Editorial : Un Parlement qui voit loin

Un Parlement qui voit loin

Repoussée de plus de deux mois l’an dernier pour cause de Covid-19, la session annuelle du Parlement retrouve son créneau printanier habituel (4 au 11 mars). Tout comme l’an passé, la durée des « Deux Assemblées » (两会) a été raccourcie à sept jours (contre dix habituellement) avançant des motifs sanitaires. L’agenda des délégués est pourtant très chargé, puisqu’ils doivent adopter le 14ème plan quinquennal, feuille de route économique sociale jusqu’en 2025, et celui « Vision 2035 » – c’est la première fois depuis 1996 qu’un plan à si long terme est publié.

Selon un rituel immuable, le Premier ministre Li Keqiang, a inauguré l’Assemblée Populaire Nationale (ANP) le 5 mars en présentant son traditionnel rapport gouvernemental annuel devant 2953 délégués « masqués » et vaccinés, rassemblés au Grand Palais du Peuple à Pékin.

Après avoir rappelé les difficultés surmontées « avec brio » par le Parti l’an passé et le fait que la Chine a été l’un des rares pays au monde à afficher une croissance positive de son PIB (2,3%), le patron du Conseil d’État a finalement annoncé un objectif de croissance pour 2021 « d’au moins 6% » (équivalent au niveau pré-pandémie). L’an dernier, il avait fait une entorse à la règle, ne fixant aucun chiffre pour 2020 invoquant la pandémie et ses incertitudes. Cette croissance « plancher » de 6% est un soulagement pour les gouvernements locaux qui n’auront pas à atteindre un objectif irréaliste en finançant des projets inutiles. Ce faisant, l’État se laisse aussi une jolie marge de manœuvre puisque le PIB devrait augmenter d’environ 8% selon les experts chinois et étrangers.

Cet objectif peu ambitieux reflète surtout que la croissance « à tout prix » n’est plus à l’ordre du jour en 2021, au profit d’un développement « qualitatif et efficace ». C’est également sous ce prisme qu’il faut interpréter l’absence d’objectif de croissance dans le 14ème plan quinquennal – une première dans l’histoire – et dans le plan « Vision 2035 ». En novembre 2020, le Président Xi Jinping avait pourtant qualifié de « réalisable » le fait de doubler la taille de l’économie chinoise à 30 000 milliards de $ d’ici 2035 (nécessitant une croissance moyenne annuelle de 4,8%), et ainsi supplanter les États-Unis en tant que première puissance économique mondiale. Même si le document n’y fait pas mention, devenir n°1 mondial n’en reste pas moins l’objectif sous-jacent, et les dirigeants ont compris qu’il sera hors d’atteinte tant qu’ils ne s’attèleront pas aux risques systémiques (notamment financiers) et aux problèmes structurels (endettement, vieillissement de la population, faible consommation domestique, inégalités croissantes…) qui plombent le pays.

Plusieurs signes positifs suggèrent que le leadership s’apprête à prendre le taureau par les cornes. Pour la première fois, le Premier ministre a annoncé une réforme graduelle de l’âge du départ en retraite et évoqué un taux de fertilité « approprié » d’ici 2025. Le taux d’urbanisation annoncé (65% en 2025 contre 61% aujourd’hui) s’accompagnera d’une réforme du permis de résidence « hukou », remplacé par un permis à points, qui bénéficiera aux ruraux désireux de s’installer en ville. Nouvel élément-clé de la philosophie économique de Xi Jinping, le terme de « prospérité commune » a fait son apparition dans le discours de Li Keqiang, consistant en une meilleure répartition des richesses, entre riches et pauvres, entre régions, entre villes et campagnes. Pour autant, aucun objectif concret n’a été fixé à ce sujet, la Chine ne publiant plus depuis des années son coefficient de Gini, mesurant les inégalités…

Progrès notable, le rapport du Premier ministre contient un objectif de réduction de la consommation énergétique de 3% par unité de PIB pour 2021. Par contre, les chiffres annoncés dans le 14ème plan quinquennal ont déçu les observateurs, les qualifiant « d’insuffisants » : le pays prévoit de réduire de 13,5 % la consommation d’énergie et de 18 % les émissions de CO2 par unité de PIB, tout en portant la part des énergies non fossiles à 20% du mix énergétique d’ici 2025 (contre 15,3% en 2020). Paradoxalement, l’importance du charbon a également été réaffirmée par la NDRC, tutelle de l’économie, promettant de « faire plein usage des ressources houillères du pays et de s’assurer de son bon approvisionnement » alors que l’hiver a été marqué par des pannes de courant. Fin janvier, l’agence nationale de l’énergie (NEA) a pourtant été sermonnée par le ministère de l’Environnement pour avoir été trop laxiste avec les producteurs de charbon.

Dernier axe majeur du 14ème plan quinquennal : l’innovation, à qui tout un pan du document de plus de 140 pages a été consacré. Dans un contexte de découplage technologique amorcé par les États-Unis, plusieurs secteurs vont recevoir la priorité en matière de financement d’ici 2025, tels que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, l’internet quantique, les terres rares, la robotique, la génétique et les biotechnologies, les moteurs aéronautiques, les véhicules électriques, la médecine innovante ou encore les applications industrielles de Beidou, le GPS chinois… Et Pékin est prêt à y mettre les moyens : le budget accordé à la recherche fondamentale augmentera de 10,6% et les dépenses en R&D devraient croître annuellement d’environ 7% d’ici 2025. Des objectifs à relativiser, lorsqu’on sait que la Chine a raté ses objectifs de R&D fixés dans ses quatre derniers plans quinquennaux, mais la volonté de percée technologique du gouvernement est évidente.

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