Le Vent de la Chine Numéro 13 (2021)

du 4 au 10 avril 2021

Editorial : Le Xinjiang, un sujet coton
Le Xinjiang, un sujet coton

Depuis 1989, l’Union Européenne (UE) n’avait plus décrété de sanctions à l’égard de la Chine. Le traitement des minorités musulmanes au Xinjiang l’a poussée à changer d’avis le 22 mars, sanctionnant quatre responsables politiques et une coopérative de prodication agro-militaire de la région autonome du Far West chinois. Le Royaume-Uni et le Canada ont fait de même, bientôt rejoints par les États-Unis.

Si Bruxelles avait effectivement anticipé des représailles de la part de Pékin, elle ne s’attendait probablement pas à un tel retour de bâton : Pékin a sanctionné dix personnalités (dont cinq membres du Parlement Européen et deux chercheurs) et quatre entités (dont un think tank spécialisé sur la Chine). Suite à quoi le compte Weibo de la Ligue de la Jeunesse communiste a exhumé un communiqué daté de septembre dernier du numéro un mondial du prêt-à-porter, H&M, déclarant que le groupe allait arrêter d’acheter du coton au Xinjiang, soupçonné de faire l’objet de travail forcé, la région étant à l’origine de 20% de la production mondiale. Les internautes chinois n’ont pas tardé à appeler au boycott du géant vestimentaire suédois, mais aussi d’autres membres de l’association Better Cotton Initiative (BCI) tels que Adidas, Hugo Boss, Burberry, Nike… Autant de marques qui ont vu leurs ambassadeurs chinois rompre leur contrat et leurs e-shops retirés des plateformes de e-commerce chinoises.

Si les multinationales sont déjà bien conscientes de faire des affaires en Chine à leurs risques et périls, cet appel au boycott est inédit sous plusieurs aspects. À l’inverse de certains épisodes larvés visant une seule marque pour diverses raisons  (« insensibilité culturelle », carte de Chine « erronée », prises de positions politiques…), ou ciblant un seul pays (Corée du Sud en 2017 à propos du bouclier anti-missiles THAAD, Japon en 2012 au sujet des îles Diaoyu-Senkaku, France en 2008 avant les JO liés aux questions tibétaines…), la crise du coton du Xinjiang affecte l’ensemble du secteur textile, obligeant ses acteurs à prendre position, pris entre deux feux (le public occidental et chinois).

Outre l’ampleur notable de cet appel au boycott, sa virulence peut s’expliquer par le calendrier. En effet, l’opinion publique chinoise est ressortie galvanisée de la rencontre diplomatique sino-américaine à Anchorage (USA), durant laquelle Yang Jiechi, conseiller aux Affaires étrangères du Parti, a clamé que « les États-Unis ne sont pas qualifiés pour s’adresser à la Chine en position de force »…

Si cette fièvre cotonnière retombera probablement avec le temps, l’affaire a également relancé une campagne médiatique tous azimuts, la Chine niant toute accusation de génocide et justifiant la nécessité de ces camps de « rééducation professionnelle ». Des commentaires de ressortissants étrangers en faveur de la politique chinoise au Xinjiang sont relayés par les médias d’État ainsi qu’ en conférence de presse du ministère des Affaires étrangères, tandis que la chaine de télévision internationale CGTN a publié le 2 avril la dernière partie de son documentaire consacré à la lutte contre le terrorisme au Xinjiang, avec témoignages de terroristes ouïghours repentis et cadres aux « doubles visages » (condamnés à la peine de mort ou à la prison à la vie), notamment pour avoir autorisé des manuels scolaires « dissidents ».

Sur le terrain, la campagne de rectification des organes de police et de justice au Xinjiang bat son plein depuis le 14 mars, le Secrétaire de la région Chen Quanguo voulant transformer les forces de l’ordre en « une armée à toute épreuve capable de gagner la bataille contre le séparatisme et le terrorisme ». Les autorités annoncent aussi redoubler d’efforts pour apprendre le mandarin dans les écoles du Xinjiang, et « siniser » l’islam. Au cinéma, une comédie musicale inspirée de « La La Land », chante la joie de vivre des habitants du Xinjiang…

