Environnement : Crédit carbone – le monstre du Loch Ness émerge 

Cent fois annoncé, cent fois reporté, le plan ETS (Emission Trading System) sort des limbes, publié le 3 avril par le ministère de l’Ecologie et de l’Environnement (MEE). Inspiré du mécanisme fonctionnant depuis une vingtaine d’années au sein de l’ONU et de l’Union Européenne, ce mécanisme de crédits carbone, veut encourager les coupes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), suivant les obligations prises dans le cadre de la COP 21 de Paris.

Pour déployer ce système ETS, trois phases sont prévues.

– La première a lieu de 2018 à 2019, période pendant laquelle MEE et NDRC (chef d’orchestre de l’économie et cogestionnaire de l’ETS) mettent en place l’infrastructure.

Chaque centrale thermique consommant plus de 10.000 tonnes de houille-équivalent par an, rejetant dans l’air 3 milliards de tonnes de CO2/an, doit s’enregistrer et déclarer ses émissions auprès des services régionaux de l’environnement avant le 31 décembre.

Sur cette base, le MEE octroie sans frais à la centrale un nombre de crédits carbone annuel (un par tonne de CO2), correspondant à sa pollution moins 5%—l’objectif annuel de réduction visé. L’ETS chinois veut éviter les erreurs de son ancêtre européen : trop de crédits carbone avaient découragé les industriels à investir dans la réduction d’émissions, et la faiblesse des vérifications avait ouvert la porte à de nombreuses fraudes. « La clé de voûte tiendra au ‘MRV’ (Management, Reporting, Verification » déclare Chen Mei’an, de la start-up pékinoise IGDP. En effet, les déclarations des centrales seront vérifiées par des firmes privées agréées. C’est une tâche que l’Etat doit déléguer pour éviter de se trouver en conflit d’intérêts. Ces vérificateurs sont rémunérés directement par l’Etat, pour éviter toute tentative des centrales de les soudoyer. Depuis 2013, 35 firmes agréées par le ministère à travers le pays, telle ChinaCarbon, vérifient les déclarations des centrales thermiques pour le compte des sept bourses régionalespilotes d’échange de crédits carbone. Elles réalisent également études, forums, expos et recherches de techniques de production à bas carbone et d’amélioration de l’ETS. 

– Deuxième phase : en 2020 débutera une année de répétition générale, pour faire fonctionner le système « à blanc » : les crédits carbone seront encore fictifs, mais les firmes devront « rendre » au ministère ceux qu’elles auront consommés, et commencer à comptabiliser et déclarer leurs émissions réelles, tout en faisant valider leurs chiffres par les vérificateurs. En parallèle, les bourses régionales  fusionneront en une place nationale, pour encadrer les futurs échanges des crédits non consommés.

– Enfin, dès 2021, le système s’appliquera vraiment : rester dans son quota permettra à la centrale le renouvellement de sa licence ; le dépasser, et ne pas acheter de complément, entraînera des amendes, voire la fermeture. Démarrera également l’extension du système à d’autres secteurs polluants (aciéries, métaux non ferreux, cimenteries)  rejetant 5 milliards de tonnes de CO2. Au total, 100.000 usines seront concernées.

Un débat décisif a eu lieu entre administration et secteurs, sur les seuils de référence (benchmarks) pour l’attribution des quotas selon les types de centrales et leurs performances. Les lobbies souhaitaient que 11 seuils soient reconnus, ce qui aurait érodé l’effort réclamé de chaque unité. Finalement, seuls deux à quatre seuils seront retenus : « heureusement, conclut Chen Mei’an, le sérieux et la sévérité ont prévalu ».

En fin d’année comptable, les entreprises devront alors faire les comptes : celles « vertueuses » ayant investi pour polluer moins et ne dépassant pas leurs quota de crédits carbone, pourront vendre en bourse leur reliquat à celles « gaspilleuses » ayant émis davantage que leurs crédits impartis. Si celles-ci ne peuvent plus en acheter—soit parce qu’il n’y en a pas sur le marché, soit parce que le cours du crédit carbone n’est pas dans leurs moyens—elles devront arrêter la production—soit jusqu’au 1er jour de l’année comptable nouvelle, soit à jamais et déposeront le bilan. C’est d’ailleurs le but : faire disparaître ces unités trop vétustes ou trop petites, à forte intensité d’émissions et incapables de se décarboniser.

Enfin, en dehors du ETS, le parapluie chinois anti-pollution atmosphérique sera complété par une taxe carbone, destinée à tous les petits producteurs (ceux émettant moins de  29000 tonnes de CO2/an), et par les crédits de réduction d’émission certifiés nationalement (CCER) octroyés en reconnaissance de coupes de pollution, suite à l’emploi de nouvelles technologies, par exemple dans les  énergies renouvelables. Ces CCER seront aussi un produit vendable en bourse, au même titre que les crédits carbone.

Un dernier instrument « écolo-financier » viendra compléter la panoplie : l’émission ponctuelle de crédits carbone à titre onéreux et aux enchères. Leur utilité sera de refroidir le marché en cas d’envol des cours et d’éviter une hécatombe de faillites socialement dommageable.

Comme on voit, c’est tout un paysage industriel et financier radicalement nouveau qui apparaît. Il bouleversera le tableau de l’économie chinoise, avec des conséquences encore imprédictibles. La seule chose qu’on puisse en dire est que l’écologie y entre par la grande porte—et que la Chine, avec l’audace qui caractérise son nouveau cadre réglementaire, risque de prendre la tête du peloton mondial de la décarbonisation.

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1 Commentaire
  1. severy

    Il ne leur reste plus qu’à trouver la formule du Perrier et du Coca décarbonisé et d’élever au centre de la place Tiananmen, la statue de la déesse de l’Ecologie. 😉

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