aux poings de l’APL, la « Force Aérospatiale » serait alors ses yeux et ses oreilles, la « Force Cyber Spatiale » serait son système immunitaire (ou anti-virus), la « Force de Soutien à l’Information » serait son système nerveux, tandis que la CMC et les théâtres d’opération seraient le cerveau.

Ce remaniement de la structure de l’Armée Populaire de Libération (APL), intervient après la dissolution de la « Force de Soutien Stratégique » (FSS), composante qui a vu le jour sous Xi Jinping en 2015 et qui avait pour objectif de regrouper sous un même commandement différentes unités (guerre de l’espace, cyber-guerre …) cruciales à l’ère des nouvelles technologies de l’information. « A l’époque présentée par Xi Jinping comme “l’armée du futur”, la FSS est finalement devenue l’unité la plus éphémère de l’histoire de l’APL, démantelée après seulement 9 ans d’existence », commente Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius. Sa disparition est loin d’être anecdotique : la FSS représentait environ 10 à 12% des 2 millions de soldats en service actif de l’APL, soit davantage que la plupart des pays de l’OTAN (hors USA, Turquie, voire France).

Cette nouvelle vague de réorganisation de l’APL pose question : pourquoi revenir à un découpage qui existait déjà plus ou moins il y a une décennie et auquel Xi Jinping lui-même avait mis fin ? Les analystes avancent plusieurs hypothèses.

Avant tout, il est nécessaire de rappeler que cette refonte de l’APL intervient à quelques mois seulement d’un scandale d’ampleur ayant coûté leur place au ministre de la Défense, Li Shangfu, ainsi qu’à une dizaine d’officiers de la Force des Missiles, de la Force Logistique et de la Force de Soutien Stratégique, dont son propre commandant, Ju Qiansheng. Aucune explication à cette purge n’a été donnée à ce stade par l’appareil. Cependant, le motif le plus probable reste la corruption au milieu d’une profusion de fonds alloués aux achats d’équipements dédiés à la modernisation des forces armées.

Le fait que le PLA Daily insiste, dans un article commentant la création de la FSI daté du 20 avril, sur l’exigence de loyauté à Xi Jinping, laisse également entrevoir un problème de corruption « politique », c’est-à-dire de désaccord avec les vues stratégiques de Xi.

Ainsi, comme en 2015-2016, cette restructuration peut être interprétée comme une tentative de Xi de neutraliser certains éléments jugés « problématiques » en les retirant de leurs structures de commandement respectives. « Cette tactique des « chaises musicales » fonctionne uniquement lorsque l’on dispose d’un bassin illimité de talents, ce qui n’est pas le cas de Xi », précise Alex Payette.

Ainsi, les généraux Bi Yi et Li Wei, anciens nº2 et commissaire politique de la « Force de Soutien Stratégique », ont été maintenus à la FSI, ce qui laisse penser que l’anti-corruption ne serait pas l’unique motivation de cette réorganisation.

Une autre hypothèse qui permettrait d’expliquer ce remaniement au sein de l’APL est celle de l’incident du ballon espion en janvier 2023. A l’époque, un flottement entre le leadership et la FSS, alors chargé de l’acquisition du renseignement et en particulier de l’observation aérienne sous couvert de ballons météo, était apparu. C’est en tous cas ce que le Président Biden avait laissé entendre en juin 2023, quand il avait suggéré que Xi Jinping aurait été débordé par ses services qui ne l’auraient pas informé de la situation. « C’est un grand embarras pour les dictateurs. Quand ils ne savent pas ce qui se passe », avait alors taclé le locataire de la Maison Blanche. Cet épisode aurait pu pousser Xi Jinping et le leadership de la CMC à accélérer des projets de réforme de la FSS déjà en cours.

Enfin, une autre interprétation à donner à cette réorganisation est celle d’une « Force de Soutien Stratégique » qui n’avait jamais eu vocation à être définitive. Dès le départ, elle aurait été conçue comme une structure de transition afin d’offrir une plateforme aux forces spatiales, cybernétiques et d’informatisation pour qu’elles puissent suffisamment se développer avant de devenir des branches indépendantes. Avant même la dissolution de la FSS, plusieurs éléments semblaient indiquer que ces trois départements exerçaient déjà leurs fonctions relativement indépendamment de la FSS. Sous cette perspective, l’éclatement de la FSS ne doit pas nécessairement être perçu comme un échec pour Xi.  

Il est néanmoins trop tôt pour affirmer avec certitude ce que ce remaniement implique pour la capacité de l’APL à gagner des guerres. Une chose est sûre : Xi Jinping et la CMC auront désormais un contrôle plus direct de ces forces stratégiques. Mais cela va-t-il rendre l’APL plus efficace pour autant ? Si l’on estime que la principale difficulté de l’APL actuellement est son excès de bureaucratie et la multiplication de niveaux de commandement qui empêche toute action décisive de la part de ses dirigeants, alors oui, cette réorganisation pourrait bien être positive en termes d’efficacité au combat.

 « Mais compte tenu des mauvais choix en matière de nominations, de la nécessité d’une formation approfondie et de la campagne anticorruption toujours en cours dans les départements-clés de l’APL, il serait prudent de ne pas surestimer le rôle que ces unités pourraient jouer à l’avenir en cas de conflit », vient tempérer Alex Payette.

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