Il est clair que pour Pékin, faire marche arrière n’est plus possible, ce qui serait considéré comme un aveu de faiblesse. Ainsi, ce qui était encore négocié hier, ne l’est plus (comme une rencontre de diplomates européens avec les hauts dirigeants de la région), et d’éventuelles déclarations d’apaisement ne sont plus du tout à l’ordre du jour depuis la pandémie. Rappelons qu’après avoir nié l’existence de ces camps jusqu’à mi-2018, Pékin avait finalement admis les avoir construits à des fins de « formation », puis avait déclaré début 2019 que ces centres seraient fermés lorsque « la société n’aurait plus besoin d’eux », avant d’affirmer que tous les pensionnaires avaient reçu leur diplôme fin 2019… Depuis lors, la Chine campe sur ses positions.

Au-delà du Xinjiang, il faut souligner que depuis 2012, le nombre de lignes à ne pas franchir aux yeux de Pékin ne cesse d’augmenter (mer de Chine du Sud, Taïwan, Hong Kong, les origines du coronavirus…). Ces dossiers sont considérés comme des affaires de souveraineté nationale, et passent avant tous ses autres intérêts, comme celui de signer un accord d’investissement avec l’UE pour lequel le principal gain pour la Chine était d’enfoncer un coin symbolique dans la coordination transatlantique… Sous cette perspective, aucune inflexion chinoise n’est donc à attendre, surtout l’année du centenaire du Parti.


Environnement : Les débuts tant attendus du marché du carbone
Les débuts tant attendus du marché du carbone

Attendu depuis 2017, la Chine vient d’officialiser le 1er février le lancement de son marché national du carbone. Le projet, extrêmement ambitieux, ne date pas d’hier. Cela fait des années que le pays – à la fois premier pollueur mondial et premier investisseur dans les énergies renouvelables – y travaille. Mais la promesse du Président Xi Jinping d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, lui a donné un nouvel élan.

Les règles qui vont régir le marché ont été publiées par le ministère de l’Environnement et de l’Écologie (MEE), piloté par Huang Runqiu. Certes, l’autorité du ministère est moindre que celle de la tutelle de l’économie, la NDRC, qui avait copublié un plan de développement de la bourse carbone en décembre 2017. Cependant, cette réglementation va jouer un rôle de transition en attendant l’adoption d’une loi à plus au niveau – potentiellement celle sur le changement climatique, en préparation.

Inspiré du mécanisme d’échanges de quotas d’émissions carbone de l’Union Européenne (Emission Trading System, ETS selon l’abréviation anglaise), le système chinois va d’abord se limiter à 2225 centrales thermiques, qui émettent chacune au moins 26 000 tonnes d’équivalent CO2 par an.

Le secteur énergétique dont 58% de l’électricité provient du charbon – représente plus d’un tiers des émissions de dioxyde de carbone du pays. C’est suffisant pour faire de la Chine, le premier marché du carbone au monde.

Huit autres industries polluantes comme la sidérurgie, la pétrochimie et l’aviation civile, devraient être intégrées au moment opportun, représentant plus de 10 000 entreprises et un total de 5 milliards de tonnes de CO2 d’émissions jusqu’en 2025.

Au départ, les « permis de polluer » seront distribués gratuitement aux entreprises selon leur historique d’émissions et des seuils de référence sectoriels. Puis les plus « vertes » d’entre elles vendront leur surplus aux plus polluantes en bourse. Cette place nationale, dont le centre d’échanges sera basé à Shanghai et la plateforme d’enregistrement installée à Wuhan, sera dirigée par un institut indépendant. Lancée d’ici fin juin, elle devrait voir s’échanger virtuellement pour 200 millions de tonnes d’émissions de CO2.

Ce système national viendra intégrer les huit bourses régionales-pilotes lancées à titre expérimental depuis 2011 (Shenzhen, Shanghai, Pékin, Guangdong, Tianjin, Hubei, Chongqing et Fujian). Malheureusement, leur fonctionnement a été plombé par des déclarations erronées et « l’évasion carbone » des entreprises dans des régions non concernées par ce système… Avec l’entrée en vigueur d’un marché s’appliquant au pays entier, il ne sera plus possible d’aller polluer dans la province voisine.

