Le gaspillage alimentaire, ça suffit ! Fin décembre, les législateurs chinois ont commencé à étudier une proposition de loi (反食品浪费法) pour lutter contre ce fléau qualifié de « choquant et inquiétant » en août dernier par le Président Xi Jinping. Une déclaration qui avait relancé la campagne de sensibilisation « assiettes propres » lancée en 2013.
Inspiré de plusieurs lois étrangères sur le sujet, dont celle française de 2016 interdisant aux commerces de jeter de la nourriture comestible, le texte étudié par le Comité Permanent de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) propose notamment d’autoriser les 6,7 millions de restaurateurs chinois à facturer aux clients des « frais de nettoyage » si les restes alimentaires sont trop importants. À l’inverse, une amende de 1 000 à 10 000 yuans pourrait être infligée aux serveurs s’ils incitent les clients à trop commander. Les menus devront également comporter plus d’informations sur la taille des portions : ce plat est-il suffisant pour une, deux, trois, personnes ?
Le projet de loi envisage aussi d’interdire les « gros estomacs » (大胃王, dà wèi wáng), ces vloggeurs-gloutons qui ingurgitent des quantités énormes de nourriture en un temps record. Les plateformes de live-streaming et chaînes TV diffusant de tels shows pourront être punies jusqu’à 100 000 yuans et se voir retirer leurs licences. Le public a jusqu’au 29 janvier pour donner son opinion sur le texte.
Sur la toile, la proposition de loi a laissé une majorité d’internautes sur leur faim, la qualifiant « d’exagérée », « d’idéaliste », « d’inutile » et « de contre-productive ». « Est-ce bien raisonnable de déléguer aux restaurateurs le pouvoir de jauger s’il y a un abus ou non de la part des consommateurs ? Dans une société où le client est roi, cela me parait très improbable qu’un patron ose y avoir recours », commente un internaute.
Certains s’inquiètent aussi que cette loi conduise les restaurants à servir moins de nourriture pour le même prix, pénalisant ainsi les clients. D’autres s’interrogent : que se passera-t-il si le client a un petit appétit ou tout simplement n’aime pas son repas ?
Faisant référence aux récentes coupures d’électricité dans le Zhejiang décrétées par le gouvernement local pour atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions carbone, un internaute fait preuve de scepticisme quant aux raisons qui ont poussé les autorités à ébaucher un tel texte : « cette loi est encore une fois la création de fonctionnaires zélés qui proposent des politiques absurdes simplement pour contenter le leadership central [Xi Jinping]».
Quant aux internautes jouant systématiquement sur la corde nationaliste pour soutenir les politiques du gouvernement, ils sont plutôt silencieux… Difficile pour eux en effet, de prendre part au débat puisqu’officiellement la Chine ne connait pas de problème d’approvisionnement alimentaire.
Finalement, cette proposition tombe à plat puisqu’elle ne traite pas les cas de gaspillages les plus importants, à savoir ceux de banquets officiels, de la restauration collective, des repas de mariage et des fêtes de famille. Surtout, cette loi et les sanctions qu’elle prévoit devraient s’avérer inefficaces face à l’aspect « culturel » du gaspillage, commander de nombreux plats au restaurant restant un moyen d’afficher sa réussite sociale et sa générosité, tandis que ne pas finir son assiette est un signe de politesse vis-à-vis de son hôte. Une des clés au problème réside plutôt dans un changement des mentalités, qui passe notamment par une sensibilisation dès le plus jeune âge des enfants, qui à leur tour pourraient être vecteurs de changement auprès de leurs parents.
Sommaire N° 2 (2021)