Société : La Chine est-elle tombée dans le piège de la basse fécondité ?

La Chine est-elle tombée dans le piège de la basse fécondité ?

Alors que les résultats du grand recensement décennal sont attendus fin avril, les chiffres des naissances sont inquiétants : selon le ministère de la Sécurité publique, 10,04 millions de nouveau-nés auraient été déclarés en 2020 à travers la Chine. C’est 15% de moins qu’en 2019 (11,79 millions). Aux quatre coins du pays, plusieurs villes rapportent même une chute des naissances encore plus importante – jusqu’à 33 % à Taizhou (Zhejiang). Parmi ces bébés, on dénombre 52,7% de garçons et 47,3% de filles, soit un ratio de 100 filles pour 111,5 garçons (le ratio naturel étant de 106), preuve qu’un héritier mâle a toujours la faveur des familles chinoises.

Le confinement lié à l’émergence de la Covid-19, pratiqué à différents degrés à travers le territoire chinois et censé avoir rapproché les couples, a-t-il eu un impact sur la natalité ? Difficile à dire… Seuls les bébés conçus entre janvier et mars 2020, nés et enregistrés avant la fin de l’année 2020, sont représentés dans ces statistiques. L’impact général de la pandémie sur les naissances sera plus clairement exprimé par les chiffres de 2021. Il est toutefois peu probable que cette période d’incertitude ait engendré un baby-boom, bien au contraire…

Même si le cumul annuel des naissances 2020 doit encore être consolidé par celles non-déclarées administrativement (notamment pour éviter une amende du planning familial), la tendance est irrésistiblement à la baisse depuis plusieurs années : la fin de la politique de l’enfant unique en 2016 n’a engendré qu’un bref rebond des naissances, le coût de l’éducation d’un enfant jusqu’à ses 18 ans (entre 500 000 yuans en moyenne et un million dans les grandes villes) dissuadant les parents d’en avoir un second. A cette allure, la population chinoise pourrait commencer à se contracter dès 2027.

Que faire pour relancer la natalité ? Les propositions des délégués au Parlement se multiplient, particulièrement dans les provinces enregistrant les plus fortes baisses des naissances, reflétant une fracture économique grandissante entre Nord et Sud du pays.

Dans le ShanxiGuo Xinping, directeur d’un institut scientifique, propose de créer « un environnement favorable pour les jeunes femmes en âge de procréer de manière à ce qu’elles puissent donner naissance durant cette période optimale [entre 21 et 29 ans] ». Pour cela, Guo recommande d’accorder des subventions aux jeunes couples ou encore de construire plus de crèches… Sur la toile, les internautes doutent que cela suffise à régler le problème :« la pression que ressentent les jeunes Chinois pour fonder une famille est trop forte, ils ne se sentent pas en mesure de répondre à toutes les exigences imposées par la société (posséder une voiture, un appartement…) », écrit l’un d’entre eux.

Au Dongbei (Nord-Est), les débats sont similaires, LiaoningHeilongjiang et Jilin recensant les taux de natalité parmi les plus bas du pays, et un taux de croissance de la population déjà négatif (plus de décès que de naissances). Certaines régions du Dongbei ont déjà assoupli leur planning familial en autorisant trois enfants par couple. Pourtant, les berceaux restent désespérément vides…

Sollicitée par le Parlement local, la commission nationale de Santé laissait entendre dans un communiqué mi-février que les trois provinces pourraient être les premières à expérimenter la fin du contrôle des naissances. Ma Guangyuan, économiste, met en doute la logique derrière cette proposition : « Pourquoi expérimenter cette nouvelle politique dans le Dongbei, où le désir d’enfanter est faible, plutôt que dans des régions où la natalité est plus vigoureuse ? Et pourquoi envisager un programme pilote tout court ? Il faudrait appliquer cette mesure au pays entier » !

Il n’a pas été le seul à s’indigner de cette proposition. Sur internet, elle a été instantanément critiquée : « tant que les autorités n’auront pas de plan viable pour le développement économique du Dongbei, les parents ne voudront pas plus d’enfants ». 40 ans plus tôt, le PIB du Dongbei représentait 14% de celui du pays. Aujourd’hui, ce chiffre serait tombé à 5%, suscitant un certain mécontentement parmi ses 108 millions d’habitants. « Si on autorise davantage de naissances, cela pourrait conduire à un mini baby-boom dans le Dongbei. Cependant, faute de perspectives d’avenir dans la région, ces jeunes iront s’installer à Pékin ou ailleurs dans le Sud, et le nombre de naissances retombera à nouveau », commente l’un d’entre eux. Entre 2014 et 2018, seuls 14% des jeunes diplômés natifs du Heilongjiang sont revenus s’installer dans leur province natale.

Face à ce tollé, la commission nationale de Santé a publié un démenti, affirmant que ses propos ont été mal interprétés : « il y a différentes raisons à l’origine de la baisse de la population dans le Dongbei, et ce n’est pas une situation qui sera résolue uniquement en levant les restrictions aux naissances. Le sujet mérite d’être étudié en profondeur ».

Il est clair que quoi que le gouvernement central décide, il sera confronté à une opposition de la part du public ainsi qu’à des résistances internes.  S’il choisit de mettre en place un programme pilote dans certaines régions, cela pourrait créer un certain ressentiment au sein de la population, ailleurs dans le pays. Procéder à une réforme de l’âge de la retraite pourrait lui faire gagner un peu de temps avant que les caisses de la sécurité sociale ne soient complètement vides en 2035, mais là encore, l’opinion s’y oppose, s’estimant en droit de recevoir sa pension à 55 ans ou 60 ans.

Si l’État supprime définitivement toute politique de contrôle de naissances, il se trouvera confronté à un dilemme : que faire du demi-million d’employés du planning familial ?

À l’inverse, plus l’État tarde à supprimer sa politique de contrôle des naissances, plus les dégâts démographiques seront importants. D’après Liang Jianzhang, économiste à l’université de Pékin, il est déjà trop tard : « la Chine est tombée dans le piège de la basse fécondité ». Et même si elle décide aujourd’hui de mettre fin à son planning familial, il se peut que les résultats ne soient pas à la hauteur de ses espérances. La fin de la politique de l’enfant unique en 2016 en est un bon exemple…

Enfin, même si le gouvernement met en place une politique nataliste, avec subventions et incitatifs à la clé, l’affaire s’avère tout de même périlleuse. Outre la question du financement, si la population a l’impression que le gouvernement les « pousse » à faire des enfants, les mesures pourraient s’avérer contre-productives et aboutir à encore moins de naissances… L’aspect politique ne doit pas non plus être négligé. D’après le démographe Liang Zhongtang, « toute politique nataliste sera refusée par le gouvernement central, qui craint de raviver les mauvais souvenirs liés aux trois décennies de politique de l’enfant unique. Et toute discussion autour de ce sujet pourrait être considérée par le Parti comme une disgrâce de son leadership ».

Malgré l’impopularité des réformes envisagées, le Parti sait qu’il va devoir tôt ou tard se jeter à l’eau. Le 14ème plan quinquennal (2021-2025), qui sera adopté durant le Parlement (4 au 11 mars), contiendra sans aucun doute des éléments en ce sens.

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