En un effort de transparence, les firmes concernées par l’ETS auront l’obligation de rendre public leur bilan annuel d’émissions. Un chiffre qui devra être vérifié indépendamment. Par contre, le montant de l’amende en cas de falsification, de dissimulation ou de refus de publication des données, est loin d’être dissuasif (entre 20 000 et 200 000 yuans)…

Différence de taille par rapport au mécanisme européen, le système chinois ne fixe pas un plafond absolu aux émissions de gaz à effet de serre. Il attribue des permis aux centrales thermiques en fonction de leur « intensité énergétique », c’est-à-dire la quantité de CO2 émise par unité d’énergie générée. Cette approche est consistante avec celle adoptée dans le 14ème plan quinquennal (2021-2025), ancrant les efforts de réduction de l’intensité énergétique du pays à la croissance du PIB. Pourtant, ce mode de fonctionnement pourrait avoir un effet pervers et rendre les nouvelles centrales à charbon plus attrayantes sur le plan économique.

Par ailleurs, le prix du carbone devrait débuter très bas : entre 30 et 40 yuans la tonne de CO2contre 30 euros en Europe et 17 dollars en Californie fin 2020. Ce prix peu élevé peut s’expliquer par la crainte des compagnies d’État que ce surcoût n’impacte leur rentabilité, puisqu’il ne sera pas répercuté sur le consommateur final, le prix de l’électricité étant toujours fixé par les provinces. Pour que le prix du carbone ait la plus forte incidence sur la réduction des émissions de CO2 dans le secteur énergétique, une étude datée de 2018 évalue qu’il devrait tourner autour de 150 yuans la tonne.

Il est donc clair que, dans sa forme actuelle, le système d’ETS chinois manque d’arguments pour inciter les firmes à réellement réduire leurs émissions, mettant l’accent sur la bonne déclaration carbone des entreprises. Les experts estiment par ailleurs qu’il va falloir attendre entre trois et cinq ans pour que ce système soit entièrement opérationnel – c’est suffisamment longtemps pour approuver des centaines de nouvelles centrales à charbon… Mais le jour où Pékin décidera de faire preuve de davantage d’ambition, ce marché du carbone a le potentiel de devenir un outil déterminant de la décarbonisation chinoise.


Culture : Un royaume oublié réécrit l’histoire de la civilisation chinoise
Un royaume oublié réécrit l’histoire de la civilisation chinoise

De récentes découvertes sur le site archéologique de Sanxingdui (三星堆), à 40km de Chengdu (Sichuan), viennent remettre en cause les origines de la civilisation chinoise.

Tout a commencé au printemps 1929, lorsqu’un paysan a accidentellement déterré plusieurs objets en jade. La découverte est retombée dans l’oubli durant les soixante années suivantes, avant que la première fouille d’ampleur sur le site n’ait été lancée en 1986.

Depuis lors, une ancienne cité fortifiée de 12 km2 a été mise au jour par les archéologues, le long des berges de la rivière Minjiang. Elle aurait appartenu au royaume de Shu (蜀), une civilisation théocratique de l’âge de bronze qui n’est mentionnée dans aucune archive historique. Méconnue, elle se serait développée il y a plus de 5000 ans et aurait prospéré durant plus de 2000 ans. Selon certains chercheurs, le royaume de Shu pourrait avoir été anéanti par des inondations massives ou un tremblement de terre… avant d’être annexé par le royaume chinois de Qin au IVe siècle avant J.-C.

Outre les fondations de nombreux bâtiments, plus de 50 000 objets ont été déterrés depuis le début des fouilles. Des épées de jade, un sceptre en or, un fourreau gravé de symboles inconnus, une statue en bronze de 2,65 mètres, un intriguant « arbre de vie » en bronze de plus de 3,95 mètres de haut (cf photo), mais aussi du riz carbonisé et des résidus de soie, ce qui permet d’affirmer que cette civilisation maîtrisait cet art, dont le commerce a débuté en Chine au troisième millénaire av. J.-C.

La découverte la plus remarquable, révélée avec grande fierté au public le 20 mars, provient d’une des six fosses sacrificielles en cours d’exploration par les archéologues. C’est un fragment de masque fait d’or pur à 84% (cf photo). L’objet entier devait mesurer 28 cm de haut sur 23 cm de large et peser jusqu’à 500 grammes. Sa forme rectangulaire, ses énormes yeux en amande, ses oreilles disproportionnées et percées, son nez proéminent et triangulaire, sa fine bouche, ont conduit les internautes chinois à suspecter une origine extra-terrestre, lui trouvant une ressemblance avec le peuple alien du film Avatar. Une thèse réfutée par les scientifiques, qui expliquent que ce masque représentait probablement une divinité et devait être porté par un prêtre.

