Spatial : Mise en orbite de Beidou, le GPS chinois

« Trois, deux, un… mise à feu ». Le 23 juin à 9h43, les Chinois ont pu suivre à la télévision le lancement de la fusée Longue-Marche 3B dont la mission était de placer en orbite un satellite BeiDou (BDS-3). Signe de l’importance de l’évènement, le décollage était diffusé en direct, tranchant avec l’habituelle annonce officielle une fois les satellites correctement positionnés dans l’espace. En effet, avec cet ultime satellite, le 30ème opérationnel de la troisième génération, la Chine a achevé en seulement trois ans le déploiement de son système de navigation et de géolocalisation BeiDou . Avec six mois d’avance sur le calendrier officiel, l’évènement marquait ainsi une nouvelle étape dans l’ascension de la Chine en tant que grande puissance spatiale. Cette annonce suscitait la fierté de la nation, faisant écho à l’histoire millénaire de la Chine et de ses inventions, comme la boussole. Depuis le lancement en 1994 du programme BeiDou (parfois appelé Compass), 100 000 scientifiques et ingénieurs chinois ont participé à la mise au point de ce système, pour un investissement de 10 milliards de $.

Une première génération de BeiDou (北斗), dont le nom désigne en mandarin la constellation de la « Grande Ourse », était déjà opérationnelle en Chine en 2000, puis pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique en 2012 – à l’instar des systèmes indien (NavIC) et japonais (QZSS ou « Michibiki », en complément du GPS) qui n’offrent qu’une couverture régionale. Désormais, BeiDou offre une couverture mondiale, permettant ainsi à la Chine d’intégrer le « G4 » des puissances disposant d’un tel système : les États-Unis avec le GPS, la Russie avec son système Glonass, et l’Europe avec le programme civil Galileo (dont les derniers satellites devraient être lancés avant 2021). En une alliance incongrue, la Chine s’était même engagée à investir 200 millions d’euros dans Galileo en 2003, avant d’en être exclue quatre ans plus tard par des membres de l’UE craignant des transferts de technologies. De son côté, la Chine aurait été exaspérée par la lenteur du projet européen…

C’est toutefois bien plus tôt que la Chine aurait été convaincue de l’importance stratégique de disposer de sa propre « constellation satellitaire », comme les autres puissances avant elle. L’incident remonte à la 3ème crise du détroit de Taïwan en 1996, lorsque deux missiles destinés à dissuader Taipei de tenir sa première élection présidentielle au suffrage universel direct tombèrent à l’eau… Un échec que Pékin imputa à une coupure du signal GPS par l’US Army. « Une humiliation inoubliable » des mots d’un haut gradé de l’APL. Depuis lors, il était devenu prioritaire pour la Chine d’assurer sa souveraineté nationale en mettant à l’abri ses opérations militaires d’une éventuelle interruption de service en cas de conflit armé avec les États-Unis ou l’un de leurs alliés. Un objectif rendu encore plus pertinent dans le contexte actuel de découplage, voire de « nouvelle guerre froide », entre Pékin et Washington.

Bénéficiant de technologies plus récentes que celles du GPS (opérationnel en 1995, et en cours de modernisation), BeiDou se targue d’une précision en version militaire pouvant aller jusqu’à 10 cm en Asie-Pacifique et 10 m en version civile. Mais le GPS chinois doit encore faire ses preuves : « les performances de la « Grande Ourse » doivent être démontrées au-delà de la région Asie Pacifique », commente un expert. Cependant, il ne s’agit pas d’évincer le GPS américain : l’utilisateur pourra recevoir simultanément des signaux de différents systèmes afin d’en accroître la précision selon les circonstances (dans un « canyon urbain » par exemple) et la région géographique où il se trouve.

BeiDou devrait également permettre de stimuler l’économie chinoise en multipliant ses applications. En effet, cet outil permet de synchroniser dans le temps les opérations bancaires, d’offrir des services de positionnement utiles pour l’industrie minière ou l’agriculture intelligente, de guider piétons, automobilistes, cargos, mais aussi les secouristes en cas de catastrophes naturelles. Cela a été le cas dès 2008, quand BeiDou a aidé à localiser les victimes du dévastateur tremblement de terre de Wenchuan (Sichuan). C’est ainsi que le gouvernement chinois a ordonné que tous ses camions de livraison, véhicules postaux, cars, bus, ferries et chalutiers soient reliés à BeiDou et son novateur « système de messagerie » pour les urgences et le sauvetage, permettant ainsi d’être alerté en cas d’accident, une fonctionnalité que ne possèdent pas les systèmes américain, russe ou européen.

À l’heure d’aujourd’hui, 70% des smartphones vendus en Chine, de marque Huawei, Oppo, Xiaomi, Vivo, Samsung, sont compatibles avec BeiDou. Fin 2019, quelque 6,6 millions de véhicules embarquaient des récepteurs BeiDou. Un chiffre amené à augmenter puisqu’un plan gouvernemental publié il y a deux ans stipule que tous les nouveaux modèles de voitures sortis en 2020 devront être reliés au système BeiDou. Pour l’aviation, il est encore trop tôt, faute de standards et de certifications des récepteurs…

Au total, le secteur de la navigation par satellite devrait représenter 400 milliards de yuans (50 milliards d’euros) d’ici la fin de l’année. Et ce n’est qu’un début : à l’avenir, BeiDou devrait permettre à la Chine d’accélérer le développement des technologies liées aux véhicules autonomes, à l’intelligence artificielle, la 5G… Et maintenant que la couverture de BeiDou est mondiale, la Chine devrait redoubler d’efforts pour en faire la promotion le long de ses « nouvelles routes de la soie ». La Thaïlande, l’Iran, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, l’Ouganda ont déjà fait confiance au « GPS chinois ». Selon Yang Chengfeng, ingénieur en chef, « BeiDou offre une alternative aux pays désireux de réduire leur dépendance vis-à-vis du système américain ». Un argument qui a fait mouche au Pakistan, dont les militaires utilisent la même version de BeiDou que l’armée chinoise. À ce jour, BeiDou serait déjà utilisé dans une centaine de pays.

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