C’était peut-être l’événement diplomatique organisé par la Chine le plus marquant des dernières années. Le 17-18 octobre s’est tenu dans la capitale chinoise le 3ème forum sur la “Belt and Road Initiative” (BRI), dix ans après son lancement officiel.
Les estimations varient mais, au total, la Chine aurait investi entre 331 et 1 000 milliards de $ dans divers projets d’infrastructures à travers les cinq continents. Son impact, quel qu’il soit, est indéniable. Difficile de convaincre les pays qui ont vu des centrales électriques et des chemins de fer sortir de terre, de l’inutilité de cette initiative. Et ce malgré les conditions souvent discutables sous lesquelles les financements chinois ont été accordés.
Signe que ce grand projet conserve une place de choix dans la vision géopolitique du président chinois, Xi Jinping a annoncé en clôture du forum que près de 107 milliards de $ (780 milliards de RMB) seront mis à la disposition de la China Eximbank (47 milliards de $), la China Development Bank (47 milliards de $) et le Silk Road Fund (10 milliards de $), pour financer les projets de cette nouvelle phase de la BRI. C’est le même montant promis lors du tout premier forum BRI en 2017.
L’annonce est assez surprenante puisque ces dernières années, Pékin avait sensiblement réduit ses financements extérieurs sur fond de ralentissement économique post-Covid et de crise financière dans plusieurs pays du Sud qui rencontrent des difficultés à rembourser leurs dettes. Cette situation avait conduit certains experts et médias internationaux à prédire la mort imminente des « nouvelles routes de la soie » en pointant de nombreux projets abandonnés ou non-achevés.
Néanmoins, cette généreuse enveloppe semble prouver le contraire et vient surtout rassurer plusieurs pays du Sud, toujours aussi anxieux quant à la disponibilité du financement international pour leurs projets de développement. Parmi eux, se trouvent un bon nombre de pays africains, dont le Kenya et le Nigéria qui espèrent obtenir près de 2 milliards de $ pour financer des projets d’infrastructures. D’autres pays comme l’Ouganda et la Tanzanie (non présents lors de ce Forum) comptent également beaucoup sur la Chine pour financer de nouveaux ports et lignes ferroviaires.
L’anxiété des pays africains s’explique par la tendance largement à la baisse des prêts chinois en direction de l’Afrique au cours des cinq dernières années. En 2021 et 2022, le continent n’a reçu que 2,2 milliards de $ de la part de Pékin. C’est le niveau le plus bas en quinze ans. On est bien loin des 29 milliards de $ reçus en 2016, année à laquelle les prêts chinois vers l’Afrique ont atteint leur pic.
Dans ce contexte, la question pour l’Afrique est de savoir combien pourra-t-elle attirer des 107 milliards de $ rendus disponibles par Pékin – si ces sommes sont effectivement décaissées. Or, si les pays africains veulent avoir une chance d’attirer une partie de ces fonds, ils devront prendre en compte les nouvelles considérations chinoises.
Le « livre blanc » publié par Pékin le 10 octobre, à la veille de l’ouverture du forum, évoque un changement d’échelle. Désormais, la priorité ira à des projets « petits mais beaux » (« Small & Beautiful »), voire « smarts » (« Smart »). Adieu donc, les milliards de $ dépensés sans compter ! La Chine privilégiera des projets moins risqués financièrement.
La dimension environnementale devra également être prise en compte. D’ailleurs, le mot « green » est revenu 11 fois dans le discours de clôture de Xi Jinping. C’est dire combien l’aspect environnemental va devenir central dans cette nouvelle phase de la BRI. En 2022, le secteur de l’environnement était la deuxième destination des prêts chinois en direction de l’Afrique.
Les chiffres publiés par la Boston University Global Development Policy Center dans un rapport sur le 10ème anniversaire de la BRI, confirment cette nouvelle tendance pour le « Small & Beautiful » et la « verdisation » de l’initiative au cours des deux dernières années.
Le gros changement de cap concerne le secteur de l’énergie qui a capté jusque-là près de la moitié des 59 milliards de $ des prêts chinois accordés à l’Afrique, dont une large portion dans les énergies fossiles. A l’avenir, les financements chinois iront dans les énergies renouvelables et des projets « verts ». Mais là aussi, les gouvernements récipiendaires devront montrer patte blanche et garantir la rentabilité sur le long terme de ces projets.
Enfin, à quelques exceptions près, la nouvelle approche de Pékin ne laissera plus place pour des projets qui sont motivés par des agendas politiques, des éléphants blancs qui servaient les égos des élites politiques corrompues, au lieu de répondre aux exigences de viabilité économique et de développement économique et humain. Les projets choisis devront avoir un impact direct sur le développement du pays destinataire.
Un alignement qui va demander aux pays africains de mettre en place les conditions macro-économiques nécessaires pour absorber ces financements et présenter des garanties de remboursement. Ils devront aussi faire preuve d’ingénierie financière pour réduire les risques liés aux prêts affectés aux gros projets d’infrastructures. Trouver et intégrer d’autres partenaires financiers, en plus des Chinois, pourrait aider à attirer des financements chinois désormais frileux face à de tels projets.
Au-delà de tout ça, l’impact de cette nouvelle phase du BRI en Afrique dépendra non seulement de la capacité des pays africains à s’aligner sur les nouvelles priorités de Pékin, mais aussi et surtout à élaborer et imposer l’agenda du continent noir dans cette nouvelle configuration. Ainsi, les pays africains seraient bien inspirés de s’appuyer sur les institutions régionales et continentales (EAC, Union Africaine, SADC…) pour négocier le financement des grands projets d’infrastructure transrégionaux auprès de Pékin.
1 Commentaire
severy
23 octobre 2023 à 04:19Il n’y a plus qu’à espérer que la corruption n’emporte la plus grande part du gâteau…