Les experts soulignent tout de même que le style sculptural développé par les artisans de Sanxingdui et leur expertise technique se distinguent des autres formes d’art chinois de la même époque, notamment celles de la dynastie Shang (1570-1045 av. J.-C). Pourtant, certains artefacts puisent leurs racines dans des objets de l’époque néolithique chinoise, ce qui contredit l’idée que la civilisation chinoise a comme unique origine le fleuve Jaune. En effet, la région, appelée « zhōng yuán » (中原), ou la « plaine du milieu », a été longtemps considérée par les Chinois comme le berceau d’une civilisation la plus avancée techniquement, les peuples extérieurs étant considérés comme des « barbares ». Les découvertes de Sanxingdui, site candidat au patrimoine mondial de l’UNESCO, viennent démontrer le contraire et laissent entrevoir que l’histoire de la civilisation chinoise est peut-être plus complexe que ce que l’on pensait.


Société : Le rituel autour de la fête de Qingming enterré ?
Le rituel autour de la fête de Qingming enterré ?

Célébré en Chine depuis plus de 2500 ans, le festival de la « lumière pure » (qīngmíng, 清明) du 3 au 5 avril, est l’occasion pour les familles de se réunir sur les sépultures de leurs proches disparus et d’honorer leur mémoire.

Cette tradition confucéenne millénaire n’a été érigée au rang de fête nationale qu’en 2008 par un gouvernement désireux de raviver sa popularité auprès de la jeunesse chinoise, mais aussi de stimuler la consommation en offrant trois jours de congés à la population. Ils seront 100 millions à partir en excursion cette année – c’est presque autant qu’avant la pandémie.

À la veille de cette Toussaint chinoise, le rituel qui consiste à brûler de la « monnaie de l’enfer » (faux billets, smartphones, voitures de sport et sacs de luxe en carton…) pour agrémenter la vie du défunt dans l’au-delà, fait débat.

À Harbin, les autorités ont qualifié cette coutume de « polluante » et « dangereuse », étant parfois à l’origine d’incendies de forêt. C’est pourquoi, cette année, les marchands « n’auront nulle part où vendre » et les acheteurs « n’auront rien à brûler » dans la capitale provinciale du Heilongjiang.

Un ban qui a fait des émules à travers le pays : Pékin, Tianjindeux villes touchées par la pollution – et la province de Hainanîle écolo – ont également suivi, appelant à une commémoration « civilisée » des disparus.

Ce n’est pas la première fois que les coutumes du pays sont bousculées par le gouvernement pour des raisons environnementales ou de sécurité (incendie). Lors du Nouvel An lunaire, les feux d’artifice et les pétards sont désormais interdits dans les grandes villes pour limiter la pollution et éviter les départs de feu accidentels.  

« C’est typique de la gouvernance paresseuse, estime Zheng Tuyou, vice-président de la société chinoise du folklore et professeur à l’université Fudan à Shanghai, ces mesures n’auront pas les résultats attendus ».

La plupart des internautes sont du même avis. « Si les autorités veulent vraiment faire quelque chose pour la qualité de l’air, qu’ils ferment les usines polluantes d’abord », écrit un utilisateur de Weibo. « Tant qu’à faire, pourquoi pas ne pas interdire de brûler de l’encens dans les temples ? », s’indigne un autre. Dans un contexte actuel tendu au sujet du traitement de la minorité ouïghoure musulmane au Xinjiang, un internaute note que « tout ce qui est qualifié de ‘superstitieux’ ou ‘religieux’ est dans le collimateur des autorités, mais cette fois, ils vont trop loin en touchant à nos coutumes Han ».

Pourtant, selon la fête de Hanshi (寒食节), intégrée il y a plusieurs siècles au festival de Qingming puis progressivement abandonnée, il était proscrit de faire du feu – ce qui explique la coutume de manger des plats froids ou des aliments crus. Sous cette perspective, l’interdiction de brûler de la monnaie de l’enfer apparait moins comme un abandon qu’un retour à la plus pure tradition !


