Finance : Un « chasseur de risques » à la tête de la Banque Centrale

Un « chasseur de risques » à la tête de la Banque Centrale

Voilà une nomination que l’on n’attendait pas : celle de Pan Gongsheng, 60 ans, à la tête de la Banque Centrale, en remplacement de l’actuel secrétaire du Parti, Guo Shuqing, 66 ans, sur le point de partir à la retraite. Selon la rumeur, Pan serait également amené à endosser le rôle de gouverneur de cette même institution, tenu à ce jour par Yi Gang, 65 ans, également sur le départ. Si ce scénario se concrétise, cela placerait Pan au même niveau que l’un de ses mentors, « l’indispensable » Zhou Xiaochuan, qui a également occupé les deux postes simultanément de 2002 à 2018. Cependant, le fait que Pan ne soit pas membre du Comité Central, à l’inverse de tous ses prédécesseurs, laisse entrevoir qu’il ne jouira pas de la même influence qu’eux…

Cette nomination* a surpris les observateurs, car Pan avait perdu sa place de membre suppléant du Comité Central lors du XXème Congrès du Parti, ce qui laissait supposer qu’il n’était pas destiné à être promu. Toutefois, son profil de technocrate, sans lien problématique connu avec une faction politique, et surtout son expérience à l’international, censée rassurer les investisseurs étrangers, lui auraient permis de se démarquer des autres candidats.

En effet, Pan, titulaire d’un doctorat en économie de la prestigieuse université Renmin (Pékin), a effectué deux ans de recherches postdoctorales à Cambridge (1997-1999) et passé six mois en tant que chargé de recherche à la Harvard’s Kennedy School en 2011. Il va donc sans dire qu’il parle anglais couramment.

Le reste de son CV est tout aussi impressionnant : après presque deux décennies passées au sein de deux des quatre grandes banques chinoises (ICBC et Agricultural Bank of China) dont il a co-piloté l’entrée en bourse, Pan devient en 2012 vice-gouverneur de la Banque Centrale, puis quatre ans plus tard, directeur de l’Administration publique des échanges internationaux (SAFE), qui gère la réserve de devises étrangères la plus importante au monde (3 200 milliards de $). De tous les candidats, « Pan était celui qui connaît le mieux le milieu financier et que le milieu financier connaît le mieux », résume un analyste.

Sa réputation de « chasseur de risques » – une « quête éternelle » selon ses dires – le précède. De fait, Pan mena une guerre sans merci contre la fuite de capitaux et les crypto-monnaies. « Asseyez-vous au bord de la rivière et observez attentivement, un jour vous verrez le corps du bitcoin flotter sous vos yeux », lançait-il lors d’une conférence en 2017.

Pan est également connu pour ses positions fermes à l’encontre des spéculateurs de devises et pour avoir œuvré au durcissement réglementaire encadrant le marché immobilier et la fintech, manière de prouver sa loyauté à Xi Jinping, critère-clé pour obtenir une promotion. C’est lui qui aurait piloté la rectification d’Ant Financial, suite aux propos perçus comme arrogants de son fondateur Jack Ma. Deux mois après l’entrée en bourse avortée du bras financier d’Alibaba en novembre 2020, Pan lui sommait de redevenir une simple plateforme de paiement en ligne et d’arrêter de marcher sur les plates bandes des banques traditionnelles. D’ailleurs, le fait que la Banque Centrale annonce avoir infligé à Ant une amende record de 7,12 milliards de yuans (presque 1 milliard de $) au lendemain de la nomination de Pan laisse entrevoir son implication dans cette affaire.

Plus récemment, Pan aurait appelé à durcir la campagne anti-corruption à l’encontre des jeunes cadres évoluant dans la finance… Il ne fait par là que suivre les consignes de Xi Jinping, que le rumeur dirait « choqué » par certains cas de corruption dans le secteur, dont le quotidien est aujourd’hui rythmé par des inspections régulières, des séminaires idéologiques et des coupes de salaires…

Ce changement de direction à la Banque Centrale s’inscrit dans le cadre d’un remaniement du système de supervision du secteur financier, avec la création de deux nouvelles commissions sous l’autorité du Parti, dont l’une (la « commission financière centrale », sous la houlette de He Lifeng, un proche de Xi Jinping) chapeautera les activités de la Banque Centrale.

Cette réorganisation reflète la préoccupation croissante – certains diraient l’obsession – de Xi Jinping de prévenir tout risque d’instabilité financière, sapant au passage le peu d’influence dont jouissait encore la Banque Centrale. De fait, le leadership a rappelé à plusieurs reprises ces dernières années que la Banque Centrale était avant tout sous l’autorité du Parti, tuant dans l’œuf tout espoir de politique monétaire indépendante.

Dans un tel contexte, Pan Gongsheng sera davantage amené à jouer le rôle de consultant et d’exécutant que le rôle de décisionnaire… Il aura néanmoins fort à faire : la reprise économique s’essouffle, le secteur immobilier peine à retrouver sa vigueur d’antan, la dette des collectivités locales atteint des sommets (9 000 milliards de $) tandis que le yuan ne parvient pas à se stabiliser et continue sa lente dépréciation pour frôler son niveau le plus bas depuis 15 ans (7,3 yuans pour 1 $)…

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* La prochaine nomination pressentie après celle de Pan Gongsheng et de Li Yunze, nouveau directeur de la tutelle financière (NFRA – National Financial Regulatory Administration), est celle du remplaçant de Liu Kun, actuel ministre des Finances qui doit également prendre sa retraite. Une fois la nouvelle équipe financière en place, Pékin pourra convoquer la « conférence nationale sur la finance » (NFWC), attendue depuis quelque temps déjà, qui à son tour pourrait éventuellement venir avaliser un stimulus économique plus conséquent. 

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