Energie : Pannes de courant hivernales

Pannes de courant hivernales

Ces dernières semaines, la Chine subit ses plus importantes coupures électriques depuis une décennie.

A Changsha (Hunan), un lampadaire sur deux est allumé la nuit, et les ascenseurs sont hors service. Dans le Jiangxi, les autorités avertissent de possibles pannes électriques durant les heures pleines. A  Yiwu, un rationnement énergétique a été imposé, forçant les usines à donner congé à leurs ouvriers ou à s’équiper de générateurs diesel. Idem à Wenzhou, où la production industrielle a été perturbée par des coupures électriques. Dans d’autres villes du Zhejiang, interdiction d’allumer le chauffage tant que la température ne descend pas en dessous des 3°C. Même à Shenzhen, pôle high-tech du pays, et dans certains districts de Canton, le disjoncteur a sauté…

Sans tarder, certains analystes ont suggéré un lien avec le ban informel de l’importation de charbon australien, justement destiné aux provinces touchées par ces coupures d’électricité. Un rapprochement que le gouvernement chinois s’est empressé de réfuter, craignant de se retrouver en porte à faux avec sa population qui, dans ce cas, ferait les frais d’un boycott politique de Pékin (qui souhaite punir Canberra pour avoir osé réclamer une enquête indépendante sur les origines du virus). Signe de la sensibilité du sujet, de nombreux messages en rapport avec les coupures de courant ont été supprimés des réseaux sociaux…

Pourtant, les autorités se veulent rassurantes : « les centrales à travers le pays disposent de suffisamment de charbon pour les 21 jours à venir », déclarait fin décembre Meng Wei, la porte-parole de l’agence nationale de planification économique (NRDC). Dans le Zhejiang, les autorités locales justifient ces coupures au nom des objectifs annuels à atteindre en matière de réduction des émissions, « rien à voir avec l’approvisionnement énergétique ».

Selon la ligne officielle, ces pannes sont principalement imputables à une demande électrique en plein boom, conséquence d’un hiver plus froid que la normale (-19,6°C le 6 janvier à Pékin, un record depuis 1966), mais surtout de la remise en marche du moteur industriel du pays, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Espérant compenser leurs pertes liées à la Covid-19, les usines tournent à plein régime, particulièrement dans les provinces exportatrices, au sud et à l’est du pays. Selon les données du gouvernement, la consommation totale électrique du pays – indicateur favori du Premier ministre Li Keqiang pour prendre le pouls de l’économie – a augmenté de 11% en décembre par rapport à 2019.

Cependant, Pékin semble beaucoup moins enclin à reconnaître les problèmes liés à l’approvisionnement énergétique. Alors que les besoins en électricité sont au plus haut, la production de charboncomptant pour 57,5% du mix énergique chinois – dans les grandes provinces houillères telles que Shanxi, Shaanxi et Mongolie-Intérieure, a été réduite pour respecter les normes environnementales. Plusieurs mines ont également été fermées pour des raisons de sécurité.

Ces mesures, cumulées à une baisse des importations visant à protéger les producteurs domestiques, ont conduit à une forte hausse des prix du charbon (+10% en décembre). En réaction à cette inquiétante flambée, les quatre index de référence ne sont plus mis à jour depuis le 30 décembre. Pour autant, les experts n’anticipent pas de répit à court terme, les réserves de charbon s’amenuisant…

Pour tenter de rectifier le tir, Pékin a donc ordonné aux grandes provinces productrices de charbon de renforcer la production, d’augmenter les stocks dans les centrales électriques et d’accélérer la livraison dans les régions-clés. De même, la NDRC a levé les quotas aux importations de charbon – sauf pour l’Australie, qui représente 25% des achats chinois de charbon thermique à l’étranger. Un cadre de la compagnie publique d’électricité Huadian enterre tout espoir : « la politique passe avant tout ».

Malgré des prix du charbon exceptionnellement haut, les producteurs d’électricité doivent assurer l’alimentation du réseau. Actuellement, le prix de l’électricité pour les particuliers est maintenu artificiellement bas par des subventions du gouvernement, bien moins cher que le tarif payé par les usines.

Selon Feng Yongsheng, analyste à la CAAS, les récentes coupures de courant sont un avertissement. Étant donné que le niveau de vie de la population chinoise ne cesse de s’améliorer, la consommation électrique des foyers augmentera nécessairement. Il devient donc urgent de déréguler les prix de l’électricité afin de répercuter son véritable coût sur les foyers, tout en les incitant aux économies d’énergie.

Ces pannes de courant illustrent aussi les défis d’une Chine contrainte à jouer les équilibristes entre les besoins de sa population, et ses engagements pour le climat (atteindre son pic d’émissions de CO2 avant 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2060), lui faisant réaliser qu’elle ne pourra pas se sevrer du charbon tant que les autres sources d’énergie ne seront pas en place.

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