Podcast : 12ème épisode des « Chroniques d’Eric » : 2ème Lion entre au Parti
12ème épisode des « Chroniques d’Eric » : 2ème Lion entre au Parti
Venez écouter le 12ème épisode des « Chroniques d’Eric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.
 
Les jeunes deviennent grands, même en Chine dans un foyer de militants communistes de la première heure. Deuxième Lion, le cadet de notre « famille spirituelle » à Pékin, va devoir faire ses premières armes, s’essayer à diverses carrières. La démarche sera il est vrai facilitée par le parrainage et l’esprit de corps dans la Grande Famille du Parti, dont le jeune devient membre.

On va découvrir diverses phases de ces débuts de Deuxième Lion, et l’évolution de son amitié avec moi, le journaliste étranger,  inespérée comme improbable. En effet, la grande et vénérable institution du PCC, est jalouse de tous les sentiments qui ne lui sont pas destinés -pire encore, s’ils ont pour objet un correspondant occidental, membre d’une fonction notoirement soupçonnée d’espionnage au profit de puissances étrangères… 
 
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Petit Peuple : Xichuan (Henan) – Vie et renaissance de Han Shimei (1ère partie)
Xichuan (Henan) – Vie et renaissance de Han Shimei (1ère partie)

La vie que l’on va lire peut paraître sombre, à la manière d’un roman d’Émile Zola. Elle est en fait surtout réaliste, partagée par ces millions de petites gens de l’ombre qui triment, souffrent – mais trouvent parfois beauté et accomplissement au bout de leur nuit !

Le jour de sa naissance au fin fond du Hubei en 1970, Han Shimei était trop occupée à inspirer sa première goulée d’air, pour constater le vif émoi de ses parents qui se disputaient à son sujet : fallait-il la noyer comme un petit chat, puisqu’elle venait d’accoucher par le siège ? C’est ce que voulait sa mère, persuadée (suivant la tradition) que cela ferait d’elle une gamine maléfique et rebelle, tandis que le père, lui, voulait la sauver et lui donner sa chance…

Cette scène, Shimei ne l’apprendrait que 20 ans plus tard, de la bouche de sa mère au moment de rendre son dernier soupir. Elle ne ferait que renforcer la profonde inimitié entre les deux femmes, la marâtre ayant fait subir à sa fille une longue succession d’années noires. Il faut dire que pour cette famille, la révolution avait signifié une vraie malédiction, les deux grands-pères ayant été déclarés ennemis du régime, l’un en tant qu’ancien officier dans l’armée nationaliste et l’autre comme propriétaire terrien. Et puis cette révolution, à ses débuts, ne parvenait pas à nourrir ses enfants : en 1975, au bord de la disette, la famille avait dû se réfugier à Xichuan dans le Henan voisin, pour trouver de quoi échapper à la famine. Quoique mal nourrie, la petite Shimei était douée pour les études, finissant invariablement l’année parmi les 3 premières de la classe. Mais pour épargner les 18 yuans d’écolage annuel, sa mère l’avait arrachée de l’école dès l’âge de 13 ans pour aller trimer aux champs, où elle cultivait des piments, maigre chère.

À 19 ans en 1989, ses parents l’avaient vendue en mariage – pour 3000 yuans. Dans un pays en manque chronique de filles à marier, telle dot était des plus médiocres, mais malgré tout un peu plus que celles de ses cadettes, cédées pour 500 voire 1000 yuans. Les parents avaient pu exiger plus pour elle, parce que son fiancé était incapable d’aligner plus de trois mots.

Pour une fois, Han Shimei s’était rebellée contre la décision de ses parents, et cette union sordide : elle avait tenté de déclarer que face à l’officier de l’état civil, elle dirait non. Mais sa mégère de mère, nullement décidée à se laisser déposséder de ce petit cachet, avait entamé contre elle la guerre d’usure, à force de gifles, de coups de pied et d’insultes – « avec la tête que tu as, lui assénait-elle quotidiennement, comment oses-tu faire des histoires » ? Avec une incroyable force de volonté, la jeune fille résista trois ans, mais sans oser toutefois se trouver un autre fiancé, ou monter travailler à la ville. Puis au printemps 1992, à bout de force, elle finit par céder, en pleurant. Le jour des noces, la belle-mère avait organisé le banquet de vingt convives, remis à sa mère les 3000 yuans promis. De ce montant, Shimei n’en récolterait que 200, et encore, en nature, sous la forme de quatre tenues, robes, pantalons, chemises et manteau de gros coton molletonné. C’étaient les premiers vêtements neufs de sa vie .

