![Passé, présent, avenir des relations franco-chinoises](https://www.leventdelachine.com/wp-content/uploads/bfi_thumb/chirac-chine-big-e1715423880896-qo00jd49jnz1y14c6zqqk143bq75aajdojkf69i3u0.jpg?x58463)
Pour la première fois depuis 2019, le président Xi Jinping réalisait une visite d’État en France les 6 et 7 mai 2024. Le Chef de l’Etat chinois s’y rendait dans le but de commémorer le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine mais aussi pour aborder avec son homologue français, Emmanuel Macron, les grands dossiers internationaux, que ce soit la guerre russo-ukrainienne ou le conflit israélo-palestinien. Pour autant, avec cette visite d’Etat en France, un cycle de soixante années semblait symboliquement se terminer.
Rappelons que l’anniversaire de cette reconnaissance diplomatique renvoie à l’année 1964, c’est-à-dire à une époque où le Général de Gaulle, enfin débarrassé du fardeau colonial, essaie d’ouvrir une troisième voie. Les Chinois ont de leur côté rompu leurs relations avec l’URSS et cherchent également des appuis. Enfin, il existe depuis Bandung (1955), une volonté pour la Chine de se saisir du leadership tiers-mondiste qui serait dommageable pour les intérêts français en Afrique notamment. Or quel meilleur moyen d’en canaliser les dérives que de reconnaitre Pékin ? C’est en lui coupant l’herbe sous le pied que cette reconnaissance de la République populaire est alors envisagée. Et à cet impératif de politique extérieure correspond aussi un autre objectif : mieux contrôler cette jeunesse française d’extrême-gauche, déjà prompte à la révolte et en rupture de ban vis-à-vis du Parti communiste français.
Avec cette reconnaissance, c’est tout le romanesque d’une figure consensuelle, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles qui, symboliquement parlant, établi un lien imaginaire entre sa propre génération et cette jeunesse acquise aux idées révolutionnaires inspirées par Pékin, nouvelle Mecque du communisme international opposée à Moscou.
Last but not least, De Gaulle veut retrouver une plus grande latitude diplomatique par rapport à Washington qu’il a soutenu sans faillir durant la crise qui a opposé, deux ans plus tôt, le monde occidental aux Soviétiques avec la crise des missiles à Cuba. Il sait en outre que Pékin est en mesure de se doter de l’arme nucléaire. Comment peut-on ne pas reconnaître un pays qui a la bombe ? Comment peut-on ne pas reconnaître un pays qui est alors peuplé de 600 millions d’habitants ?
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Mao et Pompidou en 1973
Cette reconnaissance a été précédée de voyages effectués par un certain nombre de personnalités. Le couple Sartre-Beauvoir, mais aussi le parlementaire Edgard Faure ou l’acteur Gérard Philippe… Il existe alors une sympathie réelle des Français pour la Chine. Cette image plutôt favorable est liée à des relations déjà séculaires, qui ont été notamment soutenues sous l’Ancien Régime par la médiation des Jésuites. Elle contrebalance une image plus négative que colportent les anciens de l’Indochine, qui ont dû combattre des communistes vietnamiens aidés des Chinois, mais aussi le clergé catholique, qui jusqu’à l’instauration du régime communiste en 1949 possède sur le continent chinois des diocèses, ainsi que des biens immobiliers considérables dont la jouissance lui a été retirée à la suite de l’expulsion de ses missionnaires et de ses prêtres.
De Gaulle n’établit pas ces liens avec Pékin de gaieté de cœur pour autant. Il charge deux de ses fidèles, les généraux Pechkoff – le neveu de Maxime Gorki, rallié à la cause des Russes blancs puis celle de la France Libre – et Guillermaz – sinologue, grand spécialiste du Parti communiste chinois et futur fondateur de ce qui deviendra à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) la première chaire des études chinoises contemporaines –, d’annoncer à Chiang Kaï-chek lui-même, alors réfugié à Taïwan, sa décision. Initiateur de la politique française de la reconnaissance d’« une seule Chine » (Pékin en l’occurrence) qui depuis soixante ans a été maintenue par Paris, il faut toutefois démystifier le poncif constamment rappelé par les Français et les Chinois selon lequel la France aurait été le premier pays occidental à reconnaître la République populaire de Chine. D’autres pays comme la Grande-Bretagne et la Suisse l’ont fait avant elle.
La Révolution culturelle en Chine brisera net et durant près de dix ans l’amorce de ce premier rapprochement avec la France. Il faudra attendre plusieurs décennies et les années Jacques Chirac / Jiang Zemin (cf photo) pour que la relation bilatérale connaisse à la fin du XX° siècle une véritable embellie et ce, après avoir surmonté une crise majeure : celle des répressions de Tiananmen (1989) et la vente d’armes à Taïwan (Mirages 2000 et frégates Lafayette) initiée par François Mitterrand.
Nouvel épisode de tensions en 2008, lorsque Nicolas Sarkozy rencontre le Dalaï Lama et que la flamme olympique se dirigeant vers Pékin est bousculée à Paris par des défenseurs des droits des Tibétains. Sarkozy dût attendre deux ans avant une nouvelle visite officielle en Chine, qui avait déjà à l’époque pour but de pousser la Chine à adopter des sanctions contre le développement nucléaire de l’Iran en échange de relations commerciales plus équilibrées.
Vœux pieu : Téhéran n’a aujourd’hui plus d’obstacle technique majeur à franchir sur la voie de l’arme nucléaire tandis que le déficit commercial avec la Chine n’a cessé de s’accroître et pourrait encore plonger un peu plus alors que l’Europe se prépare à une vague d’importations de véhicules électriques produits en Chine, menaçant toute une partie de l’industrie automobile du Vieux continent.
Ce précédent historique n’a pas découragé la France de continuer à négocier avec la Chine afin qu’elle use de son influence sur la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Sauf que la Chine n’a aucun intérêt à ce que ce conflit cesse, puisqu’il affaiblit chaque jour un peu plus la Russie, en voie de devenir sa vassale, et retient les Américains sur le front européen pour les écarter ainsi de l’enjeu taïwanais.
Ainsi, ni la France ni l’Europe n’ont à attendre quoi que ce soit des Chinois sur la guerre en Ukraine. De même que ni la France ni l’Europe n’ont grand-chose à espérer des Américains, car cette guerre est une composante parmi d’autres qui oppose le duopole russo-chinois à Washington.
Sous cette perspective, la France et la Chine vont probablement à nouveau traverser une zone de turbulences, et pour longtemps. Il faut envisager une dégradation de leurs relations après les élections américaines de novembre, lesquelles, et quel qu’en soit le résultat, risquent d’accélérer la guerre économique qui les anime.
Par Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS, professeur à l’Institut catholique de Paris et auteur de Le très grand jeu. Pékin face à l’Asie centrale (éditions du Cerf).
Sommaire N° 16-17 (2024) - Spécial visite de Xi en France