Agriculture : La « réjuvénation rurale », nouveau cheval de bataille

La « réjuvénation rurale », nouveau cheval de bataille

Comme chaque année depuis 2003, le Conseil d’État a consacré son premier document de l’année lunaire au monde rural et à l’agriculture, témoignant de leur importance aux yeux du leadership.

Dans le « document n°1 » publié le 21 février, la lutte contre « la grande pauvreté », éradiquée grâce aux efforts du Président Xi Jinping, a fait définitivement place à la « réjuvénation rurale » (乡村振兴, xiāngcūn zhènxīng). Une nouvelle agence lui est même consacrée, « l’administration nationale de la revitalisation rurale » (NARR), remplaçant le groupe directeur chargé de la lutte contre la pauvreté créé en 1985 par le Conseil d’État. Wang Zhengpu (王正谱), ancien chef de l’organisation dans la province du Sichuan, qui a passé 23 ans au ministère de l’Agriculture, devient son premier directeur, aux côtés d’anciens cadres chargés de la lutte contre la pauvreté, Hong Tianyun et Xia Gengshen.

À travers les 26 points du document, l’idée conductrice est de garantir la sécurité alimentaire du pays et de ses 1,4 milliard d’habitants. « Un problème qu’il est hors de question de prendre à la légère », commente le nouveau ministre de l’Agriculture Tang Renjian. Il poursuit en illustrant ses propos d’un proverbe populaire : « on n’a pas à s’inquiéter tant qu’on a des céréales dans le creux de la main » (手中有粮, 心中不慌). Ainsi, le leadership ambitionne d’augmenter les récoltes, tout en protégeant le pays des aléas internationaux, selon sa nouvelle stratégie de « circulation duale ». En effet, les disputes géopolitiques (avec les États-Unis, l’Australie, le Canada…) et la pandémie sont venues perturber l’approvisionnement alimentaire chinois, tandis que plusieurs catastrophes naturelles ont impacté la production domestique.

En un retour aux fondamentaux agricoles, le « document n°1 » appelle toutes les provinces à accroître leurs rendements, en blé, maïs, riz, coton, sucre et viande, durant la période du 14ème plan quinquennal (2021-2025). Le gouvernement envisage aussi de mettre en place une « ceinture nationale pour la sécurité alimentaire » (国家粮食安全产业带), reliant les 13 « greniers » à céréales du pays (notamment dans le Hebei, Henan, Shandong) représentant 78% de la production nationale. L’industrie porcine est explicitement mentionnée, après avoir été décimée par l’épidémie de fièvre porcine. Le ministre Tang Renjian est optimiste : le cheptel porcin chinois devrait retrouver son niveau de 2017 d’ici juin 2021.

À l’inverse des années précédentes, le « document n°1 » intègre des objectifs chiffrés : produire au moins 1,3 trillion de jin (650 millions de tonnes) de céréales en 2021 (670 milliards en 2020) et disposer de 100 millions de mu (6,67 millions d’hectares) de terres arables de haute qualité qui pourront garantir de bonnes récoltes malgré d’éventuels désastres naturels (inondations, sécheresse…). Le pays manquant cruellement de terres arables, le « document n°1 » maintient son seuil visant à en préserver 1,8 milliard de mu (120 millions d’hectares, soit la superficie de l’Afrique du Sud) de l’urbanisation galopante.

Nouveau terme à la mode, l’objectif d’autosuffisance (自力更生, zìlì gēngshēng) est récurrent dans le document n°1. D’après le vice-ministre Zhang Taolin, la Chine l’est déjà en riz et en blé, à 85% en produits aquatiques, 75% en bétail et volaille. Par contre, elle accuse un retard important en maïs et en soja (son rendement est de seulement 60% par rapport à celui des États-Unis), en porc et en lait (80% des niveaux internationaux les plus avancés).

Dans sa quête vers l’autosuffisance alimentaire, la Chine semble prête à autoriser davantage de semences OGM, de manière à augmenter la productivité des grains alimentaires. Elles constitueront d’ailleurs une priorité du nouveau plan quinquennal (2021-2025) au même titre que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et l’internet quantique. Pour y arriver, les entreprises dans le domaine des biotechnologies agricoles recevront un soutien prioritaire de l’État.

Jusqu’à présent, la Chine autorisait l’importation d’OGM transgéniques destinés à l’alimentation animale (maïs, soja…) mais très peu leur culture. Dix ans après la dernière autorisation délivrée, Pékin approuvait début 2020 trois semences transgéniques conçues en Chine (deux de maïs et une de soja, modifiées pour tolérer des herbicides à base de glyphosate et produire des toxines insecticides). Deux nouvelles semences transgéniques du groupe pékinois Dabeinong Technology (dont une de maïs, résistante à la chenille légionnaire d’automne qui a dévasté les champs chinois en 2019) ont également reçu un premier feu vert des autorités début 2021. Il faudra pourtant convaincre l’opinion publique que ces OGM sont sans danger. Et c’est loin d’être gagné : une étude de juin 2018 publiée dans le journal Nature rapportait que presque un Chinois sur deux avait une opinion négative des OGM.

Autre accent majeur du « document n°1 » : la participation des grandes entreprises de la tech. Déjà impliquées depuis plusieurs années dans la formation des paysans au e-commerce et au live-streaming (13 millions d’entre eux vendent déjà en ligne), les géants de l’internet expérimentent également aux quatre coins du pays des nouvelles technologies pour pallier au manque de main-d’œuvre dans les campagnes et augmenter le rendement agricole. Au Fujian, Alibaba équipe des poulets de bracelets électroniques mesurant leur activité quotidienne. Dans le Shanxi, JD.com installe des capteurs intelligents dans les rizières, contrôlant en temps réel leur irrigation, et a recours à une technologie satellitaire pour cartographier les champs de patates. Pinduoduo, le champion du monde rural, a lui mis en place une serre de fraises high-tech dans le Yunnan. Indéniablement, l’agriculture intelligente représente l’un des domaines où les intérêts de ces géants convergent avec ceux du gouvernement, alors que leur position monopolistique et leurs activités fintech sont passées au crible par les autorités.

Seulement, pour développer ces activités, ces géants de la tech ont besoin que des formateurs et des spécialistes soient présents sur place. L’université de l’Agriculture (Pékin) calcule qu’il en faudrait 2,1 millions supplémentaires dans les campagnes, un déficit qui s’accentuera à 3,5 millions d’ici 2035. Conscient du manque d’attractivité de ces régions rurales, le gouvernement a élaboré une stratégie pour que travailleurs migrants, jeunes diplômés, médecins, enseignants et talents de la tech, s’installent dans les campagnes, soit pour y créer des coopératives agricoles, y développer le e-commerce et le tourisme rural, ou y exercer leur métier. Pour cela, les autorités sont prêtes à offrir des logements à prix attractifs et des allocations aux volontaires. Reste à voir combien répondront à l’appel.

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