Une fois chez ses beaux-parents, loin de voir sa vie s’embellir, elle la vit sombrer au-delà de ses pires cauchemars. Dans cette famille dégénérée, la mère était naine, le père demeuré, tout comme celui qu’on lui avait donné pour mari. Chez eux, le silence régnait. Les seules voix qu’on entendait chez eux, étaient celles des créanciers venant réclamer le paiement de leurs dettes. Chaque matin, le mari se levait en silence, prenait son bol de zhou sans piper mot et se rendait à son travail dans un salon de coiffure. Le soir, la même scène se répétait, dîner où les seuls bruits étaient ceux des bouches avalant la soupe de riz rapportée par Shimei qui travaillait comme cantinière dans une usine. Shimei pouvait se nourrir, une fois les autres repus -ce qui était rare : quand elle accoucha de son aîné en 1993, ses sœurs venues lui rendre visite, se cotisèrent pour lui offrir deux casiers d’œufs, histoire de la nourrir durant l’allaitement.

Bientôt elle se lassa d’être seule à parler, face à ces visages inexpressifs. Elle reporta dès lors tous ses efforts sur l’avenir de son fils. À l’usine, elle mettait les temps libres à profit pour fabriquer des pantoufles de laine qu’elle vendait au marché. C’est ainsi qu’elle paya les études de son fils à Zhengzhou, la capitale locale. Elle lui chercha aussi une femme, au prix de 50000 yuans en vêtements, cadeaux et frais d’entremetteuse. Mais ses efforts restèrent sans fruit : son fils rejeta d’abord la fiancée, puis en épousa une autre, mais qui le quitta au bout de quelques mois.

Les études du fils furent pour Han Shimei source d’une autre déception. De son université, il était sorti ingénieur. Mais au moment d’intégrer en entreprise, il fut recalé à la visite médicale, qui lui détecta un souffle au poumon : dès lors, il dut prendre un simple job d’ouvrier dans l’usine de sa mère, comme s’il n’avait ni bac, ni diplôme ! Pour la mère, c’était l’effondrement de ses rêves d’élévation sociale.

Une vie fichue ? Eh bien non. Contre toute attente, elle va renaître, sous l’effet de son énergie vitale, qui rejaillit et vient à bout de toutes les épreuves. Chez Han Shimei, une nouvelle vie redémarre, à 49 ans. Laquelle ? C’est celle de l’adage bouddhiste qui affirme : « dans la mer amère, le rivage est là, au tournant du regard » ( 苦海无边,回头是岸 kǔ hǎi wú biānhuí tóu shì àn) !


Rendez-vous : Semaines du 5 avril au 9 mai
Semaines du 5 avril au 9 mai

9- 11 avril, Shenzhen: CEF, Salon chinois de l’électronique

12 – 17 avril, Pékin : CIMT, Salon international de la machine-outil

13-16 avril, Shanghai : CHINAPLAS’2021, Salon international des industries du plastique et du caoutchouc

14 – 16 avril, Pékin : CIENPI, Salon chinois international de l’énergie nucléaire

15- 24 avril, Foire de Canton : China Import and Export Fair, Salon international de l’import-export – en ligne.

20 – 22 avril, Shanghai : IE Expo, Salon professionnel international de la gestion et traitement de l’eau, du recyclage, du contrôle de la pollution atmosphérique et des économies d’énergie

21 – 28 avril, Shanghai : Auto China, Salon de l’automobile

21 – 23 avril, Shanghai : China Smart Card and RFID Technologies, Salon international sur les technologies et applications de la carte à puce et à la RFID et à ses applications dans les produits et services

21 – 23 avril, Shanghai : NEPCON, Salon international des matériaux et équipements pour semi-conducteurs

23- 25 avril, Chengdu: Int’l Solar Photovoltaic & Energy Storage Technology, Salon international des technologies solaires photovoltaïques et de stockage d’énergie

27- 30 avril, Shanghai : Bakery China, Salon international de la boulangerie et de la pâtisserie

6- 9 mai, Shanghai : China Glass, Salon chinois des techniques industrielles du verre