Editorial : Îles Diaoyu : manifs et achat «farces»

Huit jours après les faits, le rachat-nationalisation par Tokyo des îles Diaoyu-Senkaku était qualifié (18/09) par le vice-président Xi Jinping de « farce ». Sans aller jusque-là, le 1er ministre nippon Yoshihiko Noda admettait (18/09) avoir sous-estimé les tensions qui suivraient. Cette autocritique voilée était liée à la visite de Leon Panetta, le patron de la défense américaine, aux deux capitales nippone et chinoise, pour refroidir les esprits suite à 4 jours de campagne (15-18/09) de réaction agressive côté continental. 

Dans 85 villes se succédèrent des manifestations antinippones petites, mais très organisées. Les participants formaient un éventail bigarré de mécontents, entre jeunes heureux de se défouler, patriotes et nostalgiques de Mao. L’agit-prop fournissait la logistique : porte-voix et slogans, et les bouteilles d’eau et œufs à jeter contre les sites japonais, projectiles bénins qui permettaient en fait de limiter les destructions. Mais pas toujours : dans bien des villes, des voitures (même privées, même made in China) furent brûlées au seul fait d’être de marques du Soleil Levant. Des restaurants, supermarchés, concessionnaires nippons furent saccagés. Usines et commerces japonais, protégés par la police, fermèrent un à deux jours. Puis le 18/09 au soir, par l’envoi de quelques millions de SMS bien ciblés, Pékin décréta la fête finie: obéissant, le mouvement se figea. 

Cependant l’affaire coûtera, des deux côtés. Juste reconfirmé à la tête de son parti démocratique d’ici les législatives de 2013, Noda, prêche la fermeté et envoie la note des dégâts à Pékin. Réalisé juste avant les violences, un sondage Reuters auprès de 400 compagnies nippones grandes/moyennes en Chine, voit 41% d’entre elles affirmer que l’affaire de cet archipel inhabité affectera leurs investissements d’avenir. Elles se plaignent aussi de discrimination administrative, et de l’épée de Damoclès pendue au dessus d’elles, d’un boycott toujours possible, imposé par le pouvoir absolu (en un jeu du chat et de la souris). Les plus échaudés parlent de départ. On n’en est pas à remettre en cause les 345 milliards $ d’ échanges bilatéraux, ni des 9,2 millions d’emplois nippons en Chine (en 2005), mais la relation n’est pas ressortie indemne – les fêtes du 40e anniversaire des liens diplomatiques, cette semaine, sont réduites à la portion congrue : on semble revenu aux pires temps de mauvaise entente, sous le 1er ministre de l’époque, le négationniste Junichiro Koizumi (2001-2006). 


Pourtant sur le fond, ces 7km² de rochers n’ont pas d’enjeu tangible, et leur passage sous drapeau rouge est invraisemblable à court terme – les USA viennent de réitérer leur engagement à les défendre aux côtés de l’armée nippone. Dans ces conditions, la vivacité de la réplique chinoise pourrait refléter le besoin de l’APL, l’armée chinoise, en missions et cibles justifiant le maintien de son énorme budget annuel, et plus immédiatement, celui du Parti en une diversion (un écran de fumée) sur ses déchirements internes à deux semaines du Congrès.
La Chine et le monde, doivent s’interroger sur la qualité des rapports politiques qu’elle veut mener avec le Japon : est-il normal qu’elle garde avec des pays dangereux tels Iran ou Corée du Nord des liens plus étroits qu’avec Tokyo ? Une alliance nippone n’accélérerait-elle pas plutôt la stabilité et la croissance d’Asie ? 

D’autre part, l’exploitation de la rue par le régime, comme si le Parti était le miroir de l’âme du peuple, commence à poser problème. La main de l’Etat apparaît dans ces manifs, affaiblissant la légitimité du message. D’autant que des participants y détournent le slogan, les remplacent par leurs propres mots, s’appropriant ainsi un forum interdit par ailleurs. Les portraits de Mao, les cris de « démission aux traitres », ou « Bo Xilai est au cœur du peuple », s’adressent moins au Japon qu’au régime-même: une méthode d’agit-prop commence à patiner. 

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