Editorial : “Ich bin ein Beijinger”

“Ich bin ein Beijinger”

L’anecdote ne manque pas de piquant : lors d’un déjeuner de « dim sum » à la résidence d’Etat Diaoyutai à Pékin, le président chinois Xi Jinping se serait un peu trop avancé en affirmant savoir que son hôte, le chancelier allemand, Olaf Scholz, ne mangeait pas aussi épicé que sa prédécesseure, Angela Merkel. En réponse, M. Scholz aurait suggéré à Xi de chercher un nouveau directeur des renseignements…

Cet épisode, tiré de la 2nde visite officielle en Chine de Scholz (14 au 16 avril), donne un petit aperçu de l’ambiance entre les leaders des deuxième et troisième puissances économiques mondiales, une fois les portes fermées. Devant les caméras, l’atmosphère était présentée comme plus détendue, les deux hommes ayant été filmés déambulant ensemble dans les jardins de Diaoyutai. Cette mise en scène bucolique – qui rappelle celle réservée à Emmanuel Macron l’an passé à Canton – est à l’image de la couverture médiatique en Chine de la visite, qui s’est essentiellement focalisée sur le 10ème anniversaire du partenariat stratégique entre Pékin et Berlin.

A l’international, les commentaires étaient nettement plus critiques. Certains analystes étrangers ont accusé le chancelier allemand de se désolidariser de Bruxelles, alors que la Commission a ouvert plusieurs enquêtes visant les industriels chinois. Le social-démocrate a également été accusé d’avoir mis en sourdine la stratégie de « réduction du risque » adoptée par sa coalition en juillet 2023, mais largement inspirée par Annalena Baerbock, la ministre des Affaires étrangères écologiste. Celle-ci n’était d’ailleurs pas du voyage. Également absente : l’influente confédération des industriels allemands (BDI), celle-ci ayant contribué en 2019 à définir le nouveau triptyque européen qualifiant la Chine de « partenaire, compétiteur et rival ».

Les grands patrons de l’industrie automobile allemande étaient, eux, bien présents dans la délégation avec un message clair : le principal risque, au contraire, serait de ne pas miser suffisamment sur la deuxième économie mondiale. Pas moins de 5 000 entreprises allemandes opèrent actuellement dans le pays et 79% d’entre elles pensent qu’un investissement continu est nécessaire pour rester compétitif, selon une récente enquête. « Nous ne nous sentons pas menacés. Cette fois encore [référence à l’arrivée des marques japonaises sur le marché allemand], nous ne devons pas exagérer notre peur des constructeurs étrangers. Nous sommes confiants en notre compétitivité », a déclaré le patron de BMW. « En tant que nation exportatrice, nous ne pouvons pas être d’accord sur le fait d’accroître les barrières commerciales », a ajouté le PDG de Mercedes, faisant allusion aux tarifs douaniers que Bruxelles pourrait imposer aux constructeurs chinois.

Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que les grands groupes automobiles allemands craignent d’être les victimes de mesures de rétorsion qu’imposerait Pékin si Bruxelles décidait de passer à l’acte. Pourtant, il est peu probable que les industriels allemands deviennent la cible de Pékin, car c’est Paris qui est perçue comme le principal moteur derrière l’enquête sur les subventions accordées aux constructeurs automobiles chinois – ce que Bercy dément formellement. D’ailleurs, en guise d’avertissement, la Chine a ouvert une enquête antidumping visant les producteurs de cognac (hexagonaux), qui réalisent plus de 30 % de leurs ventes mondiales en Chine.

La recette a déjà fait ses preuves : exploiter les divergences européennes pour arriver à ses fins. Voilà pourquoi Xi comptait sur Scholz pour user de son influence auprès de Bruxelles pour que l’enquête n’aboutisse pas à des sanctions. Mais le chancelier avait autre chose en tête : s’assurer de la participation de la Chine à la conférence de paix en Ukraine organisée par la Suisse mi-juin. Li Hui, envoyé spécial de Pékin pour l’Ukraine, a prévenu que Xi ne ferait pas le déplacement si Poutine, n’était pas invité, ce qui déplait fortement à Kiev et dans les capitales européennes. En guise de réponse, le dirigeant chinois n’a fait aucune promesse : « la Chine soutient tous les efforts pouvant conduire à une résolution pacifique de la crise ukrainienne, ainsi que la tenue d’une conférence internationale (…) avec la participation égale de toutes les parties et où tous les plans de paix pourraient être discutés [lire : le sien] ».

Encore plus problématique peut-être : la question des surcapacités industrielles chinoises, qualifiée de « fake news » par certains dirigeants chinois à Chongqing. « Les décisions de politique économique prises unilatéralement en Chine créent d’importantes difficultés structurelles pour les entreprises en Allemagne et en Europe », a averti le leader allemand. Ce à quoi Xi Jinping a répondu : « les exportations de véhicules électriques, de batteries et de panneaux photovoltaïques ont permis d’alléger la pression inflationniste mondiale et ont fortement contribué à lutter contre le changement climatique ».

Ce dialogue de sourds autour des exportations chinoises et le langage vague de Pékin au sujet de la Russie suggèrent que Xi Jinping n’a aucune intention d’apaiser les inquiétudes fondamentales de l’Europe. En réaction, l’Union Européenne n’aura d’autre choix que de continuer sur le chemin du « dérisquage » et du « rééquilibrage » commercial avec Pékin. Le mot de la fin à Jens Eskelund, président de la Chambre de commerce européenne en Chine, qui compare la situation à deux trains qui foncent lentement l’un vers l’autre : « l’accident n’a pas encore eu lieu, mais on le voit venir si la trajectoire reste la même. Il devient urgent que nos dirigeants s’assoient ensemble et explorent les moyens d’éviter que cela ne devienne une véritable guerre commerciale ».

Il n’y a donc plus qu’à espérer qu’Emmanuel Macron sache trouver les mots pour convaincre son homologue chinois (ou inversement) de revoir ses positions lors de sa visite en France (6-7 mai), dernière étape d’une tournée européenne (la première en Europe depuis la fin de la pandémie) qui comprendra un arrêt en Hongrie et en Serbie, deux proches alliés de Pékin.

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