Economie : Le marche ou crève des boîtes

L’économie chinoise est à la peine, tous les feux sont à l’orange clignotant. Lors de la session de l’Assemblée Nationale Populaire en mars, le 1er ministre Li Keqiang prédisait pour 2019 une hausse de PIB de +6% à 6,5%. Mais le think tank américain Brookings le dément sans fard : depuis 2008, la croissance a été exagérée de 1,7% par an en moyenne, aboutissant en 2016 à une économie réelle 12% moins élevée que les chiffres avancés par l’Etat.

Pei Minxin, du Claremont McKenna College avertit : « l’inaptitude de l’Etat chinois à relâcher les rênes de l’économie, conduira le pays à la pire récession de son histoire ». Selon Pei, Pékin n’a pas su voir en le conflit commercial avec les USA une opportunité de réformer son monde des affaires. Les promesses chinoises aux hommes de D. Trump, sextupler les importations de produits made in USA et renforcer la protection des brevets, mais sans remettre en cause les liens troubles entre Etat-Parti, ne vont pas dans le bon sens.

Pendant ce temps, ce conflit impacte négativement le carnet de commandes des usines et le climat d’affaires. Les dernières tendances conjoncturelles laissent apparaître des profits industriels de janvier-février érodés de 14% (105 milliards de $), des ventes auto cassées de -42%, des profits dans les télécoms en baisse de 21% et des exportations de -20,7% en février. Sous l’orage, la hausse du PIB pour janvier-février tombe à +5,3% – le taux le plus bas depuis l’ère de Deng Xiaoping !

Les conséquences ne se font pas attendre –les faillites explosent. Au 1er avril, leur nombre de 2018 était dévoilé : il a doublé (+97%) par rapport à 2017 avec 18.823 cas enregistrés par les tribunaux, dont 40% entre Zhejiang, Jiangsu et Canton.

L’Etat voit en cette concentration géographique une « imperfection du système et la subjectivité des juges locaux ». Mais ces provinces sont aussi les plus riches, celles où le secteur privé est le plus ancré et où l’économie de marché fonctionne le mieux.

Au Hebei, ateliers et PME souffrent de la campagne anti-pollution : ayant dû investir jusqu’à 2 millions de ¥ chacun pour s’équiper de filtres anti-poussières, ils ont été quand même été forcés au chômage technique durant l’hiver (de novembre à mars), pour préserver les cieux bleus de la capitale, causant faillites et licenciements à la pelle au printemps. Et ce n’est pas fini !

Dernière faillite en date : le 28 mars Tuandai, plateforme de prêts entre particuliers (P2P), jetait l’éponge avec pour 2,16 milliards de $ de prêts en cours. S’étant présentés à la police, les deux fondateurs sont mis sous enquête pour levée illégale de fonds. Populaires jusqu’en 2015, 3500 sites de ce type drainaient une part de l’épargne chinoise, nourrissant une florissante finance grise. L’Etat avait intérêt à faire le nettoyage, pour assainir un maquis financier perclus de trafics pyramidaux… En attendant, les 220.000 petits bailleurs de fonds de Tuandai perdent parfois toute leur épargne et se retournent contre l’Etat pour se voir dédommager, sans grand espoir.

La messagerie Rufengda ferme aussi, avec 15 millions de $ de dettes et 3 mois d’impayés à ses 3000 livreurs. En janvier, un groupe de Shenzhen voulait racheter le groupe, mais sans les dettes. L’annulation de la vente signa finalement la mort de Rufengda, après celles d’autres messageries de taille moyenne, telles Kuaijie et Quanfeng faillies en 2018. Une consolidation du secteur de la livraison est donc en cours, au profit des sept plus gros groupes, dont ZTO et S.F., cotés en bourse, qui occupent 70% du marché.

Même les géants commencent à vaciller. JD Logistics, filiale du n°2 du e-commerce JD.com, se mettait le 7 avril à « tester » le passage du revenu minimum jusqu’alors garanti à ses livreurs, au système des commissions pratiqué par la concurrence.  A présent, 20.000 actifs doivent être débarqués par les méthodes les plus drastiques, dont la moitié de livreurs. Fin 2018, le siège de JD.com licenciait 10% de son Etat-major. Le 7 avril, une note interne avertissait sans frais : ceux « qui ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes, peu performants ou trop payés par rapport aux résultats » seront remerciés, à moins d’accepter une position inférieure ou une baisse de salaire. De plus, si deux membres d’une même famille travaillent pour le groupe de Richard Liu, l’un des deux devra présenter sa démission.

Pour pousser les employés volontairement vers la sortie, l’entreprise pratique le « 996 », consistant à travailler 12 heures par jour (« de 9h du matin à 9h du soir, 6 jours par semaine »), jusqu’à l’inévitable burn-out.

Les employés « geeks » se défendent en publiant (anonymement) sur le site Github une liste de 90 compagnies adeptes du « 996 », 16 heures de travail hebdomadaire de plus que ne le permet la loi. Une démarche qui a fait couler beaucoup d’encre sur le portail social Weibo. Les dénonciations collectives des conditions de travail sont déjà rares dans les milieux industriels, elles le sont encore plus dans les secteur du e-commerce et de la high-tech.

JD.com n’est pas seul dans cette mauvaise passe : tous les groupes de l’internet souffrent, de Tencent à Alibaba, de Meituan Dianping à Didi Chuxing. Il s’agit pour ces « licornes » de procéder aux ajustements nécessaires de leur modèle d’affaire pour s’adapter à une croissance ralentie. Ces mesures drastiques chez JD.com sont sans doute nécessaires pour aider l’entreprise à travers la tempête, mais il paraît toutefois peu probable que le modèle du « 996 » triomphe sur le long terme. Sauf que le mal est déjà fait : travailler chez JD.com fera moins rêver ! 

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