Economie : La Chine est-elle sur le point de vivre sa « décennie perdue » ?

La Chine est-elle sur le point de vivre sa « décennie perdue » ?

Depuis quelques années déjà, les économistes s’interrogent : la Chine présente-t-elle les signes avant-coureurs d’une crise économique semblable à celle vécue par le Japon dans les années 90 ? Certes, les similarités sont nombreuses, mais à y regarder de plus près, la situation dans laquelle se trouve l’Empire du Milieu est quelque peu différente de celle du pays du Soleil Levant au tournant du siècle. Surtout, le gouvernement chinois peut encore éviter un tel scénario, s’il se décide enfin à entreprendre certaines réformes structurelles sans cesse repoussées aux calendes grecques.

Le premier trait commun entre les deux nations voisines est une natalité en berne. En Chine, le nombre de naissances a chuté plus rapidement qu’au Japon, conséquence d’une politique de l’enfant unique imposée durant 35 ans. Cette évolution de la pyramide des âges induit une baisse de la population active, qui pourrait venir peser sur la croissance économique. Ce n’est pourtant pas une fatalité. Le Japon a pu en partie compenser cette baisse en augmentant la part des femmes dans le monde du travail. En Chine, cela pourrait passer par un recul progressif de l’âge de la retraite, resté inchangé depuis 40 ans (60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes). Cette réforme est d’ailleurs à l’agenda de 2023, malgré son impopularité. Si Pékin l’adopte, la Chine pourrait être en mesure de maintenir la taille de sa population active pendant au moins deux décennies supplémentaires, ce qui est loin d’être négligeable.

Le second point de comparaison est la crise immobilière que traverse l’Empire du Milieu. L’immobilier n’a jamais été aussi cher qu’aujourd’hui et devenir propriétaire dans l’une des grandes villes chinoises est un rêve inaccessible pour une bonne partie de la population, notamment pour les jeunes Chinois qui se doivent pourtant d’avoir leur « chez eux » s’ils veulent espérer se marier. Bon nombre sont ainsi éternellement condamnés à être locataires dans la ville dans laquelle ils travaillent. Les Chinois les plus aisés n’ont pas ce problème. Ils ont d’ailleurs massivement investi dans l’immobilier, longtemps considéré comme le placement le plus rentable, la valeur des appartements n’ayant cessé d’augmenter ces vingt dernières années. Bien conscient de l’impact négatif de cette flambée des prix immobiliers, le gouvernement a coupé le robinet du crédit aux promoteurs en 2021, au nom de la stabilité financière du pays. Le Japon avait également adopté des mesures similaires, mais était allé trop loin dans sa politique, ce qui avait provoqué l’explosion de sa bulle immobilière. Les prix de l’immobilier s’étaient alors effondrés de 25%, précipitant le pays dans sa « décennie perdue » (失落的十年).

Jusqu’à présent, force est de constater que le gouvernement chinois gère plus agilement l’assainissement de son secteur immobilier. Cependant, les mesures adoptées par Pékin ont poussé les éventuels primo-accédants à remettre leur projet d’acquisition à plus tard, faute de confiance dans la capacité des promoteurs à livrer leur bien. Cette situation pèse sur l’économie, le secteur immobilier étant l’un des principaux moteurs de la croissance chinoise. Néanmoins, Pékin devra, tôt ou tard, payer le prix de cette bulle immobilière chauffée à blanc : la question est quand et comment ?

Dernière similarité entre l’économie chinoise d’aujourd’hui et celle japonaise des années 90 : le déficit budgétaire croissant du gouvernement, en particulier des collectivités locales qui se sont retrouvées privées ces dernières années de l’une de leurs principales sources de revenus : les ventes de terrains aux promoteurs immobiliers, en baisse de 23% en 2022. Ce sont également elles qui ont dû assumer les coûts liés à la politique « zéro-Covid », campagnes de tests PCR quasi-quotidiens en tête… En parallèle, les charges qui pèsent sur les collectivités locales ne cessent de s’alourdir – le coût des retraites notamment.

L’Etat central a jusqu’à présent fermé les yeux sur ces difficultés financières et a permis aux gouvernements locaux d’émettre davantage d’obligations pour financer de nouvelles infrastructures censées soutenir la croissance économique. Selon le FMI, la dette totale des gouvernements locaux est passée de 35 700 milliards de yuans en 2016 à 92 100 milliards de yuans en 2022 et devrait atteindre les 143 500 milliards de yuans d’ici 2026. Sans parler de la hausse des charges d’intérêts de cette dette : en 2023, les gouvernements locaux devront rembourser 3 670 milliards de yuans, d’après les calculs de l’entreprise chinoise d’analyse de données Wind.

Cette augmentation rapide de l’endettement rappelle la situation japonaise après l’explosion de la bulle immobilière, lorsque le Japon a consenti à accroître son déficit budgétaire pour financer son stimulus économique.

Pour remédier à cette situation, Pékin pourrait stabiliser les revenus des gouvernements locaux en introduisant une taxe foncière, sujet hautement sensible dans un pays de propriétaires. De même, l’Etat central pourrait renflouer les gouvernements locaux, même si cela aurait pour conséquence d’accroître son propre déficit budgétaire. Autre piste : favoriser les transferts de fonds entre provinces riches et celles moins bien loties, malgré leur réticence…

En somme, le gouvernement chinois a tous les outils à sa disposition pour éviter une « japonisation » de son économie, mais encore faut-il qu’il soit prêt à entreprendre des réformes, aussi douloureuses qu’indispensables. Xi Jinping fera-t-il preuve de davantage de courage politique que ses prédécesseurs durant son 3ème mandat pour s’atteler à la tâche ? Cela reste à voir…

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